Entretiens So long my son de Wang Xiaoshiai

Publié le 31 juillet, 2019 | par @avscci

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Entretien – Wang Xiaoshuai pour So long my son

En février 2019, au Festival de Berlin, le jury présidé par Juliette Binoche décernait un double prix à Wang Jingchun et Yong Mei, pour leur interprétation du couple protagoniste de So Long My Son. Présent plusieurs fois à Cannes, où il remporta en 2005 le Prix du Jury pour Shanghai Dreams, le réalisateur Wang Xiaoshuai avait déjà obtenu un Ours d’argent à Berlin pour Beijing Bicycle en 2001, puis de nouveau pour In Love We Trust en 2008. Cette reconnaissance internationale célèbre un cinéaste de la « sixième génération », celle de Jia Zhangke, de Wang Bing. Une génération reconnue mais dont la situation reste contrastée dans son propre pays. 

So Long My Son mêle la chronique historique, la réflexion politique, la morale, les sentiments. La politique de l’enfant unique mise en place en 1979 renforça la violence directe exercée sur l’intimité des individus. Avortements forcés, persécutions, humiliations ne se sont achevés qu’en 2013. Wang Xiaoshuai choisit un couple d’ouvriers pris dans cette histoire douloureuse et les suit pendant une trentaine d’années. Leur petit garçon se noie à l’âge de douze ans, un autre enfant le remplace, le spectateur est entraîné dans ce temps long avec des allers-retours complexes. Le cinéaste dévoile peu à peu ce qui était caché, tient par la main un public d’abord égaré et pour qui la lumière sera faite pendant les trois heures cinq d’un récit extrêmement maîtrisé. Mêler sans mélodrame, sans lyrisme, avec simplicité, la chronique sociale et politique avec l’incarnation de sentiments humains universels, c’est l’intention et la réussite de Wang Xiaoshuai et de sa troupe de comédiens exceptionnels. L’oppression ne prend pas le visage de policiers anonymes mais celui de l’entourage immédiat, à l’usine, dans la famille. Les intrigues se chevauchent : le remords du camarade du petit noyé, la liaison clandestine de son père avec une trop jeune fille, les déménagements successifs à travers une Chine bouleversée par ses mutations, les changements de métier, les angoisses qui s’accumulent. Les deux héros souffrent, résistent, s’aiment toujours. Ils arrivent à un aujourd’hui compliqué. Prenant finalement un avion qui les ramènera à la ville de leurs débuts, après que des turbulences ont secoué l’appareil. Liyun dit à son mari, une fois le calme revenu : « C’est tout de même amusant que nous ayons encore peur de mourir ! ». Nous avons rencontré Wang Xiaoshuai à Paris.

En 1985, vous vous êtes inscrit à l’Académie du cinéma de Pékin. Quelles étaient les motivations du jeune homme de 19 ans que vous étiez à l’époque ?

Wang Xiaoshuai : En 1981 je suis arrivé à Pékin avec mes parents. Nous venions de Wuhan, j’avais 15 ans. Au lycée, j’ai étudié la peinture, mais je me suis vite rendu compte que j’étais nettement moins doué que mes camarades. En 1984, les films de la cinquième génération, que vous connaissez bien en France (Zhang Yimou, Chen Kaige) ont commencé à sortir. J’étais très intéressé par leur nouveauté artistique. Je me suis surtout rendu compte à quel point le cinéma pouvait permettre une expression vraiment personnelle.

Quels sont les cinéastes qui vous ont touché, pendant vos études de cinéma ?

W. X. : Avec l’ouverture des années 1980, énormément d’informations ont commencé à nous parvenir. Avant nous ne connaissions du cinéma étranger que les films soviétiques ou ceux des pays de l’Est. À l’Académie, j’ai pu voir les films de la Nouvelle Vague française, du néo-réalisme italien. Au moment d’être diplômé, j’ai pu voir des films japonais, taïwanais, iraniens. Les cinéastes qui m’ont touché sont Michelangelo Antonioni, Federico Fellini, bien sûr De Sica, que j’évoque dans mon film de 2001, Beijing Bicycle. Mais il y eut aussi Renoir, Pierrot le fou, À bout de souffle, Tirez sur le pianiste, Jules et Jim.

Comment s’est passée l’écriture de So Long My Son ?

W. X. : Chaque fois que je me lance dans un nouveau projet, je cherche à trouver le scénariste idéal qui pourra travailler avec moi, même si je réécris au final et que c’est ma version que j’utilise pour le film. Pour Shanghai Dreams, en 2005 et Onze Fleurs, en 2011, il s’agissait de récits très personnels, et je n’ai pas hésité à prendre en charge totalement l’écriture du scénario. Pour So Long My Son, ce n’était pas un vécu exclusivement personnel. Je le partageais avec toute une génération. C’est pourquoi j’ai demandé à A Mei d’écrire avec moi un premier puis un deuxième scénario. Au final, j’ai quand même réécrit une version finale pour le tournage.

Quels ont été vos échanges avec Wang Jingchun et Yong Mei avant ce tournage ?

W. X. : À l’époque de Beijing Bicycle, tous les jeunes de mon âge avaient vécu l’expérience du vol de leur vélo. C’était facile pour tout le monde de rentrer dans la peau des personnages sans beaucoup de travail préparatoire. Pour celui-là aussi, les deux acteurs principaux ont à peu près mon âge. Nous avons traversé tous les trois cette période d’une trentaine d’années couverte par le récit. Le petit garçon du film est né en 1982, il se noie en 1994, il y a des retours en arrière, des va-et-vient, l’histoire s’achève vers 2011. Les comédiens m’ont très vite dit qu’une longue préparation n’était pas nécessaire, il leur suffisait de restituer leur propre expérience de ces années-là. 

Votre monteur, Lee Chatametikool, est thaïlandais et votre chef-opérateur, Kim Hyun-seok, est coréen. Comment les avez-vous choisis ?

W. X. : J’ai travaillé pour mes films précédents avec d’excellents techniciens chinois, cela ne fait pas de doute. Mais il y a de plus en plus de films qui se tournent, des problèmes d’emploi du temps, tout le monde n’est pas libre au moment où on le voudrait. Et il y a aussi une envie d’aventure de ma part, une volonté de travailler avec des étrangers. L’important, c’est de s’assurer qu’on va travailler avec des gens qui sont fous de cinéma, des gens qui ont un grand amour pour cet art. Lee Chatametikool est le monteur de Apichatpong Weerasethakul et Kim Hyun-seok a été en 2010 le directeur de la photographie de Poetry de Lee Chang-dong. Le cinéma c’est notre langage commun, nous n’avons jamais eu de problème de barrière de langage.

Quand le film est sorti, quelles ont été vos surprises par rapport aux réactions du public ? Y a-t-il eu des commentaires inattendus ?

W. X. : Au moment de la construction du film, nous avions des intentions précises, par rapport aux décors, au jeu des acteurs, à l’émotion que nous voulions communiquer. Je crois que nous avons réalisé quatre-vingts pour cent de ces intentions. Nous avions bien prévu à l’avance les réactions du public chinois, justement parce qu’il s’agissait d’expériences partagées par toute une génération. Au point de vue de la vie, de la cellule familiale, des sentiments, de l’histoire de notre pays, je pense que ce film est extrêmement chinois. Je pensais qu’à Berlin les spectateurs chinois le recevraient sans aucun souci. J’étais confiant. Par contre, j’étais surpris de voir que le public étranger le recevait d’une manière aussi directe et intense. Au fond, c’est le cœur qui parle.

Qui a vu le film en Chine, et comment a-t-il été reçu ?

W. X. : C’est celui de mes films qui a été le plus vu en Chine. Les recettes ont été de loin bien meilleures que celles de mes films précédents. Je suis convaincu que s’il avait été exploité dans davantage de salles, plus longtemps, le succès aurait continué. Mais il y a beaucoup de films qui sortent et il est difficile de rester très longtemps dans les salles. De nombreux spectateurs avaient donc vécu la période décrite, les transformations de la famille chinoise, la politique de l’enfant unique. Ils y ont vu un document sur ces années-là. Nous avons aussi particulièrement visé le public des ouvriers à la retraite. Ils étaient très émus, ils retrouvaient leur vie, ils se reconnaissaient. Très peu de films reflètent ce qu’ils ont vécu.

Vous avez parlé du néoréalisme italien, qui était caractérisé par la solidarité entre les professionnels du cinéma, leurs échanges, leur vie de café, la circulation des idées. Est-ce que le cinéma chinois d’aujourd’hui connaît cette solidarité ?

W. X. : Nous savons tous que cette période était une sorte d’âge d’or. Nous en sommes très loin.

Avez-vous donc l’impression de travailler dans une certaine solitude ?

W. X. : Au début du cinéma indépendant en Chine, dans les premières années 1990, nous avions cette vie collective, nous nous rencontrions, nous écrivions des manifestes. Ce fut malheureusement une très courte période. Aujourd’hui, la plupart des gens se dirigent vers le cinéma commercial. Il y a un abandon flagrant du cinéma en tant qu’art. Très clairement, les gens veulent gagner de l’argent. On s’inspire du modèle hollywoodien sur le plan de la production et on veut même dépasser ce modèle hollywoodien sur le plan des innovations technologiques. L’État envoie beaucoup de jeunes étudier aux États-Unis dans ce but.

Vous faites un état des lieux assez sombre…

W. X. : Ce n’est pas intéressant de faire du cinéma en Chine à l’heure actuelle. Ce qui nous oblige à rentrer davantage en nous-mêmes.  It’s not a good time… Mais je suis plutôt content de voir que de très jeunes cinéastes se mettent à faire un cinéma beaucoup plus individualiste, très prometteur. Ils ont juste besoin de temps. n

Propos recueillis par René Marx.

Nous tenons à remercier Pascale Wei-Guinot pour sa présence chaleureuse pendant cet entretien où elle a traduit les propos de Wang Xiaoshuai.

Dì jiu tian cháng. Réal. : Wang Xiaoshuai. Scén. : Wang Xiaoshuai et Ah Mei. Phot. : Kim Hyun-seok. Mus. : Dong Yingda. Prod. : Dongchun Films. Dist. : Ad Vitam.
Int. : Wang Jingchun, Yong Mei, Qi Xi, Wang Yuan.
Durée : 3h05. Sortie France : 3 juillet 2019.




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