Publié le 12 juillet, 2021 | par @avscci
0Entretien Just Philippot – La Nuée
Film de genre et d’insectes géants, La Nuée est avant tout un drame familial et le portrait d’une femme dévorée par ses contradictions, par le poids de ses rêves et celui de sa famille. Cet excellent premier métrage est né d’une rencontre entre un scénario, ses écrivains, et un cinéaste qui s’est ensuite greffé au projet. Une approche pas si fréquente que cela en France, lié aux ateliers Sofilm, et qui explique que tout entretien autour du film se fasse à trois voix : le metteur en scène et les deux auteurs.
PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-SIMON GUTMAN
Comment êtes-vous arrivé sur le projet ?
Just Philippot : Tout a démarré de façon assez idéale et incroyable par l’initiative de producteurs qui étaient liés aux résidences Sofilm de genre. Cette initiative a été portée par Thierry Lounas, mon producteur chez Capricci films qui, il y a de ça quatre ou cinq ans, a lancé des résidences un peu hors-normes en essayant de renouveler la fabrication des films. Ce qui l’intéressait c’était de faire se rencontrer des réalisateurs, des scénaristes, des techniciens, des superviseurs de VFX, des compositeurs de musique, des graphistes, dans un environnement propice à un échange d’idées, dans le but de proposer des choses nouvelles et faisables techniquement. L’idée était d’aller sur des cinémas de genre – cinéma de genre ça veut tout et rien dire – mais un cinéma porteur d’effets, que ce soit du film de catastrophe, du film de zombie… Il n’y avait aucune règle au niveau de l’esthétique, le principal était que ça puisse se faire mais en même temps d’être suffisamment bien écrit pour ne pas être simplement des histoires gratuites ou des histoires à effets. Il s’agit plutôt de faire entrer naturellement les effets dans la narration et de proposer des choses intéressantes et nouvelles.
J’ai participé à cette résidence en région Centre-Val-de-Loire, dans laquelle j’habite. J’ai rencontré Thierry et tous les interlocuteurs de cette résidence via un projet que j’avais écrit, Acide, un court métrage apocalyptique : une famille poursuivie par un nuage de pluie acide, qui tente de trouver une issue et de résister à la catastrophe. Ce court a très bien marché et a été repéré. Il a été une bonne carte de visite pour montrer les ambitions de Thierry et faire des rencontres. Le film a été acheté par Canal+, a fait des festivals internationaux et a été pour moi une carte de visite. À Clermont-Ferrand, Thierry est venu me voir en me disant : « Just, comme tu as l’air d’être un spécialiste des nuages, j’ai un autre nuage à te proposer, un nuage d’insectes. » Le scénario était super prometteur, il faisait partie des premières résidences d’écriture. Selon Thierry, La Nuée, écrit par Jérôme Genevray et Franck Victor, serait un très beau premier film pour moi par rapport à ma filmographie, à mon rapport au film de genre et aussi à l’air du temps. Il est venu vers moi de façon assez naturelle, j’ai rencontré Manuel Chiche qui est coproducteur et co-distributeur du film et à partir de là s’est engagé un processus de discussion entre Jérôme, Franck et les producteurs pour savoir comment La Nuée allait sortir de tout ça.
Qu’avez-vous reconnu de votre univers dans le scénario, qui vous permettait de l’envisager comme votre premier long-métrage ?
J. P. : Lire un scénario est vraiment une affaire de goût. Chacun a une façon d’écrire, d’imaginer. Jérôme et Franck avaient leur univers et ils avaient des idées visuelles car tous les deux réalisent des films. Ils ont donc un sens de l’image et de la mise en scène qui était inscrit dans le scénario. Le scénario était pour ainsi dire prêt à l’emploi. Il était très axé film de genre avec des sauterelles mutantes qui allaient changer de couleur, de forme, devenir plus « aliénantes » en terme de design et de présence sur cette famille. Je n’étais pas forcément à l’aise avec ces idées, cet ancrage dans le film de genre ne m’intéressait pas forcément en tant que cinéphile et réalisateur. Au milieu de cela il y avait ce personnage de mère qui pour moi était le vrai monstre, plus que les sauterelles. Une femme qui va devenir un monstre magnifique, une femme poussée par le besoin d’aider sa famille mais qui fait les mauvais choix. Pourtant, on ne peut pas lui reprocher de jouer avec la nature pour aider sa famille. Toute cette contradiction était présente dans le scénario : la part sociale de cette histoire était pour moi le vrai sujet, on parle de précarité dans le monde agricole, du capitalisme qui fixe les coûts le plus bas possible, et de la logique du rendement. Cette histoire parle beaucoup plus de nous que des sauterelles. J’étais super intéressé par cet aspect social, cet environnement hyperréaliste à partir duquel on pouvait créer une forme de plus en plus fantastique. Cela permettait de réunir le drame social, ou le thriller agricole, avec une forme de film catastrophe, qui est un type de cinéma que j’affectionne et que j’avais déjà testé avec Acide.
Aviez-vous des références dans le cadre du cinéma français et du cinéma international ?
J. P. : Les références étaient assez inhibantes : Phase IV, Alien, La Mouche, Les Oiseaux, mais je n’ai revu aucun film pour imaginer La Nuée. Au contraire j’ai vu des documentaires, comme les films de Raymond Depardon ou ce film qui m’a été présenté par Suliane Brahim, Anaïs s’en va-t-en guerre, de Marion Gervais, l’histoire d’une jeune femme qui fait des herbes aromatiques et des plantes médicinales et se lance dans un projet un peu délirant, en tout cas pour les agriculteurs du coin et le maire : on la voit s’occuper de ses plantes et de ses vaches et c’est une figure de la féminité incroyable, qui se met à produire à grande échelle. On est avec cette jeune femme seule, son combat quotidien, son travail, ses espoirs et ses désespoirs. C’est devenu la référence du film sur plein de points, mais d’un point de vue plus esthétique et plus fantastique nos références étaient des films cultes. Je n’ai pas eu besoin de revoir Les Oiseaux car je l’avais déjà digéré, et je ne voulais pas le revoir car j’avais peur d’être inhibé, peur de faire moins bien. On était dans un film fragile économiquement, face à des films qui sont écrasants par leur cinégénie, avec des moyens qui ne sont pas les nôtres. Je ne voulais pas me comparer à l’incomparable et souffrir de références trop lourdes. Les documentaires m’ont nourri pour faire autre chose de cette histoire qu’un semblant de transcription du cinéma américain dans un milieu français. C’est un film qui raconte notre monde et qui s’inspire du Lot-et-Garonne, le lieu dans lequel il a été tourné, avec ses agricultures, sa géographie, son territoire, ses éleveurs de canards. Les éleveurs de canards n’étaient pas dans la version de Franck et Jérôme : en faisant mes repérages en Lot-et-Garonne je me suis demandé à qui cette femme vendait sa farine, il me fallait intégrer son business dans un milieu concret. En voyant des canards manger des graines, je me suis dit qu’il s’agissait de l’animal idéal pour manger la farine. La réalité apporte des détails qui donnent un visage réaliste au film, ancré dans des problématiques réelles. C’était le plus important pour moi.
Il y a eu beaucoup de références, même si ce ne sont pas celles qu’on attend…
J. P. : Oui, mais il ne fallait surtout pas tomber dans une gratuité de l’effet. J’ai fait des recherches sur les serres en Bretagne, en plastique, éclairées jour et nuit. Lorsqu’il y a de la brume, elles provoquent une pollution lumineuse incroyable, avec des couleurs rouges, vertes, qui éclairent la nuit. Ces dômes de plastique étaient presque une nouvelle planète à l’intérieur de laquelle tout était possible, on pouvait faire des éclairages un peu étranges. Ces tentes permettaient des jeux de lumière, un travail esthétique permettant de passer du Lot-et-Garonne à un film de Carpenter. L’équilibre entre Petit Paysan et Alien est vraiment ce qui m’intéressait et le décor permettait ce grand écart.
Comment s’est passée la distribution ? Les personnages ont-ils évolué en fonction de leurs interprètes ?
J. P. : Au départ les producteurs avaient déjà pensé à une actrice mais elle n’était pas disponible car elle attendait un enfant, j’ai donc eu la liberté de choisir quelqu’un d’autre. On imagine d’abord des noms bankable. J’ai résisté aux appels des grandes comédiennes qui voulaient faire le film et auraient permis à la production de bénéficier de plus de moyens. J’avais Suliane en tête, je l’avais vue à la Comédie-Française et dans la série Zone blanche : si on propose quelque chose de nouveau au spectateur, il faut aussi lui proposer des gens différents. La grande erreur du cinéma de genre est de proposer des castings qui ne correspondent pas aux spectateurs qui ont envie de nouveauté, de découvrir des univers. Suliane est une actrice géniale et en même temps très accessible car c’était son premier film, elle n’avait rien d’écrit à l’image qui l’aurait empêchée de partir là ou je voulais l’emmener. Le personnage masculin, interprété Sofian Khammes, s’appelait dans le scénario Pascal, c’était une figure classique du milieu viticole, la cinquantaine, pas très beau, qui aurait pu être joué par plein d’acteurs connus qui ont déjà interprété des rôles de paysans. J’ai proposé quelqu’un d’un peu plus original et dans l’air du temps… Elle est pionnière dans son domaine et lui aussi : il est d’origine maghrébine, nouveau dans la région, il fait du vin, n’a pas toujours été bien accepté mais il a fait sa place. C’est une belle histoire d’amour entre une femme et un mec peut-être un peu plus jeune qui est peut-être le seul capable de la comprendre. Il faut aller vers des personnages qui ne sont pas assez exploités dans le cinéma français et qui vont leurrer les pistes, qui vont amener le spectateur à se dire : « Tiens, ça ne ressemble pas à une histoire que j’ai déjà vue. » Et puis ce personnage je le reconnais, il fait partie de ces néo-ruraux qui tentent des trucs, qui n’ont pas le profil de l’emploi mais qui sont hyper à l’aise dans la permaculture ou le vin. On en croise de plus en plus sur les marchés. Il fallait que l’on soit connecté à la société d’aujourd’hui, où les gens changent de parcours. J’avais déjà travaillé avec Sofian, je le trouvais hyper talentueux et on ne l’attendait pas dans ce registre. Cela permettait d’aller dans une affiche jamais vue dans le cinéma français.
Quel a été pour vous le plus grand défi sur le plateau ?
J. P. : Je voulais absolument avoir des effets réalistes. Les effets numériques étaient au-delà du budget et dans beaucoup de séquences il fallait pouvoir toucher les sauterelles, on ne pouvait pas mentir. Un jour ma directrice de production m’a demandé combien de sauterelles j’aurai besoin d’utiliser sur le plateau. J’ai regardé le scénario et j’ai dit 600 000. On m’a répondu : 5000 pas plus car ça coûte très cher. Cette réduction de mes ambitions m’a permis de questionner le décor, de jouer avec le hors-champ, l’opacité du plastique pour ne pas tout montrer et stimuler le spectateur, dont l’imagination pouvait doper ce décor qui manquait de sauterelles.
Le premier défi a été de partir de ces 5000 sauterelles pour arriver aux nuées tueuses de la fin du film. Le deuxième défi, le plus excitant, était de réunir deux types de film. D’un côté on devait créer des interactions très naturelles, avec une direction d’acteurs et un découpage lié à une forme de spontanéité : les scènes de famille, de repas, d’engueulade étaient écrites, ça ne fonctionne jamais sur le plateau, donc il faut chercher le naturel, adapter sa caméra et son équipe à un jeu plus libre. À l’inverse on avait des scènes hyper techniques, où tout a été réfléchi, dessiné. Il y a une logique de l’instant et des scènes beaucoup plus préparées. Dans une journée de tournage nous pouvions avoir des scènes très différentes. Nous pouvions démarrer sur une scène de repas très libre puis passer à une scène technique avec trois heures de maquillage et un superviseur VFX qui nous donnait des règles. Cela demande d’être à la fois un peu roots et très précis. Comme vous n’avez pas tous les effets sur le plateau il faut aussi être dans une projection permanente, ce qui est un peu fatiguant : les masses d’insectes que vous voyez vivre à l’écran étaient manipulées par des gens avec des bâtons, ce qui leur donnait un aspect un peu cheap de film suédé, mais il fallait garder le cap, imaginer ce que ça allait donner, comment le montage allait lier de façon naturelle les scènes de vie et les scènes techniques, et ne jamais créer de disproportion. Toutes les étapes vers le fantastique doivent être bien dosées, ni trop grande ni trop petites. Le plus difficile est vraiment de réunir ces formes de cinéma différentes au sein d’une journée de tournage qui est courte et fragile en termes de production.
Qu’est-ce que ce film vous appris sur votre métier et sur vous-même ?
J. P. : L’enjeu du premier film, et même du second, c’est de lancer sa carrière. Si ça se passe bien avec le premier film, j’aurai la chance d’en faire un deuxième et peut-être un troisième. Si ça rate, je flingue ma carrière et c’est terminé. En plus flinguer sa carrière sur un film de sauterelles, ça vous colle des étiquettes sur le dos… Si ça devait être mon premier et dernier film je devais vraiment y aller, tenter des choses, prendre du plaisir, même si vous ne prenez jamais vraiment du plaisir sur un plateau car la pression est trop grande, vous ne profitez jamais de ce métier merveilleux car il faut gérer les contrariétés, mais cela fait partie du job et c’est ce qui le rend passionnant. On dit souvent que pour un premier film il faut éviter les enfants, les effets spéciaux, les animaux, les scènes de feu…Nous avons tout coché. Normalement on ne fait pas La Nuée pour commencer. Il y a plein de raisons qui font que ça peut rater et devenir vraiment nul, mais là j’ai trouvé une équipe super et j’ai la sensation que nous avons réussi collectivement. Les techniciens ont été plus généreux que lorsqu’ils sont sur des plateaux de films plus classiques. Ce tournage m’a conforté dans ce job de réalisateur qui n’est finalement que suivre des intuitions. n
PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-SIMON GUTMAN ET MIS EN FORME PAR SYLVAIN ANGIBOUST
Entretien avec Jérôme Genevray et Franck Victor, scénaristes
Comment avez-vous commencé à travailler sur le film ?
Jérôme Genevray : J’ai commencé par développer ce projet qui s’est appelé Happy Meal puis Le Plat de résistance, deux titres discutables et que l’on a bien fait d’abandonner. Franck m’a rejoint plus tard, au moment de participer aux résidences Sofilm. Le scénario est parti de deux constats qui sont devenus le corps de notre histoire, aussi bien en termes de sujet que de thème. Nous nous sommes d’abord demandé ce qu’on peut raconter aujourd’hui de différent et de constructif sur l’écologie. Franck est vegan et j’avais des discussions avec lui sur comment se nourrir mieux et sans nuire à la planète. La deuxième réflexion, qui est plus proche du parcours interne du personnage principal, est venue un des nombreux soirs où j’essaie de trouver des pitchs à écrire. Mes deux petites filles, qui avaient cinq et huit ans l’époque, sont venues me demander de jouer. J’ai refusé car j’étais encore en train de travailler mais je me suis dit que la vie ce n’est pas se consacrer pleinement à son travail jusqu’à avoir la sensation de réussir, mais c’est plutôt équilibrer le temps de réussite personnel et le temps d’amour que l’on donne à ses enfants. Ces deux éléments se sont joints pour former une histoire. J’ai eu un déclic en lisant un article sur l’alimentation de demain à base d’insectes. J’en ai parlé plusieurs fois à Franck, il m’a donné de nombreux retours, conseils, points de vue, comme on s’en donne à chaque fois sur nos scénarios, et finalement je lui ai proposé que l’on écrive ensemble. C’était une histoire qui nous plaisait tous les deux et, étant amis, ça faisait longtemps qu’on voulait travailler tous les deux.
Le film est également un drame sur une femme qui se perd dans son travail. Vous aviez des références précises en tête ?
J. G. : Mon envie d’histoire se base toujours sur des contes, des mythes ou des légendes. Ces récits ont une dimension thématique forte, des métaphores qui en font l’ancêtre des films de genre, des films fantastiques ou d’horreur. Avec Franck, nous essayons d’abord de raconter une histoire, un conflit autour d’un personnage, et ensuite nous ajoutons le genre. Le genre vient à nous aussi bien pour des questions de positionnement marketing – ce que nous assumons tout à fait – que d’un point de vue dramaturgique car cela permet de pousser plus loin les angoisses existentielles des personnages. Le scénario s’est d’abord construit sur une histoire, sur un sujet, en ensuite sur un genre. En termes de référence, j’ai eu très tôt en tête Phase IV, l’unique film réalisé par Saul Bass qui raconte l’histoire de fourmis qui se rebellent contre l’homme, d’une façon très poétique et singulière.
Franck Victor : Que ce soit du genre ou pas, ce qui va nous intéresser ce sont vraiment les personnages. Notre obsession est qu’ils fonctionnent, sinon le genre ne fonctionnera pas. Le seul élément fantastique, ce sont les sauterelles qui boivent du sang et deviennent très dangereuses ; le reste se veut le plus réaliste possible. Une de nos références principales dans l’écriture c’était La Mouche de Cronenberg. Les premières versions de La Nuée étaient assez « boursoufflées », avec beaucoup de personnages, plusieurs villages, d’habitants et le maire qui était l’ennemi. Nous avons élagué pour aller vers une forme épurée, raconter ce drame familial avec très peu de personnages. C’est devenu beaucoup plus intime : l’ennemi du personnage principal est devenu sa fille. La Mouche est le film qui structurellement nous a le plus aidé pour affiner notre récit.
Il y a plusieurs récits dans La Nuée : un film de monstre, le drame personnel de cette femme, et un récit plus scientifique et politique sur la question de la nourriture. Comment avez-vous équilibré les trois aspects ?
F. V. : Nous avons fait des recherches pour savoir comment s’organise un élevage de sauterelles ou comment travaille une femme entrepreneure seule, mais ce n’est pas là-dessus que nous avons écrit. Notre scénario parle d’une mère qui veut réussir mais qui est en conflit avec ses enfants et qui, en voulant les protéger, risque de les détruire. Tout le reste découle de ça. La question de l’écologie est centrale mais le cœur du récit c’est la relation entre une mère et sa fille. Les autres sujets se sont intégrés d’eux-mêmes car ils étaient là au départ.
J. G. : De façon plus technique, il faut distinguer le sujet et le thème. Le sujet, c’est ce qui est visible : le titre, l’affiche, le récit jusqu’à la moitié de l’acte deux. Le thème est quelque chose de plutôt caché, mais c’est ce pour quoi les gens vont rester si on a bien travaillé. Le sujet est le problème externe du personnage, ce qui est visible, ce à quoi les spectateurs s’attendent que le personnage résolve, mais ce n’est pas ça le fond de l’histoire. Le fond de l’histoire, c’est le thème : la faille psychologique que va réussir ou pas à surmonter le personnage pour changer son destin. En équilibrant ces deux lignes narratives, on arrive à garder ces deux points de vue.
Qu’est-ce qui vous a surpris dans la vision qu’a donné le réalisateur de cette histoire sur laquelle vous avez travaillé pendant longtemps ?
F. V. : Je pense que Just insiste sur l’écologie. Il a raison mais ce n’était pas le fond du film. Nous avons eu beaucoup de discussions avant et pendant le tournage sur des choses qui nous importaient et qui devaient être dans le film. Sa vision était assez proche de la nôtre car il avait fait un court métrage, Ses souffles, qui montre une femme qui vit dans sa voiture et s’occupe de sa petite fille. Nous avions une thématique très proche… Just a beaucoup fait ressortir l’aspect écologique et l’aspect social de l’autoentrepreneur en galère. C’était déjà là dans le scénario mais il l’a souligné. Nous avons été agréablement surpris de ses choix.
J. G. : Nous avons choisi le réalisateur d’un commun accord avec le producteur, ce qui est assez rare. C’était précisé dans nos contrats car nous voulions absolument éviter que le film soit fait par un réalisateur dit « efficace », qui aille trop vers le genre, fasse des images étonnantes mais s’écarte trop de l’histoire et des personnages.
F. V. : Just est resté dans l’intime et c’est ce qu’il fallait faire.
On parle actuellement d’un changement dans le statut de scénariste, souvent déconsidéré dans le cinéma français. Voyez-vous ce changement ?
J. G. : C’est en train de changer mais c’est une lutte : le scénariste est très vite méprisé et oublié. Nous avons fait plusieurs résidences d’écriture avec Just, passé deux ou trois semaines à parler du fond des personnages pour nous mettre d’accord sur ce que le film raconte profondément. Le réalisateur n’a pas le scénario pour en faire un autre film ; c’est comme ça qu’on fout par terre une histoire. Nous nous sommes sentis respectés mais c’est un travail de chaque instant car en France on pense que les scénaristes ne servent pas à grand-chose. 2 ou 3% du budget d’un film français sont alloués au scénario ; aux États-Unis c’est 10%, ce qui veut tout dire. Il n’y a pas assez de temps consacré au scénario dans le cinéma français et ça se voit. Ce n’est pas un secret, lorsqu’on scénariste a deux ans pour écrire et qu’il est payé, il ne fait pas le même travail qu’en trois mois.
F. V. : Mon fantasme est qu’un jour l’appellation « un film de… » soit suivie du nom du réalisateur et des scénaristes. Just est un des auteurs de La Nuée, il a apporté sa patte, mais autant que nous. Il faut reconnaitre qu’un récit est autant la mise en images que le concept. L’ADN du récit est le scénario.
J. G. : Lorsqu’un film est adapté d’un roman de Stephen King, on précise par exemple Stephen King’s Misery. On adore le travail de Just mais on ne peut pas simplement dire que La Nuée est un film de Just Philippot. C’est un film réalisé par Just Philippot et écrit par Jérôme Genevray et Franck Victor.
PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-SIMON GUTMAN ET MIS EN FORME PAR SYLVAIN ANGIBOUST
Réal. : Just Philippot. Scn. : Jérôme Genevray et Franck Victor, d’après une idée originale de Jérôme Genevray. Phot. : Romain Carcanade. Mus. : Vincent Cahay. Prod. : Thierry Lounas, Manuel Chiche. Dist. : Capricci Films / The Jokers Films. Int. : Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne, Raphaël Romand, Victor Bonnel. Durée : 1h40. Sortie France : 16 juin 2021.