Entretiens L'apparition de Xavier Giannoli

Publié le 16 février, 2018 | par @avscci

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Entretien – Xavier Giannoli pour L’Apparition

Un journaliste de guerre, dont l’ami photographe vient de mourir près de lui pendant un reportage, enquête à la demande du Vatican sur une apparition de la Vierge à une jeune fille de 17 ans, dans le sud de la France. Le sceptique qui a tout connu approche un continent qu’il ignorait. Après Quand j’étais chanteur, À l’origine, Marguerite, qui évoquaient déjà les limites et les élans de la passion, du mensonge, du jugement des autres, Xavier Giannoli nous parle à nouveau de la dialectique de la mystification et du Mystère…

Dans votre film, on avance en même temps que les personnages…

Xavier Giannoli : C’est le principe du film d’enquête. J’ai revu ceux que j’aimais, les films de Pakula par exemple. Je voulais raconter l’histoire d’un homme qui se perd. Si le journaliste et le spectateur se contentaient de se demander si la jeune fille est une menteuse, ce serait ennuyeux. Partant d’un prétexte concret, cette enquête finit par échapper aux personnages. Il ne s’agit plus d’élucider un mystère, mais bien d’être absorbés par ce mystère.

Les zones opaques de ce film font partie de son charme et de sa richesse. Le film n’assène pas de vérité, il interroge…

X. G. : Vu le sujet, il était difficile de faire autrement !

La jeune fille peut être une menteuse de bonne foi !

X. G. : On me disait, quand j’étais étudiant en littérature, que poser la bonne question c’est déjà y répondre. Jacques, le journaliste-enquêteur, commence par poser de mauvaises questions…

Au début du film, il est dans une détresse extraordinaire. Il aurait pu être simplement un journaliste de guerre, mais avec la mort de son camarade, le scénario le place dans une situation extrême.

X. G. : J’ai eu une éducation chrétienne, je ne suis pas pratiquant. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que je suis travaillé par le scepticisme et le doute. Il me fallait quelqu’un qui ait vu suffisamment d’horreur pour douter de l’existence de Dieu. J’ai été très marqué par le livre de Jean-Claude Guillebaud, qui a été journaliste de guerre, Comment je suis devenu chrétien. Ce film était pour moi le moyen de savoir où j’en étais. Jacques, le personnage, a un problème à l’oreille, après l’explosion qui a tué son ami. Je pense qu’au cinéma, pour faire exister un personnage, il faut commencer par éprouver son intégrité physique, le menacer.

Vincent Lindon et Shanna Besson dans L'Apparition de Xavier Giannoli

Pour l’incarner ?

X. G. : Oui. Avoir perdu son ami met Jacques dans un état d’égarement, de solitude, de non-sens par rapport à son métier, à sa vie. Le Vatican l’appelle pour une enquête qu’il ne va pas faire pour son journal, ce qui la rend plus secrète, plus intime. Il est important que son ami perdu ait été photographe. Pour moi ce journaliste est une figure de la modernité. Son métier est de rapporter des preuves, des témoignages des choses qu’il a vues. Celui qui pouvait rapporter les images est mort et ce journaliste rencontre une jeune fille qui parle de quelque chose dont on n’aura pas d’image. Alors que le film commence par une image de télévision, une explosion à l’écran. Et se termine par une image de cinéma, en CinémaScope, avec une musique de Georges Delerue. Dans le film, quelqu’un dit : « Le problème du monde moderne, c’est le refus de l’invisible ». Or, Jacques, avec son iPhone, ne cesse de saisir des images, de photographier des papiers, des ciels, des paysages, ce que je fais moi-même. Cet homme, avec son iPhone, son ordinateur, ses conversations sur Skype avec sa femme, va rencontrer ses limites, dans un univers où image et preuve, justement, ne représentent rien. BFMTV n’a pas filmé la résurrection du Christ.  Si je veux y croire, ce sera un choix libre et éclairé. À l’époque du fanatisme, j’ai trouvé intéressant qu’un personnage puisse découvrir que la foi puisse être un choix libre et éclairé.

Dans le film, vous montrez deux choses distinctes : la foi, d’une part et la religion, d’autre part.

X. G. : Il ne faut pas confondre le christianisme et l’institution catholique. Le message évangélique est un message d’amour, de reconnaissance de la souffrance de l’autre, de culpabilité, de mépris de l’argent, d’humilité. Si il y a le portrait de François dans mon film, c’est parce que j’ai essayé de faire un film franciscain. Il y a de moins en moins de monde dans les églises, de moins en moins d’ordination de prêtres. Mais voir dans ce reflux un déclin du christianisme est une erreur historique. Les vertus du christianisme ont triomphé, plus que jamais. C’est la première religion qui donne une place centrale à la victime, à sa souffrance. C’est le christianisme qui a inventé ça. Et nous vivons dans une société compassionnelle. Maintenant, sans raconter la fin du film, on peut dire qu’il y a un personnage qui regarde vers le ciel, qui a décidé de consacrer sa vie à la prière, ce qui est beau et émouvant, et un autre qui dépasse cette problématique, et qui met sa foi dans l’action, dans le camp de Zaatari, en Jordanie, le plus grand camp de réfugiés du Moyen-Orient. Je suis le premier à avoir été autorisé à y filmer une fiction. Je rejoins une phrase de mère Teresa, qui m’inspire : « Même si on était venu me prouver que Dieu n’existe pas, j’aurais fait la même chose. »

Ce film vous a -t-il fait évoluer dans votre rapport à la foi ?

X. G. : C’est à l’inverse parce que j’ai évolué sur le sujet que j’ai fait ce film. Confronté comme tout le monde à la perte, à l’absurdité, à la violence, à ces familles qui vivent dans des tentes, je me demande simplement quel est le sens de tout cela.

Portrait de Xavier Giannoli

Beaucoup des personnages de ce film ne sont pas dans la compassion, ils sont dans le rituel, le cérémoniel.

X. G. : Je ne suis pas d’accord. Borodine, le prêtre qui accompagne la jeune fille, lit le discours du pape François à Lampedusa, «Quel est ce monde où il nous faut apprendre à vivre ? ». C’est un discours extrêmement fort, de stigmatisation de la société libérale.

On a l’impression qu’il utilise ces paroles magnifiques au profit de son commerce.

X. G. : C’est ce qu’on pense au début. Mais il le dit lui-même : « Je me suis perdu ». Il dit aussi qu’il n’y a pas eu d’argent dans cette affaire. C’est ce qu’on retrouve dans le livre de Bernanos et le film de Pialat, Sous le soleil de Satan. D’un côté un mystique et de l’autre un curé qui s’occupe du quotidien. Il ne serait pas vrai de dire que tous les personnages du film sont des menteurs, des tricheurs. Je filme avec respect ces pèlerins, leur sincérité. Je suis très loin de la moquerie du Miraculé de Jean-Pierre Mocky, par exemple. Je suis intéressé par la culpabilité, la mauvaise conscience, par tout ce qui peut ne pas être trop confortable, justement. Je filme les purs, mais je filme aussi les salopards et les commerçants.

Tous les personnages de vos films sont dans le dépassement de soi, la quête de l’inatteignable. Mais ils sont aussi tous confrontés au regard des autres, à ce qu’il peut y avoir de fascinant et de vulgaire dans la médiatisation, à la célébrité.

X. G. : Ils sont purs. À commencer par Marguerite.

Ou par le personnage de Quand j’étais chanteur. Et ils sont tous sous les projecteurs.

X. G. : Le mouvement que cela implique, c’est celui de la caméra au-dessus du personnage. C’est un mouvement que je montre aussi dans L’Apparition. Il est question de monstre médiatique, de cupidité, d’argent, de manipulation, de noirceur, qui s’abattent sur un personnage qui a une forme de pureté et doit négocier avec un mensonge.

Ces questions sont posées depuis votre premier court-métrage, L’Interview

X. G. : Qui pose aussi la question de l’image manquante. Dans ce premier court métrage, le héros ne verra jamais Ava Gardner. Mais de ce regard médiatique, mes personnages souffrent toujours. Marcel Proust disait cette phrase extraordinaire : « Je ne suis moi que seul ». C’est peut-être cela, le destin de l’être humain, courir après quelque chose qu’on a fait de nous. C’est pour ça que j’aime tant le film de John Huston L’Homme qui voulut être roi. Ou le petit garçon qui, dans Andrei Roublev, prétend connaître le secret de l’étain et entraîne toute une région dans la fabrication d’une cloche.

Comme dans À l’origine.

X. G. : Absolument. Le mensonge du personnage central le mène à un accomplissement et à la découverte de lui-même.

Vous parliez de film d’enquête…

X. G. : Quand j’entends parler d’enquête canonique, je me dis que c’est une très bonne situation de cinéma. En fait, un sujet de film m’intéresse si, normalement, le spectateur ne devrait jamais y croire. Il faut que ce soit une histoire vraie, comme Marguerite ou À l’origine. Mais c’est là que le cinéma commence. Là où j’ai besoin de la mise en scène, des acteurs, pour créer un effet de vérité sur une affaire incroyable. Mes lectures, mes enquêtes, ma préparation avant le film, mon choix des seconds rôles, tout doit viser à réussir ce pari. Faire croire à quelque chose de fou, où ce qui est en jeu est  pourtant essentiel et humain. Les pieds dans la boue, on aspire à s’élever, comme cette petite novice ou le bâtisseur d’autoroutes qui ne mènent nulle part.

La novice fabrique des couettes avec une machine à plumes !

X. G. : Zéro de conduite, Jean Vigo !

Chez Vigo, c’est moins religieux…

X. G. : D’abord, j’en ai assez de voir au cinéma des religieux fabriquer des confitures ou du miel. Et j’en ai assez des scènes de repas dans les monastères. Ce peut être lamentable. En tout cas je voulais qu’on la voie travailler, dans des tâches concrètes et solides. Mais cette machine bruyante a une dimension poétique, puisqu’elle souffle des plumes. Je m’inspire de l’activité réelle des Carmélites de Verdun. Cela me permet le plan apparemment surnaturel des plumes qui volent dans un couloir, comme dans une apparition, alors qu’il s’agit juste d’un mécanisme en action.

Vincent Lindon dans L'Apparition de Xavier Giannoli

Vincent Lindon paraît de plus en plus exigeant sur le choix de ses rôles…

X. G. : Le rôle est écrit pour lui. Il me fallait un homme dont on pense qu’on ne peut pas lui raconter n’importe quoi. Son aura, qui n’appartient qu’aux acteurs, le mélange de sa personne et des rôles qu’il a joués, sa présence physique, massive, animale, correspondent à cette nécessité. Son implication dans son rôle touche presque à la folie. Il veut tout recommencer, tout revoir, chaque geste, chaque expression. Il déteste les clichés, les intonations, les regards, les temps qui « font cinoche ». C’est une obsession chez lui. Il veut la vérité de ses personnages. C’est un mélange de travail et d’instinct.

Comment a-t-il travaillé avec Galatea Bellugi ?

X. G. : Ils ont eu très peu d’échanges, un respect et une admiration mutuels, sans familiarité.

C’est aussi ce qui se passe entre leurs deux personnages.

X. G. : C’était clair tout de suite pour moi, il n’était pas question d’érotiser leur rapport.

Sans même parler d’érotisation, il y a beaucoup de réserve entre Jacques et Anna et en même temps une attirance, la sensation immédiate d’une rencontre.

X. G. : Mon obsession, sur le plan scénaristique, c’était qu’ils sentent l’un et l’autre une qualité de regard qu’ils n’avaient jamais eue. Anna voit bien que Jacques est quelqu’un qui vient chercher la vérité. Elle a besoin de libérer quelque chose, lui est un être marqué par la violence. Et elle lui dit : « Je sais que vous avez besoin d’une amie. » Alors qu’il vient de perdre quelqu’un. Le regard de Vincent est très beau à ce moment-là. En ce qui concerne Galatea Bellugi, je crois que d’abord, ce qui joue chez un acteur, c’est la présence physique. Comme elle incarnait une jeune fille qui affirme avoir eu une apparition, je ne voulais pas d’une actrice éthérée, surnaturelle. Il fallait qu’elle ait quelque chose de concret, de terrestre, une jeune fille moderne en jean, en sweat. J’avais demandé au casting de chercher plutôt une Rosetta qu’une madone de Botticelli. Quand elle raconte l’apparition, il y a un plan-séquence de quatre minutes. Il faut une actrice géniale pour jouer ça. Tout était inattendu, surprenant, dans l’intériorité, la simplicité, l’épure. Elle imposait une calme évidence à tout ce qu’elle faisait. Face à elle, Lindon dit à la fin :« Je ne sais pas ». C’est à l’origine de mon projet : si cet homme s’humanise, s’il a quelque chose à conquérir c’est le respect des questions que pose Anna, la foi, le christianisme. Revenir à la foi comme quête intime et non pas comme marqueur social ou politique. Souvent la foi voyage incognito, comme dit Kierkegaard. n

Propos recueillis par Yves Alion et René Marx

Réal. : Xavier Giannoli. Scn. : Xavier Giannoli, avec la collaboration de Jacques Fieschi, Marcia Romano. Dir. Phot. : Eric Gautier. Mont. : Cyril Nakache. Déc. : Riton Dupire-Clément. Cost. : Isabelle Pannetier. Int.: Vincent Lindon, Galatea Bellugi, Patrick d’Assumçao, Anatole Taubman, Elina Löwensohn, Claude Lévèque. Prod. : Olivier Delbosc et Emilien Bignon pour Curiosa Films, Mémento Films. Dist. : Mémento Films Distribution. Durée : 2h 17. Sortie France : 14 février 2018.

 




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