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Publié le 29 septembre, 2015 | par @avscci

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Entretien exclusif : Jia Zhang Ke

ASC : Une question classique mais indispensable: quand le projet A Touch of Sin a-t-il vraiment démarré pour vous, et quels éléments vous ont inspiré ?

Jia Zhangke : C’était environ durant l’année 2013. Beaucoup de faits divers violents ont alors eu lieu en Chine. Ils étaient connus grâce à une nouvelle plate-forme médiatique, c’est-à-dire grâce à des internautes —– Wei Bo par exemple. Ces affaires des violences, qui sont devenues un phénomène fréquent, m’ont rendu très inquiet. J’ai toujours réfléchi sur l’essence des raisons pour lesquelles des personnes faibles utilisaient la violence par rapport à d’autres personnes faibles. À ce moment là, je n’ai pas encore pensé à en faire un film. Mais par coïncidence j’ai relu le roman classique chinois Au bord de l’eau (titre orignal : Shui Hu Zhuan), j’en ai tout de suite ressenti une forte tristesse. Parce que ces cas actuels sont très semblables à ce que que les gens de l’époque ont subi. Cela m’a rappelé à quel point le problème de la violence a pu exister tout au long de l’histoire humaine. Cela m’a aussi poussé à trouver des similarités entre la situation des gens de l’époque et ceux de maintenant. Le développement humain se trouvait déjà là, et m’a amené à faire A Touch of Sin.

Combien de temps a duré l’écriture du scénario ?

J’ai fini le scénario pendant un voyage. Lorsque j’ai décidé de l’écrire, je suis parti de Pékin, et suis retourné à mon lieu natal Shanxi. C’est l’endroit où se passe l’histoire de DAHAI dans la première partie du film. Ensuite, je suis allé à Chongqing, la ville dans laquelle l’histoire de ZHOU SANER se passe, dans la deuxième partie du film. Puis je suis parti de Chongqing pour la ville de Yichang de la province de Hubei, et jusqu’à Shen Nongjia. l’endroit où se déroule l’histoire de XIAO YU, dans la troisième partie. Puis, je suis enfin arrivé à la ville de Dongguan de la province de Guangdong, là ou prend place la dernière histoire. Ce scénario a donc été écrit pendant ce voyage, en sentant l’ambiance de la région, et ce jusqu’au tournage, six mois plus tard.

Comment la violence, thème centrale du film, doit pour vous être montrée ? Quels ont été vos choix pour les scènes de meurtre ou de violence sociale ?

Avant le tournage, j’ai hésité en me demandant s’il était nécessaire de montrer ces moments, de décrire visuellement ce processus. Mais si je ne le filmais pas, je ne pouvais évoquer le problème même de la violence. J’ai finalement décidé de tourner très attentivement ces séquences, parce que je pense que lorsqu’on affronte cette violence, il est important de connaitre sa nocivité, sa réalité même, et de ressentir les situations extrêmes vécues par les victimes. Ce surgissement a bien des causes. Il y a bien entendu la propre personnalité des individus, il y a aussi un bon nombre d’explications sociétales, comme la grande distance entre la richesse et la pauvreté créée par le développement rapide de l’économie, ou l’injustice de la répartition sociale, l’injustice judiciaire, ainsi que l’étouffement de la personne par les entreprises multinationales, dans lesquelles des ouvriers sont déformés comme une machine dans la chaîne de fabrication.

Quelles scènes, ou développements, ont-elles été coupées à cause de la censure ?

On ne m’a pas demandé d’enlever des choses, en revanche on m’a demandé d’en rajouter. Les censeurs m’ont en effet demandé si je pouvais ajouter au récit des conséquences juridiques frappant les responsables de cette violence. Par exemple, pour le premier de ces personnages DA HAI, ils voulaient une scène où il aurait été condamné à mort. Pour le deuxième ZHOU SANER, une séquence où les policiers le tuent. Le troisième XIAO YU, une scène où elle était arrêtée. J’ai tout refusé. Parce que je pensais que mon film n’avait pas pour but de discuter des problèmes de loi, ou d’éthique. Il n’est pas le tribunal, ni le prétoire, ni l’église. Il est là est pour montrer une réalité. Donc finalement, je n’ai pas filmé ce qu’ils souhaitaient.

Que pensez-vous du personnage que vous incarnez un bref instant dans le film. A t-il un rapport avec votre propre fonction de cinéaste ?

La seule relation entre cet homme et mon propre rôle en tant que réalisateur, c’est qu’il semble avoir beaucoup d’expériences du voyage. Il parle le dialecte de Shanxi, évidemment, puisqu’il est un commerçant qui vient de Shanxi. Il apparait à Dongguan, il a aussi un rendez-vous à Macao. Donc ce personnage que j’interprète représente une nouvelle génération des riches, ses affaires s’étendent depuis la houille en l’investissement des objets d’art. Depuis une dizaine année, le commerce de l’objet d’art contemporain chinois est très populaire. Beaucoup de nouveaux riches considèrent en effet l’art comme un projet proche d’un investissement financier. Lorsque, dans le film, ce commerçant achète une peinture par le téléphone, il le dit clairement : cette peinture a une valeur assurée.

Quels ont été vos principaux défis de metteur en scène, en abordant une structure à plusieurs récits ?

Le défi le plus grand a été la fusion de la narration des films traditionnels chinois d’arts martiaux (WU XIA PIAN) avec une histoire plus contemporaine. Car les expériences de ces 4 personnages sont très semblables aux celles décrites dans les WU XIA PIAN. Elles me font facilement penser aux héros des films de KING HU et CHANG CHEH. Je pensais que si je parvenais à retrouver le style du WU XIA PIAN, je pourrais plus facilement faire ressentir aux spectateurs l’étendue véritable des crises endurées par les protagonistes. Le défi était donc là : comment, dans ces histoires inspirées de faits divers, bien représenter et respecter les particularités des récits de WU XIA PIAN.

Zhang-Ke-Jia

Qu’avez-vous pensé de l’accueil du film, en Chine en en Occident ?

Les spectateurs chinois ont une exigence extrêmement forte par rapport à l’histoire. Au-delà de narration, l’esthétique, la poétique ou le langage cinématographique sont souvent ignorés, et peuvent même parfois susciter des controverses. Jusqu’à présent, j’ai toujours principalement décrit la situation des chinois à l’époque contemporaine, et cela suscite également bien des controverses. Le vrai test réside dans la manière dont chaque spectateur va appréhender la réalité montrée à l’écran. Les gens sont différents, leur éducation est différente, leur expérience est différente et leur point de vue politique est différent, donc leur acceptation de cette réalité est aussi différente. Selon moi, un seul film ne peut pas tout montrer toute la réalité d’un pays. Mais le problème est que, lorsque je montre la réalité ou même que je montre simplement mon intérêt pour elle, il y a des gens qui ne la reconnaissent tellement pas qu’il pense qu’elle n’existe pas de nos jours.

Onze ans se sont écoulés depuis la sortie de The World en Chine: quel bilan tirez vous de cette période ?    

Entre The World et Mountains May Depart, il y a, je pense, une liaison très intéressante. Dans The World, le héros est confiné dans un parc d’un mini-monde, et communique de cette façon avec ce monde. Dans Mountains May Depart, ses descendants traversent déjà les océans et s’installent en Australie, en commençant une vraie vie d’immigrant. Nous accumulons la richesse, en espérant ainsi immigrer et gagner une vie entière de liberté. Mais en fait, pendant cette dizaine d’années, nous allons surtout d’un problème à un autre, d’un enfermement à un autre enfermement. La liberté individuelle est un problème qui ne semble jamais résolu.

Imaginez-vous, à l’instar d’un Lou Ye, être présent au festival de Beijing ?

Oui, je vais être présent au Festival de Beijing, bien que je n’y sois pas encore allé. Parce qu’il est important d’exprimer le plus possible notre point de vue et l’exigence du cinéma indépendant, et ce devant le public. Cela nous aide de transmettre ainsi notre opinion, et surtout de rappeler que les films indépendants existent.

Quels jeunes cinéastes chinois suivez-vous actuellement avec le plus d’intérêt ?

Depuis 2006, je produis, et collabore donc avec des jeunes réalisateurs en Chine. Il y a, entre autres, HAN JIE, SONG FANG, QUAN LING, ainsi que des réalisateurs hongkongais ou de la Mongolie intérieure. Les difficultés financières auxquels ils font face étant ce qu’elles sont, j’essaie juste de leur apporter un peu d’aide. Cette année, j’ai collaboré avec un jeune réalisateur ZHANG HANYI, afin qu’il puisse tourner son premier film. L‘univers esthétique de ce long métrage est magnifique. J’espère que le public pourra le voir l’année prochaine.

Hou Hsiao Hsien a finalement montré son Wu Xia Pian à Cannes. Ou en est votre propre projet ? Est-il toujours d’actualité ?Ce projet est encore en préparation. Nous y avons déjà consacré 7 ans, en lisant des histoires locales, en travaillant sur la conception artistique, en collectionnant des vieilles photos des années 1900 tout autour du monde. Ce sont ces photos qui me donnent plus d’informations et d’idées à la fois sur cette époque. Les circonstances historiques du film seraient l’abrogation, par le gouvernement de Qing, du système traditionnel d’examen impérial en 1905. Ce système était un chemin qui permettait aux intellectuels chinois de trouver un emploi, de monter en grade ou même simplement de vivre. Lorsqu’il a donc été abrogé, les sciences occidentales, telles que la géographie, la chimie, la physique, ont remplacé l’ancienne culture chinoise. Quand ces sciences sont devenues le nouveau contenu pédagogique usuel, ces anciens intellectuels sont eux devenus chômeurs. Dans nos écoles, il y avait beaucoup de débats à propos de cette évolution. Certains pensent que ce changement de système est une amélioration sociétale. Mais on néglige souvent que fait que, derrière ce grand développement, il y a eu beaucoup d’efforts et bien des changements dans le destin de bien des gens. Et cette crise a eu des répercussions qui vont jusqu’à la Chine d’aujourd’hui. Bien sûr, notre vision de ces temps est également liée aux différences énormes dans la conception même des espaces. C’est une époque sans voiture, sans avion, avec un rapport à l’humain plus traditionnel. Comme la distance entre les gens. Deux cent kilomètre ne sont nous que 2 heures en voiture, mais pour les gens de ces années, c’est fort différent. Ils peuvent même souvent ne jamais se rencontrer, et c’est ce genre d’éléments qui sera également montré dans le film.

Quels sont les principaux liens, pour vous, entre A Touch of Sin et votre nouveau film, Mountains may depart, présenté cette année à Cannes ?

A Touch of Sin se focalise sur problème de la violence, il porte à cet égard une partie de ma colère. Mountains May Depart se focalise lui sur les sentiments, et représente donc davantage mon côté sentimental. Ces deux films sont comme le YIN et YANG de la philosophie chinoise. Ils montrent toute l’influence sur la vie des individus du développement social. Mountains May Depart raconte aussi la création de nouvelles valeurs, à travers le développement économique rapide, comment nos nouveaux moyens de transport, et outils de communication nous envahissent, comment ils influencent nos existences et le choix de nos relations.

Propos recuellis par Pierre Simon Gutman

Traduction : Iris Jiang.




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