Entretiens Maigret de Patrice Leconte

Publié le 25 mars, 2022 | par @avscci

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Entretien Patrice Leconte – Maigret

Patrice Leconte n’avait pas donné de ses nouvelles depuis longtemps. Un sketch en 2019 dans un film collectif passé un peu inaperçu, Salauds de pauvres. Son film précédent, Une heure de tranquillité n’avait pas vraiment enthousiasmé ceux qui vénèrent Tandem ou La Fille sur le pont (qui ont l’un et l’autre été l’occasion d’un numéro de l’ASC).
Il faut donc remonter à
Une promesse, neuf ans déjà, pour avoir le souvenir d’un Patrice Leconte au sommet de son art. Avec Maigret il renoue sans aucun doute avec l’excellence.
PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION

C’est en 1963, avec Maigret voit rouge, avec Jean Gabin dans le rôle-titre, que le commissaire a pris sa retraite cinématographique. Quelques années avant de prendre sa retraite littéraire, au tournant des années 1970. Autant dire que le Maigret de Leconte est un cas à part. C’est la première adaptation pour le cinéma qui se fait à froid. Et en couleur qui plus est, tous les autres films, du moins ceux produits en France, ayant été tournés en noir et blanc. Ce décalage temporel introduit nécessairement une nostalgie, qui se mêle tout naturellement avec la mélancolie que porte le personnage. Les autres films nous étaient exposés frontalement, celui de Patrice Leconte porte le poids du mythe Maigret, celui d’une époque désormais révolue dont nous sommes invités à retrouver les codes. Ce n’est pas le moindre plaisir que nous procure le film.

Bien sûr la présence de Depardieu n’est pas anodine. Comment l’ogre du cinéma français s’est-il glissé dans la peau du commissaire ? On aurait pu craindre que notre homme en profite pour déborder un peu, pour « depardieuiser » le personnage, comme Gabin, qui rappelons-le a incarné Maigret à trois reprises avait parfois tendance sur ses vieux jours à « gabiniser » les siens. Or il n’en est rien. Depardieu est sobre, il joue les taiseux, et quand il parle il reste souvent dans le non-dit ou la litote. Autant dire qu’il colle au rôle à la perfection, et qu’il partage de toute évidence la mélancolie, la lassitude de son modèle.

Entretien avec Patrice Leconte à propos de Maigret

Le film n’en est pas moins profondément « lecontien ». Tant il partage avec les meilleurs films du cinéaste une délicatesse, une humanité parfois un peu décalée, une tendresse sans doute douloureuse. C’est un film qui suggère plus qu’il n’assène, qui frôle, qui caresse plus qu’il ne brusque, du pur Leconte. Maigret est bel et bien un film sur les occasions manquées, un film sur la fragilité de l’existence. Et Maigret de disparaître sur la pointe des pieds, de s’effacer au final de l’image, comme un fantôme.

Votre film nous permet de retrouver Maigret au cinéma pour la première fois depuis 1963, avec Maigret voit rouge, qui n’était d’ailleurs pas un grand film…

Patrice Leconte : Mais Gabin était bien ! Si l’on regarde les trois films dans lesquels Gabin incarne le commissaire, Maigret voit rouge n’est évidemment pas à la hauteur de Maigret tend un piège, mais je le préfère à Maigret et l’affaire Saint-Fiacre.

Comment vous est venue l’idée de renouer avec le personnage ?

P. L. : L’optique n’était pas le moins du monde de faire « mon Maigret à moi ». Mais l’envie est venue avec Jérôme Tonnerre de notre goût commun de Simenon. Nous nous sommes replongés dans ses romans, sans idée préconçue. Jérôme a proposé d’orienter nos recherches vers Maigret. Simenon ne m’a jamais quitté, il m’a accompagné dans mes lectures de façon très régulière. Mais je dois avouer que j’avais un peu perdu Maigret de vue depuis quelques années. Jérôme et moi avons donc commencé à relire des Maigret. Et l’évidence de porter l’une de ses enquêtes à l’écran s’est imposée en douceur. Nous avions conscience que la télévision avait proposé des kyrielles de Maigret, mais cela ne nous a pas freinés. L’idée de proposer notre vision du personnage était pour le moins excitante. L’ambiance dans laquelle baigne les romans de Simenon me parle immédiatement et suscite un désir de cinéma.

Ayant relu pas mal de volumes, comment vous-êtes vous arrêtés sur le choix de Maigret et la Jeune Morte ?

P. L. : Nous n’avons pas relu les dizaines de volumes de la série. Mais nous avons d’emblée choisi que l’action se déroule à Paris, ce qui éliminait un certain nombre de possibilités. Pourquoi Paris plutôt que Bruxelles ou La Rochelle ? Tout simplement parce que le personnage nous semblait indissociable du quai des Orfèvres et du square des Batignolles. Nous sommes par ailleurs restés dans l’idée de cibler les années 1950, non pas pour avoir l’occasion de donner dans la reconstitution historique pointue, plutôt pour faire un film un peu intemporel, ni moderne ni passéiste. Maigret pour nous devait un peu flotter, nous nous intéressions davantage au personnage qu’à l’époque.

Maigret et la Jeune Morte date de 1954. Mais rien ne vous aurait empêché de choisir un livre des années 1930 et de le transposer vingt ans plus tard…

P. L. : C’est Jérôme qui a lu ce livre-là le premier. Il m’a aussitôt appelé pour me dire qu’il pensait que nous tenions l’histoire qui pourrait déboucher sur le film dont nous rêvions. J’ai aussitôt lu le livre et j’ai compris son choix. C’est une histoire dans laquelle l’émotion est omniprésente. L’enquête est très originale, elle porte sur la victime et non pas sur le meurtrier.

Avec en filigrane les relations entre Maigret et les jeunes femmes, sachant que le commissaire a perdu sa fille unique…

P. L. : Tout à fait. Maigret a perdu une fille. Comme Simenon d’ailleurs, et ce n’est pas un hasard. Et Depardieu a perdu un fils, mais n’allons pas nous perdre en amalgames… Mais d’une certaine manière cette enquête du commissaire est presque une enquête sur lui-même. Qui l’amène à réfléchir sur sa vie, ses propres sentiments, ses propres émotions. À mon sens la façon dont il ressuscite d’une certaine manière la jeune morte en prenant soin d’une fille paumée de son âge est très troublante. Je suis très heureux de ce plan où l’on voit Maigret en train de se raser et qu’il entend des rires dans la pièce à côté, où sa femme et Betty sont en train de prendre leur petit-déjeuner. On comprend que ce sont des rires qu’il aurait tellement aimé entendre si sa fille avait survécu. L’émotion est à son comble…

Entretien avec Patrice Leconte à propos de Maigret

C’est ce qui fait la différence entre Simenon et Agatha Christie, peut-être les deux plus grands noms de la littérature policière. Les romans de la seconde sont autant de mécaniques horlogères dont on se régale à isoler chaque rouage, alors que l’intrigue elle-même est au fond assez secondaire chez Simenon…

P. L. : Dit de cette manière c’est sans doute un peu tranché, mais ce n’est pas faux. Les enquêtes de Maigret ne sont qu’un prétexte à croiser tel ou tel personnage, à s’immerger dans tel ou tel milieu social ou professionnel. Les romans de Simenon d’ailleurs ne nous cachent souvent rien de l’identité du meurtrier dès leurs premières pages. J’avais adapté Les Fiançailles de Monsieur Hire avec Monsieur Hire, des années après Duvivier avec Panique*. Ce n’est pas un Maigret, mais c’est un bon exemple de ces histoires qui ne reposent pas sur un mystère, mais nous captivent par ce qui bouillonne dans la tête des personnages.

Lorsque, il y a quelques années, Laurent Heynemann ou Jacques Fansten ont tourné plusieurs épisodes de la série des Maigret avec Bruno Cremer pour la télévision, ils sont allés à Prague pour figurer le Paris des années 1950…

P. L. : Je me suis évidemment posé la question du décor, mais sans trop frémir. Parce qu’il y a assez peu d’extérieurs parisiens ayant besoin d’être datés. Les problèmes de décor ont été résolus les uns après les autres. Il était évident que la villa d’Aurore Clément n’allait pas être à Paris. Mais rien ne nous empêchait d’aller la chercher du côté du Vésinet. Nous l’avons trouvée, au milieu de rues faciles à bloquer, développant un charme intemporel auquel je tenais. Ce qui est amusant c’est que cette maison était celle de Joséphine Baker… qui a été la maîtresse de Georges Simenon.

Si vous aviez prévu d’aller à Prague, la pandémie de la COVID vous aurait posé quelque problème. Mais cela n’a pas eu d’impact en région parisienne ?

P. L. : Le tournage a été différé plusieurs fois, mais pas pour des raisons sanitaires. Le problème était budgétaire. Les producteurs ne trouvaient pas le financement. Je dois reconnaître que j’ai cru un moment que le film ne pourrait pas se faire. Mais à quelque chose malheur est bon… Le tournage n’a pas été interrompu par le confinement, contrairement à d’autres. Je me suis dit que nous l’échappions belle. Si nous avions dû tourner trois jours avant de nous arrêter six mois, cela aurait été terrible. Nous avons tourné en prenant toutes les précautions possibles. Et nous passions tous un test le jeudi soir afin d’avoir le résultat avant le week-end. Chacun savait s’il pourrait revenir le lundi… Trois membres de l’équipe au final se sont arrêtés une semaine, mais ni le réalisateur ni les comédiens, dont la présence était assez souhaitable, n’ont été touchés.

Entretien avec Patrice Leconte à propos de Maigret

Le choix de Gérard Depardieu pour incarner le rôle-titre semble être une évidence. Tous les Maigret du cinéma, à l’exception sans doute d’Albert Préjean, ont une évidente densité, ils sont terriens…

P. L. : Depardieu apporte une certaine pesanteur au personnage. Il est comme une machine qui se met en marche lentement et qui ne cesse d’avancer. Il ne sait pas exactement où il va, il le reconnaît volontiers, mais il avance. En tâtonnant, dans le noir. Un freluquet n’aurait pas pu avoir cette épaisseur, ce côté « bulldozer tranquille », et le personnage aurait été différent.

C’est un Maigret en fin de carrière que l’on voit à l’écran. Un homme qui doit surveiller sa tension, qui n’a plus le droit de fumer la pipe, qui peine visiblement à monter les escaliers… Il est fatigué.

P. L. : Il est fatigué. Mais je ne crois pas qu’il soit fatigué de vivre. Il est probablement fatigué d’être Maigret, et d’être confronté à la noirceur de l’âme humaine. C’est un homme désenchanté, qui a le sentiment d’être au bout du rouleau, d’avoir trop donné. La coupe est pleine et son enthousiasme a disparu. Et ce qui est émouvant c’est de voir son œil se rallumer et son cœur se remettre à battre parce qu’une fille de moins de dix-huit ans a été poignardée. Avec une autre victime, on peut penser que sa lassitude serait restée intacte.

Vous faites preuve de quelques saillies qui sont manifestement absentes du roman, telle la pipe de Magritte…

P. L. : Un peu d’humour et de légèreté ne saurait nuire. Mais le film et le livre dont il est adapté sont au final très différents. Toute la dernière partie du roman, qui se déroule en Amérique, n’est pas dans le film… Nous n’en avions pas les moyens, mais de façon beaucoup plus directe, la fin, qui est consacrée à la résolution de l’affaire, ne m’intéressait pas beaucoup. Avec Jérôme nous avons supprimé pas mal de personnages. En revanche nous avons ajouté le personnage de Betty, la jeune femme que Maigret prend sous son aile. Un peu dans l’esprit de Sueurs froides, où la jeune morte se voit accorder d’une certaine manière une seconde chance, sous les traits d’une autre. Nous avions à ce sujet un peu le trac quand nous avons soumis le scénario à John Simenon, qui avait le pouvoir de bloquer le projet s’il l’avait trouvé indigne de l’œuvre de son père. Mais John a donné son aval en précisant que son père aurait été ravi de cette adaptation.

Vous avez travaillé avec un certain nombre de scénaristes différents. Pourquoi le choix de Jérôme Tonnerre, avec qui vous aviez écrit Confidences trop intimes et Mon meilleur ami ?

P. L. : Ainsi que le scénario des projets récents qui n’ont hélas pas débouché… Notamment La Maison vide, que je devais faire avec Alin Delon et Juliette Binoche. Avec Jérôme c’est un vrai plaisir de travailler. C’est un scénariste à géométrie variable, que je peux entraîner sur des terrains différents. Je crois que nous nous complétons très bien. Simenon était un terrain parfait pour nous. Quand nous écrivons, nous passons des jours entiers dans la même pièce, à essayer de coller ensemble les pièces du puzzle. Mais une fois le schéma en place, c’est en l’occurrence Jérôme qui s’est chargé de la rédaction finale. Ce qui n’empêche pas au final pas mal d’allers et retours par mails pour effectuer quelques modifications.

Comment l’idée de rester intemporel s’est-elle imposée concernant les dialogues ? L’argot des polars des années 1950 est devenu totalement daté et il y a belle lurette que l’on ne « glisse plus sa liquette dans son falzar » quand on se lève…

P. L. : Il fallait effectivement rester intemporel. Et les dialogues ne sont au final pas envahissants. Nous voulions que Maigret soit plutôt taiseux. Il le dit d’ailleurs dans le film quand on lui demande comment il fait parler les gens. Il répond : « Je ne fais rien, je les écoute ». C’est un homme à l’affût, il est poreux, comme une éponge. Quant à l’argot, je crois que si nous lui avions laissé une place, les dialogues auraient paru écrits, ils auraient été encombrants.

Et pour les décors, les costumes ?

P. L. : Nous n’avons pas insisté sur le fait que l’action se déroulait dans les années 1950. Quand Maigret sort de la villa du Vésinet, on aperçoit plusieurs voitures d’époque. Mais je crois que c’est l’un des rares scènes permettant de dater le film. Bien sûr, la voiture de Maigret est une 203 Peugeot, mais on l’oublie assez vite. Pour être honnête, cela ne m’intéressait pas vraiment de faire des recherches pointues pour mettre en valeur les briquets ou les chaises de l’époque… Il n’y a pas d’anachronisme, mais il n’y a pas de volonté déterminée à reconstituer l’époque non plus.

Le film est néanmoins stylisé, ce qui nous éloigne du contemporain…

P. L. : J’aime bien cela bien sûr. Je n’ai jamais été aussi loin dans cette direction qu’avec Monsieur Hire. Je mets les spectateurs au défi de coller une date sur le film, d’autant que j’ai semé quelques fausses pistes. Mais ce n’est pas pour les perdre, simplement pour échapper à toute tentative de datation. Maigret se déroule évidemment à Paris, nous sommes sur les bords de Seine… On sent que l’histoire et les personnages appartiennent à une époque révolue, mais cela reste un peu flou.

Entretien avec Patrice Leconte à propos de Maigret

La trame est peut-être un peu datée. Non pas qu’il n’y ait plus de jeunes provinciales qui viennent se brûler les ailes à Paris en espérant trouver une vie meilleure, mais ce n’est plus sous cette forme-là…

P. L. : Tout à fait. Il y a effectivement cette notion de tentative d’une autre vie à Paris, tentative qui échoue bien souvent. Nous avions prévu de filmer le départ de Betty qui quitte Paris à la fin du film sur un quai de gare. Mais c’était de la folie que de vouloir réunir des wagons d’époque, un quai de gare et une figuration nombreuse. C’était tellement plus facile de trouver deux autocars d’époque et de transformer le lieu de départ en gare routière. C’est vrai que ce choix était également le fruit du rétrécissement du budget. Mais ce n’est pas frustrant, l’idée étant de trouver à chaque fois les bonnes solutions sans dénaturer le film que l’on a en tête. Et puis aujourd’hui le cinéma ne va pas assez bien pour que l’on fasse des caprices qui au final n’apporteraient pas vraiment de plus-value au film. Je considère en outre que les contraintes constituent un très bon moteur pour la création.

Vous avez en commun avec Gérard Depardieu d’être omniprésents dans le cinéma français depuis des décennies, et pourtant vos chemins ne s’étaient jamais croisés…

P. L. : Nous nous étions croisés, frôlés peut-être, mais effectivement nous ne nous connaissions pas. Mais bien sûr mon envie de travailler un jour avec Depardieu est ancienne. Maigret était une occasion épatante de faire un film ensemble. Et quand je lui ai proposé d’être Maigret, il n’a pas dû réfléchir plus de dix-sept secondes avant de me dire oui. C’est un lecteur de Simenon. Incarner Maigret ne lui était pas indifférent. Et je crois qu’il ne détestait pas l’idée de travailler avec moi.

Il avait vu vos films !

P. L. : Probablement, mais nous n’en avons jamais parlé. De même que j’ai une certaine réticence à dire aux comédiens que je les aimés dans tel ou tel rôle. J’aurais l’impression de me livrer à une espèce de flagornerie cinéphile un peu facile.

Entretien avec Patrice Leconte à propos de Maigret

On sait que Depardieu est un peu las du cinéma, il ne s’en cache pas le moins du monde quand il est interviewé. Comment dans ces conditions en tirer le meilleur ?

P. L. : Je crois que cette lassitude apporte au film. Parce que Depardieu a fonctionné pour ce tournage comme Maigret dans son enquête. Le commissaire semble au bout du rouleau, revenu de beaucoup de choses… Et tout à coup la rencontre du cadavre d’une jeune femme lui redonne le goût de vivre, son intérêt pour son métier redevient brûlant. Je crois pouvoir dire que le projet a porté Depardieu autant que celui-ci portait le projet. Il a toujours été là, au premier rang, même pour des scènes où il ne jouait pas, même quand les techniciens demandaient un peu de temps. Il est resté tout au long bouleversant, immense, sublime. Et j’ajouterai que contrairement à ce qui se dit parfois, il connaissait parfaitement son texte. Je ne dirai pas que Gérard aime être dirigé, ce n’est pas le terme qui convient, mais il aime être encadré, faire partie d’un projet qui semble savoir où il va.

Comment était l’atmosphère sur le plateau ?

P. L. : Je déteste les conflits et je crois que dans l’ensemble l’ambiance est plutôt bonne sur les plateaux de mes films, j’y veille. Mais en dehors de la crainte que tel ou tel ait un test COVID positif à la fin de la semaine, je crois pouvoir dire que l’harmonie était totale. J’ai rarement eu un sentiment aussi fort que tous allaient vraiment dans la même direction, vers le même objectif. C’était magique… Et puis je voyais bien que nous tournions le film que je voulais faire. C’est très difficile, à chaud, de dire si l’on a réussi ou raté un film. En revanche il est tout à fait possible d’évaluer si le film a beaucoup bougé entre sa conception et sa réalisation, pour des tas de raisons, ou s’il ressemble vraiment à ce que l’on avait en tête. C’est le cas de Maigretn

Propos recueillis par Yves Alion

Réal. : Patrice Leconte. Scén. : Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre, d’après le roman Maigret et la Jeune Morte (1954), de Georges Simenon. Phot. : Yves Angelo. Mus. : Bruno Coulais et Michael Nyman. Prod. : Ciné@, F comme film, SND Films et Scope Pictures. Dist. : SND (France). Int. : Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier, Clara Antoons, Pierre Moure, Aurore Clément. Durée : 1h28. Sortie France : 23 février 2022.

Les entretiens avec Patrice Leconte dans L’Avant-Scène Cinéma : La Fille sur le pont (n°489), L’Homme du train (n°515), Ridicule (n°521), Une promesse (n°611) et Tandem (n°673)

Leconte fait son cinéma

Patrice Leconte a fait de la BD avant de faire du cinéma. Et c’est la rencontre de Gotlib à Pilote qui lui a permis de se lancer dans un premier long métrage adapté des BD de l’auteur de la Rubrique-à-brac, Les vécés étaient fermés de l’intérieur. C’est donc par un juste retour des choses que la BD s’intéresse à son tour au travail du cinéaste. Nicoby et Joub ont un beau jour sonné à la porte de Patrice Leconte pour lui proposer de publier un album qui mettrait son travail en lumière. L’intéressé s’étant montré intéressé, les deux compères ont suivi notre homme jour et nuit (enfin, pas tout à fait quand même) à travers ses pérégrinations diverses. Ce qui nous permet de découvrir le quotidien d’un cinéaste parcourant les festivals, donnant des rendez-vous à tire-larigot (ce n’est pas la porte à côté) et tentant de mettre un film sur les rails. Pas toujours facile, même quand on s’appelle Patrice Leconte et que l’on a une filmo comme la sienne, ce qui explique que Maigret mette fin a un gap de huit ans (son dernier film, Une heure de tranquillité date de 2014, un an après son dernier chef-d’œuvre, Une promesse – dont nous avons signalé le mois dernier la sortie du DVD français). Le résultat est plutôt poilant (un adjectif que chérit le signataire des Bronzés), les auteurs ne rechignant pas à se mettre en scène dans leur relation avec Leconte. C’est assez émouvant, les passages à vide n’étant pas laissés de côté. C’est très inventif, les encadrés, les flash-back (sur les films du cinéaste) et autres pas de côté venant ponctuer le récit, qui a l’élégance de signaler les BD de Leconte et de montrer les repérages de Maigret en superposant le dessin sur des photos du décor. C‘est super-pédago, puisque toute la prépa du film nous est détaillée, l’album ne prenant fin qu’au moment où commence le tournage. Le trait de Nicoby est simple mais efficace. De la ligne claire classique et bourrée de fantaisie. Qui lui permet au passage de dessiner son comparse Joub avec le gros nez d’Achille Talon. Autant dire que le plaisir est au rendez-vous… n Y. A.

Leconte fait son cinéma., de Nicoby et Joub, Aire Libre (Dupuis), 146 pages.

Maigret à l’écran

Le commissaire Maigret est de toute évidence l’un des personnages de roman auquel le cinéma et la télévision ont rendu le plus volontiers hommage. Tant et si bien que cet habitué du Quai des Orfèvres s’est au final baladé dans pas mal de pays. On signale des séries télé au Japon, en ex-Yougoslavie, en Tchéquie et même une coproduction russo-ukrainienne (qui n’a visiblement pas suffi à calmer les tensions) … Sur le petit écran, notre homme a ainsi pris les traits de Sergio Castellito, de Richard Harris ou de… Rowan Atkinson. Au cinéma, il s’est glissé dans la peau de Burgess Meredith ou de Gino Cervi (le Pepone de la série des Don Camillo)…

Si l’on en reste aux productions purement françaises, le commissaire a pour beaucoup le visage de Jean Richard et de Bruno Cremer [ci-dessous]. L’un et l’autre ont en effet occupé le petit écran pendant des décennies, puisque 72 épisodes ont été produits entre 1967 et 1990 avec le premier, contre 54 entre 1991 et 2005 avec le second…

Maigret est la figure centrale de 75 romans et 28 nouvelles publiés entre 1931 et 1972. Autant dire que le cinéma français n’a pas tardé à s’en emparer, puisque c’est en 1932 que Jean Renoir réalise La Nuit du carrefour (avec son frère Pierre dans la peau du détective). Dès lors les adaptations vont naître avec une régularité de métronome, les trois films avec Albert Préjean étant par exemple mis en chantier (pour la Continental) quelques mois à peine après la publication des livres dont ils sont adaptés. Maigret voit rouge (1963) a longtemps fait figure de petit dernier, quelques années à peine avant que Simenon décide de mettre son héros à la retraite. Il aura donc fallu attendre 59 ans de plus pour revoir Maigret (pour la première fois en couleur) dans une salle de cinéma…

Dans le cadre du cinéma français, ce sont donc 8 comédiens qui se sont succédé (avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de constance) dans le rôle…

1 – Pierre Renoir dans La Nuit du carrefour (1932), de Jean Renoir.

2 – Abel Tarride dans Le Chien jaune (1932), de Jean Tarride.

3 – Harry Baur dans La Tête d’un homme (1933), de Julien Duvivier.

4 – Albert Préjean dans Picpus (1943), de Richard Pottier, Cécile est morte (1944), de Maurice Tourneur, et Les Caves du Majestic (1945), de Richard Pottier.

5 – Michel Simon dans Brelan d’as (1952), d’Henri Verneuil.

6 – Maurice Manson dans Maigret dirige l’enquête (1956), de Stany Cordier.

7 – Jean Gabin dans Maigret tend un piège (1958), Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre (1959) tous deux de Jean Delannoy, et Maigret voit rouge (1963), de Gilles Grangier.

8 – Gérard Depardieu dans Maigret (2022), de Patrice Leconte.




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