Entretiens Tom de Fabienne Berthaud

Publié le 4 juin, 2022 | par @avscci

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Rencontre avec Fabienne Berthaud à propos de Tom

Tom nous offre de faire la connaissance de personnages comme on n’en croise pas tous les jours. Un gamin qui n’a pas dix ans, qui vit dans un mobil home planté à la lisière d’un bois. En compagnie d’une très jeune femme. On pense qu’il s’agit de sa grande sœur, avant de découvrir qu’elle est sa mère. Ces deux-là ont dû faire de sérieuses embardées pour en arriver là… Mais ce déclassement, cette fragilité ne sont jamais sordides. De fait le film affiche un naturalisme bienveillant, qui projette une lumière douce sur le genre humain, avant de s’échapper dans une sorte de fantastique social qui à bien des égards épouse les couleurs des contes de notre enfance.
Tom est le cinquième opus de Fabienne Berthaud, qui entretient une vraie parenté avec Pieds nus sur les limaces, le portrait d’une sauvageonne ayant élu domicile en pleine nature pour mieux jouir d’une liberté qui ne saurait lui être mesurée. Le film est évidemment écrit, structuré, dramatiquement construit avec minutie. Mais c’est pourtant un sentiment de liberté qu’il nous procure. Liberté des personnages bien sûr, mais aussi celle du film. Certains films sont des produits industriels, parfois remarquablement fignolés d’ailleurs. Et d’autres relèvent de l’artisanat. Tom, comme ses petits frères avant lui, est de cette famille-là.

PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION

Tom est adapté d’un livre qui n’est pas de vous alors que vous êtes aussi romancière. C’est étonnant puisqu’il y a beaucoup de familiarité avec Pieds nus sur les limaces, qui lui, est adapté d’un de vos livres. Pourquoi être allée chercher une œuvre étrangère pour finalement rester dans le même univers ?

Fabienne Berthaud : Je ne suis pas allée la chercher, on me l’a proposée. Peu avant, j’avais écrit Mal partout, une histoire entre une mère et son fils, mais qui est d’une noirceur épouvantable, impossible à adapter au cinéma. Il me paraissait impensable de faire jouer ce qui était écrit à un enfant. Toutefois, je voulais quand même pouvoir aborder le thème de l’enfance, je l’ai fait à travers un autre livre…

Peut-on dire que chaque plan est vu à travers les yeux de l’enfant ?

F. B. : Pas tout à fait, même si le film est essentiellement construit sur le ressenti de l’enfant.

Pour tourner un film comme celui-là, faut-il se souvenir de sa propre enfance, essayer de retrouver d’anciennes sensations ?

F. B. : Je me suis appuyée sur quelque chose qui a eu lieu dans ma famille, sur l’histoire d’un petit garçon qui m’a beaucoup touchée.

Le metteur en scène, comme le spectateur après lui, doit se projeter et comprendre ses personnages. Comment cela s’est-il passé pour vous ?

F. B. : Je mets un peu de moi dans chaque personnage. Je fonctionne de manière très organique, et je ressens toutes les émotions des autres. Je ne prépare pas mes plans longtemps à l’avance, tout se fait sur le plateau, en fonction de mon esprit du moment, et aussi de la météo. Je peux être capable de changer de lieu au dernier moment. J’aime échanger avec les gens et être dans l’instant. Alors je ne fais pas de découpage… Je prépare le film en constituant un « mood book », où je fais figurer l’humeur que je souhaite trouver pour chaque séquence, je prends ensuite des photos lors des repérages et je prépare mes cadres à partir de celles-ci.

Vous tournez avec une seule caméra ?

F. B. : Non, avec deux caméras. Ce n’est pas plus difficile, c’est simplement un langage différent, comme une danse. J’ai appris à faire du cinéma sur le tas en faisant mon premier film. Il m’aura fallu tourner vingt-sept jours répartis sur trois ans pour parvenir à le terminer. J’aime le fait que le temps n’ait pas d’importance au cinéma. Ce qui oblige à aménager des tas de détails lors des tournages. Pour Frankie qui s’est tourné sur des années, nous avons dû rajouter des cheveux à Diane Kruger, nous avons joué sur la construction du personnage, j’ai dû restructurer mon scénario pour que le spectateur ne se rende pas compte que certaines choses n’étaient plus dans la continuité.

Au chapitre des contraintes, vous avez été servie pour Tom, que vous avez tourné en plein confinement.

F. B. : Je pense que le succès d’Un monde plus grand a fait avancer plus vite l’avancement de Tom. Nous avons obtenu une aide avec Picta Novo pendant le confinement. C’était au moment où toutes nos personnes âgées étaient enfermées, situation qui m’a beaucoup touchée. J’en ai parlé aux responsables de Picta Novo pendant notre rencontre zoom et j’ai réussi à leur transmettre cette émotion.

C’est par Marianne que se crée le lien et l’ouverture au monde, alors qu’ils sont dans leur petit monde. Finalement, cette grande maison et cette vieille femme c’est un peu comme dans La Belle et la Bête, votre film est aussi un conte…

F. B. : Exactement, nous n’avions pas besoin d’être réalistes. J’avais envie de faire de la nature une sorte de nid protecteur. Tom ne risque jamais rien, et même sa mère conforte sa liberté et son autonomie.

Globalement, il n’y a pas ou peu d’antagonismes dans votre film, il n’arrive que de belles choses à vos personnages.

F. B. : Ces gens-là ne sont pas toxiques. Nous pensons qu’ils sont mauvais alors que finalement ils ne le sont pas. Il ne faut pas avoir d’a priori. J’ai tendance à voir le bon côté des êtres, à leur faire confiance. C’était déjà le cas dans Pieds nus sur les limaces. Quand apparaissent les chasseurs, on se dit qu’il va se passer quelque chose de grave. Et en fait pas du tout…

Vos cinq films posent la même question du rapport entre la nature et la culture. J’y vois comme une volonté d’aller vers un retour aux sources pour oublier tout ce qu’on a appris…

F. B. : Peut-être que la culture qui va émerger sera celle des potagers. Plus sérieusement j’ai besoin de la nature pour mon équilibre mental. Je ressens trop la violence de notre société telle qu’elle est organisée. Mes personnages me ressemblent, ils ont besoin de s’exclure du monde pour aller mieux. Dès que je reste trop longtemps à Paris, je suis angoissée, j’ai besoin de retourner à la campagne. J’ai eu une enfance très libre en Algérie puis en Normandie, mais lorsqu’à douze ans je suis arrivée à Paris, j’ai été traumatisée.

La communion avec la nature est fondamentale dans vos films.

F. B. : Oui, tout le temps et de façon évidente. Je suis tellement heureuse dans une forêt ou dans le désert.

Dans Sky nous touchons aux deux extrêmes, il n’y a pas plus sauvage que les Rocheuses et pas plus artificiel que Las Vegas.

F. B. : C’était une épreuve de tourner à Las Vegas. Il y avait de la musique partout, tout le temps, et pour en obtenir les droits ce fut un vrai casse-tête.

Quelle est la différence, au niveau des émotions que nous ressentons, entre un film et un livre ?

F. B. : Quand nous écrivons nous sommes seuls. À l’inverse pour faire un film il est nécessaire que les talents s’additionnent. J’adore tourner. Je n’ai jamais cessé de me dire que j’ai de la chance de faire du cinéma. Si un jour je perds cette fraîcheur, j’arrête.

Lorsque vous êtes sur un plateau, comment s’articule votre travail ?

F. B. : J’arrive la première sur le plateau pour sentir le décor. La veille, j’ai discuté avec les acteurs de mes intentions et nous avons partagé nos visions.

Lorsque j’ai réalisé Un monde plus grand, celle qui incarnait l’interprète n’était pas actrice, interprète était son vrai métier. Je me suis beaucoup rapprochée d’elle, je lui donnais des indications pour l’intonation, etc. J’ai également beaucoup aimé travailler avec Tanguy, l’enfant qui joue Tom, parce qu’il a l’intelligence du jeu, il n’est pas dans la reproduction, mais dans le ressenti. Il est très à l’écoute, il ne récite pas. Pour Nadia, qui interprète sa mère, c’est pareil. Je travaille beaucoup avec Haut et Court, qui avait produit la série Possession dans laquelle elle jouait. La production m’en avait aussi parlé. J’ai fait une lecture avec elle, Felix Maritaud, qui incarne son ex, et Tanguy, et c’est à ce moment-là que j’ai trouvé ma famille. Je n’aime pas trop voir les acteurs en dehors de mon monde à moi, sinon ça m’empêche d’y croire.

C’est le deuxième film sans Diane Kruger…

F. B. : Avec Diane, nous avons commencé ensemble. Elle n’est pas partie en Mongolie pour Un monde plus grand, parce que pour la première fois le scénario n’était pas de moi, on me l’a apporté. Je ne pensais pas que le rôle était pour elle, et elle ne le pensait pas non plus. Pour Tom, il fallait une très jeune mère…

Avec vos deux caméras et la liberté qui est la vôtre, le montage a-t-il été compliqué ?

F. B. : Non, mais j’avais beaucoup de rushes. Je suis totalement indisciplinée, il suffit que je voie une belle lumière pour que j’aie envie de retourner un plan. C’est difficile de noter tous mes plans, et je n’ai pas toujours une scripte avec moi. Il doit y avoir quelques incohérences par moments.

J’ai l’impression que le mot clé de tous vos personnages, c’est la liberté, liberté qui est également la vôtre pour raconter des histoires.

F. B. : La liberté est ce que nous avons de plus précieux. Mes personnages croient en quelque chose, ils sont simples et ne vivent pas des aventures extraordinaires, comme la plupart des gens, c’est ça qui est beau, ce sont juste des êtres humains avec leurs croyances, leurs espoirs et leur courage.

Il y a des films où les couleurs sont sursaturées, d’autres où c’est le scénario qui comporte beaucoup de retournements de situations, etc. De votre côté, vous désaturez au maximum votre scénario, vous laissez le temps au spectateur de se reposer dans son siège, on sent que c’est assumé et nécessaire.

F. B. : Oui, mes films retrouvent peut-être un temps d’autrefois, un temps de la nature. Nous ne pouvons pas regarder cette dernière rapidement, nous ne verrions pas les animaux par exemple.

Y a -t-il des cinéastes dont vous vous sentez proche et dont vous avez le sentiment de partager la liberté ?

F. B. : Cassavetes est un peu mon maître, il y avait une grande liberté dans ses films. La nature, la part du vivant, c’est ce qui m’intéresse. Je n’ai jamais vu d’aussi beaux acteurs que dans ses films. Les films de Terrence Malick, ceux de Kelly Reinhardt, les premiers Jane Campion, Orange mécanique de Kubrick, etc. J’aime ce qui est organique, ce qui semble le moins écrit possible, je n’aime pas ce qui paraît trop cadré, trop préparé, fabriqué. Ça ne me transporte pas…

Propos recueillis par Yves Alion et mis en forme par Camille Sainson

Réal. : Fabienne Berthaud. Scén. : Fabienne Berthaud, Pascal Arnold, Gladys Marciano. Phot. : Nathalie Durand. Mus. : Rover. Prod. : Rhamsa, Move Movie. Dist. : Haut et Court Distribution. Int. : Nadia Tereszkiewicz, Félix Maritaud, Tanguy Mercier, Claudine Acs. Durée : 1h27. Sortie France : 11 mai 2022.




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