Entretiens Entretien Bille August pour Pelle le Conquérant - Avant-Scène Cinéma

Publié le 15 octobre, 2020 | par @avscci

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Entretien – Bille August à propos de Pelle le conquérant

De la demi-douzaine de cinéastes ayant eu l’honneur de deux Palmes d’or à Cannes, le danois Bille August est sans doute le moins estimé, et c’est injuste. On lui fait payer sa seconde palme qui lui a visiblement été accordée en raison de son immersion bergmanienne (Bergman n’a quant à lui jamais été célébré à Cannes pour un film précis). On lui fait payer d’avoir échoué à prendre la relève d’un cinéma scandinave qui nous était précieux avant de se disperser (parfois avec bonheur, pas toujours) dans le monde entier, sans donner le sentiment d’une unité véritable. On lui fait payer un naturalisme que d’aucuns considèrent encore comme une facilité (que l’on nous permette de penser exactement l’inverse).

Adapté d’un roman de Nexö, Pelle le conquérant est un film parfait, adaptant une forme classique (qui débouche au passage un lyrisme rare) à un récit romanesque qui nous tient en haleine. Contemporain des romans de Dickens, l’histoire de Pelle est d’une âpreté rare, qui détaille les morsures que la vie se plaît à faire à l’enfance. Car Pelle est un gamin, qui immigre avec son père (incarné par un Max Von Sydow au sommet de son talent, père aimant mais maladroit que ne sembla pas quoi savoir faire de sa grande carcasse) dans un Danemark plein de promesses. Mais le père et l’enfant doivent vite déchanter tant la vie est rude, les conditions de travail (à la ferme) inhumaines et l’hostilité des autres sans limite. Bille August regarde l’enfance avec une acuité rare, dont il avait déjà fait preuve dans ses films précédents, contemporains ceux-là. Mais il ajoute une dimension sociale, le tout rehaussé par une photo de toute beauté. Car si la nature ne fait pas plus de cadeau que n’en font les hommes, elle palpite et procure au film comme une dimension panthéiste que n’aurait pas renié Renoir. Pelle le conquérant est une merveille…

Avec Pelle le conquérant, et après Zappa et Twist and Shout vous semblez subitement avoir des préoccupations sociales…

Bille August : Il y a effectivement un aspect social dans Pelle le conquérant, mais pour moi ce n’est pas l’essentiel. Je suis tombé amoureux du livre de Martin Andersen Nexö il y a plusieurs années, et ce qui m’a frappé au premier abord c’est la façon extrêmement précise dont la vie des personnages était décrite. Cette description constitue en fait le terrain sur lequel se déplacent les personnages de Pelle et Lasse.

La description qui est faite est-elle réaliste, ou avez-vous quelque peu romancé celle période de l’Histoire ?

B. A. : C’est une description très réaliste. J’ai fait plusieurs années de recherches et je ne crois pas qu’il y ait d’erreur dans le film, tant au niveau social que dans la vérité des personnages. La très grande pauvreté des immigrants suédois de cette époque est indéniable.

Pour eux, le Danemark était-il une sorte d’Eldorado ?

B. A. : Si l’on veut. En réalité, le Danemark n’était pas beaucoup plus riche que la Suède. Mais c’est vrai qu’il y avait une sorte de bouche à oreille qui en avait fait une sorte de terre de toutes les promesses. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque-là, les paysans étaient complètement analphabètes (les personnages du film ne savent pas lire) et que l’information ne fonctionnait pas comme aujourd’hui. En outre le Danemark n’était pas un but en soi, mais le plus souvent une étape vers d’autres promesses, les États-Unis par exemple.

Par rapport à d’autres films scandinaves, et particulièrement ceux de Bergman, et compte tenu de la période que vous montrez, je trouve que l’on ne parle pas beaucoup de Dieu…

B. A. : Il ne faut pas avoir une image aussi caricaturale des Scandinaves. C’est vrai que le cinéma de Bergman est imprégné par des questions sur la présence de Dieu. Mais il était fils de pasteur et les questions qu’il posait correspondaient à des problèmes personnels. Les Suédois et les Danois ne sont pas fourrés à l’église à longueur de journée. En ce qui me concerne, la métaphysique n’est pas ce qui m’intéresse au premier chef.

La mise en scène de vos films est très sage, limpide. Pensez-vous que le clacissisme permet de donner une force plus importante à ce que vous voulez dire ?

B. A. : Je ne sais pas si je veux dire quelque chose. Je raconte des histoires et je crois que ce que vous appelez clacissisme est en fait le respect du spectateur. Je n’aime pas violenter le spectateur, je préfère lui laisser le choix en instituant une certaine distance entre lui et le film. Ne comptez pas sur moi pour faire remuer ma caméra dans tous les sens pour le simple plaisir de me regarder filmer. En outre je crois que le rythme un peu lent que j’ai imprimé au film correspond mieux à celui des personnages, qui vivent au rythme de la terre.

Sans être mélodramatiques, vos films n’ont guère l’occasion de nous faire sourire. Vous n’aimez pas l’humour ?

B. A. : Je ne suis pas d’accord. C’est vrai que mes films ne sont pas mélodramatiques. J’ai horreur de ce qui est larmoyant. Mais je trouve que sans aller jusqu’au burlesque, il existe dans Pelle le conquérant certaines séquences un peu souriantes. Notamment dans les rapports entre le père et le fils. La vie est dure, mais mes personnages ne sont pas des victimes. Ils ont leur part de bonheur, même quand celui-ci est des plus simples.

De Zappa à Pelle le conquérant, en passant par Twist and Shout, vous semblez fasciné par le monde de l’enfance.

B. A. : C’est le hasard. J’ai fait Pelle le conquérant parce que je voulais absolument adapter le livre de Nexö. Quant à Twist and Shout, je l’ai tourné parce que je n’étais pas arrivé avec Zappa au bout de ce que je voulais exprimer par l’intermédiaire de mes personnages. Mais l’enfance ne m’intéresse pas particulièrement. Elle permet essentiellement d’offrir une vision neuve et dénuée d’hypocrisie du monde. Mettre l’enfance en scène, c’est une façon commode de porter le fer dans la plaie.

Vos enfants sont souvent confrontés avec des problèmes de l’âge adulte. Ils sont obligés de mûrir rapidement.

B. A. : C’est vrai que je les malmène quelque peu. Mais c’est pour mieux mettre en valeur leur générosité et l’étendue de leur faculté à accepter les règles sociales qu’ils ne connaissent pas.

L’avortement dans Twist and Shout marque ainsi la fin du couple formé par Bjom et Anna.

B. A. : Pour moi, l’avortement est un traumatisme immense. Il brise l’amour pourtant réel qui unit le couple. Cet amour ne peut pas résister à cette expérience.

Après Zappa, vous revenez à la charge dans Pelle le conquérant pour souligner la cruauté de l’enfance…

B. A. : Le personnage de Sten dans Zappa est une malade mental. Les enfants qui font subir plusieurs humiliations à Pelle sont beaucoup plus dans les normes. Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est vrai que l’enfance est un âge cruel, Qui ne s’embarrasse pas d’interdits sociaux.

Vous avez lu Sa Majesté des mouches ?

B. A. : Je ne l’ai pas lu, mais je connais l’histoire. La façon dont les enfants organisent leur vie sur l’île et finissent par créer une société totalitaire paraît assez éclairante des aspects les plus jusqu’auboutistes de cet âge.

L’enfance est un sujet qui semble obséder les cinéastes scandinaves…

B. A. : Je ne crois pas. C’est un hasard si plusieurs films traitant de l’enfance ont eu du succès. C’est vrai que les enfants sont très protégés en Suède, mais le cinéma ne se focalise pas pour autant sur eux.

Quand vous écrivez, partez-vous plutôt des personnages ou des situations ?

B. A. : Pour Pelle, le roman est d’une très grande précision et je n’ai pas voulu le trahir en quoi que ce soit. En ce qui concerne les autres films, il est évident que le montage de ce qui va devenir le scénario définitif se fait petit à petit. Les personnages de Zappa et Twist and Shout sont des personnages extrêmement forts, mais ils sont déterminés par leur environnement social et affectif. Bjorn par exemple se construit au fur et à mesure de ses rencontres, ce qui est d’ailleurs le cas de chacun de nous.

N’avez-vous pas subi des pressions pour tourner en anglais ?

B. A. : Bien sûr. Les Américains tenaient absolument à ce que Pelle soit fait en anglais. Mais cela aurait été une trahison, le film aurait perdu de sa crédibilité. Le cadre extrêmement réaliste de l’histoire ne pouvait pas s’accommoder d‘une autre langue. Le problème a été résolu quand des producteurs suédois ont apporté de l’argent et complété ce que les Danois avaient mis. Cela dit, c’est vrai que le problème de la langue se pose dès qu’un film nécessite un certain budget. La Scandinavie est une région peu peuplée, le marché est très étroit. Je vais d’ailleurs tourner mon prochain film aux États-Unis.*

C’est une trahison, à vous entendre…

B. A. : Non. Ce serait une trahison si je voulais filmer des choses qui me sont étrangères. Je promets de ne jamais réaliser de film ayant pour cadre un collège américain. De même je ne ferai jamais un film français, anglais ou allemand. Mais il ne faut pas perdre de vue que les États-Unis sont un creuset dans lequel toutes les nations européennes sont venues se fondre. Ce qui fait que les différentes cultures ont été intégrées de façon plus ou moins subtile. Nous sommes tous un peu chez nous en Amérique. Le sujet de mon film traitera de la guerre d’Espagne et des brigades internationales, ainsi que de la façon dont cette guerre a été perçue en Amérique.

Vous plongez une fois de plus dans le passé. Les années 1980 sont trop grises ?

B. A. : Les années 1960 ont été d’une très grande richesse. Les idées nouvelles foisonnaient. Les gens était pleins d’illusions, ce qui était à la fois positif et négatif. Mais il se passait quelque chose. Depuis le début des années 1970, nous sommes tombés dans une sorte de grisaille. C’est vrai que cela ne m’inspire pas autant. La période contemporaine manque de souffle et de générosité. La montée de l’extrême droite dans votre pays et dans le mien n’est pas un signe de bonne santé.

Si je lance les noms de Dreyer et de Bergman, qu’en faites-vous ?

B. A. : Je n’ai pas vu beaucoup de film de Dreyer, aussi curieux que cela puisse paraître. Quant à Bergman, c’est un géant du cinéma. Mais son univers est beaucoup plus personnel que le mien. Ses films portent tous avec plus ou moins d’ampleur la marque de ses interrogations métaphysiques ou des expériences de sa propre vie.

Il n’y a rien d’autobiographique dans Zappa et Twist and Shout ?

B. A. : Absolument rien. Mai j’ai écrit le scénario avec un collaborateur et je crois que lui a glissé quelques éléments qui le concernaient personnellement. Pour en venir à la question précédente, je ne crois pas à un cinéma scandinave fortement typé. Je ne me sens pas particulièrement proche de Bergman. Des réalisateurs comme Polanski ou Milos Forman me touchent beaucoup plus. Ils ont réussi à faire des films qui ne sont pas spécifiquement européens ni réellement américains. En outre ils ont réussi à concilier la qualité et l’ouverture sur le grand public. C’est ce que j’aimerais faire.

Propos recueillis par Yves Alion

Cannes, mai 1988, quelques jours avant le palmarès (sous une pluie battante)
Coffret Blu-Ray Pelle le conquérant + livret ou DVD / BQHL




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