Entretiens Marie et les naufragés Affiche - Sébastien Betbeder

Publié le 1 mai, 2016 | par @avscci

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Entretien avec Sébastien Betbeder pour Marie et les Naufragés

Sébastien Betbeder est décidemment un cinéaste unique en son genre. Après nous avoir livré régulièrement des courts métrages remarquables, et parfois remarqués, il a clos la première partie de son œuvre par un très long court métrage initiatique, Je suis une ville endormie, invitation à la rêverie et à l’aventure. Remontant le film, Betbeder le transforme l’année suivante en un très court long métrage, Les Nuits avec Théodore, qui inaugure la seconde partie de sa carrière. Lui succède un second long métrage, plus traditionnel, mais qui laisse la part belle à son amour de l’inattendu et du romanesque, Deux automnes, trois hivers. À l’heure où Marie et les Naufragés débarque sur les écrans, notre homme a terminé le tournage du film suivant, Le Voyage au Groenland, dont le propos est compris dans le titre. Quatrième long mais troisième volet d’une trilogie (après Inupiluk et Le Film que nous tournerons au Groenland) qui en dit long sur la fascination du cinéaste pour le continent glacé de l’Atlantique. Marie et les Naufragés traduit à merveille ce goût de l’étrangeté, cette nécessité de surprendre le spectateur là où personne ne l’attendait (l’admiration du cinéaste pour Alain Resnais, telle qu’il l’exprime dans l’entretien qui suit n’a rien de surprenante). Romanesque, inventif, parfois foutraque, Marie et les Naufragés est assurément un film inclassable. Difficile de ne pas être sous le charme quand on a conservé son cœur d’enfant. D’autant que Vimala Pons, qui incarne Marie, est plus rayonnante que jamais. Confirmant après La Fille du 14 juillet et Vincent n’a pas d’écailles son appétence pour les projets les plus barrés…

Le film est touffu, constitué de plusieurs couches narratives. On se demande quel est le point de départ…

Sébastien Betbeder : Ce n’est pas facile de répondre à cette question. Mes films puisent en général leur énergie à plusieurs sources. Marie et les Naufragés regroupe de toute évidence plusieurs envies. Je voulais en particulier que les personnages soient comme des grands frères de ceux de mon film précédent, Deux Automnes trois hivers… Je souhaitais par ailleurs que le film soit le cadre d’un déplacement géographique, de Paris au bout du monde. Mais un bout du monde qui reste en France. Les îles ont l’avantage d’avoir des frontières naturelles avec le reste du monde… Sont venues se superposer des idées sans doute plus théoriques. L’une d’elles est née à la lecture d’une interview d’Alain Resnais, un cinéaste que j’adore et qui pour moi est une référence stimulante. J’aime les films qui parviennent à jouer avec les codes du cinéma tout en restant extrêmement ludiques.

Le spectateur a la chance de ne pas savoir où il va, il n’a jamais la moindre longueur d’avance sur les personnages, contrairement à ce qui se pratique trop souvent…

S. B. : C’est pour moi nécessaire. Il faut que le film puisse surprendre. Pour revenir à Resnais, je me souviens qu’il disait qu’il écrivait ou faisait écrire par ses scénaristes une biographie de chacun de ses personnages, qu’il livrait aux comédiens avant le tournage. On ne retrouvait rien de ces biographies dans les films de Resnais, du moins dans la plus grande partie d’entre eux, mais cela aidait les comédiens à construire leurs personnages.

Mon oncle d’Amérique est donc l’exception, puisque les personnages principaux livrent leur bio au début du film…

S. B. : Mon oncle d’Amérique est un film de chevet. Je l’ai vu très jeune et il n’a jamais cessé de me donner envie de raconter des histoires, de faire du cinéma. Je lui dois d’avoir demandé à mes personnages de s’adresser aux spectateurs pour leur dire qui ils sont. Je me disais que ce procédé allait permettre une plus grande empathie pour les personnages. Et que les spectateurs ne rechigneraient pas à les suivre au bout du monde.

Vous taquinez quand même le spectateur. Par exemple en introduisant dès l’ouverture un personnage attachant… que l’on ne reverra plus jamais par la suite…

S. B. : Il y a plusieurs personnages secondaires comme celui-là, qui font partie de la vie des personnages principaux, mais dont je ne cherche pas à connaître le destin. Ce n’est pas par provocation que je me suis débarrassé du type rencontré dans le bar. C’est comme dans la vie, on rencontre des gens, on sympathise et on ne les revoit jamais… Mais il est des rencontres furtives qui nous influencent pour toujours. C’est le cas pour ce qui est du film de la vieille femme interprétée par Emmanuelle Riva… J’aime l’idée de personnages périphériques que l’on ne fait que croiser.

Sébastien Betbeder - Avant-Scène Cinéma

On a le sentiment que sans être un film choral, Marie et les Naufragés a besoin de nous montrer que l’humanité est vaste et que des milliers de destins s’entrecroisent…

S. B. : Le monde est un magma de joies et de tristesses. Pour revenir à la première question, le film existe d’abord par ses personnages. Ce sont eux qui m’ont amené au récit, et non pas l’inverse. L’écriture du film a été magique, je me suis laissé entraîner par les personnages, comme s’ils prenaient leur autonomie et décidaient de leur destin à ma place. C’est un grand plaisir que de se sentir emporté par des personnages que l’on a fait naître.

Les comédiens ont-ils apporté des modifications aux contours des personnages ?

S. B. : Je ne pense pas au casting quand j’écris un scénario. Pas même sur le film que j’ai tourné au Groenland, et qui a pour titre Le Voyage au Groenland, car les personnages n’étaient autres que ceux qui m’attendaient sur place. Pour Marie et les Naufragés, il y a eu pas mal de changements quand Éric Cantona est entré dans le jeu. Au départ les deux personnages masculins avaient le même âge. Quand j’ai commencé le casting, j’ai très vite pensé à Pierre Rochefort, que j’avais trouvé formidable dans le film de Nicole Garcia, Un beau dimanche. Un casting se construit comme un puzzle, parce qu’il ne suffit pas d’avoir de bons comédiens, il faut que ceux-ci se correspondent. Je n’ai pensé à Cantona que sur le tard. Je me suis dit que je pouvais vieillir le personnage auquel j’avais pensé. J’ai modifié le scénario, et je crois que cela a apporté des choses que je ne soupçonnais pas au départ. Que le personnage d’Éric ait l’âge d’être le père de celui de Vimala n’est évidemment pas indifférent. Pour moi Éric Cantona est un peu notre Bill Murray à nous, un comédien qui excelle à incarner des losers, des dépressifs. Il m’avait beaucoup impressionné dans le film de Yann Gonzalez, Les Rencontres après minuit. Il a une capacité incroyable à dire un texte au départ très écrit.

Et Vimala Pons ?

S. B. : Ma première idée était de confier le rôle de Marie à une comédienne qui n’aurait jamais été vue au cinéma. J’ai rencontré beaucoup de comédiennes. Et puis j’ai rencontré Vimala, qui a passé les deux essais que je voulais lui faire passer. Et elle est devenue une évidence. J’aime la façon dont elle prend des risques dans ses films.

Comment avez-vous construit votre scénario ?

S. B. : J’ai vraiment écrit au fil de l’histoire. Depuis Deux Automnes, trois hivers, j’ai changé ma façon d’écrire. Dorénavant mes scénarios sont écrits sans traitement. J’aligne les scènes les unes après les autres. Ma première version est très longue, dans les 200 ou 250 pages. Je reviens ensuite en arrière, et je coupe des scènes entières. Parfois j’inverse des séquences. J’ai besoin de partir d’un matériau qui est très dense au départ. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de personnages secondaires, qui apparaissent le temps d’une seule scène. En fait les autres scènes où nous pouvions les retrouver ont été supprimées !

Ce sont des scènes que vous tournez et que vous coupez au montage ?

S. B. : En général je renonce à ces scènes avant le tournage. Mon dernier scénario, qui ressemble de loin au pavé originel de 250 pages, est en fait très proche de ce que sera le film une fois terminé. Mais cette sagesse a aussi des raisons économiques. Le film n’a pas pu avoir certains financements sur lesquels je comptais, et j’ai eu particulièrement à cœur de ne pas dépasser le budget qui m’était alloué. J’ai dû resserrer le scénario au dernier moment pour aller directement à l’essentiel. Ce qui n’était sans doute pas une mauvaise chose…

Sébastien Betbeder - Avant-Scène Cinéma

Le romanesque absolu qui baigne le film est-il le reflet de votre vision du monde ?

S. B. : Je pense que de film en film ma référence à la littérature est de plus en plus marquée. Beaucoup d’émotions artistiques sont nées dans les romans. Je lis beaucoup de romans, notamment contemporains. J’aime la liberté que porte le roman et je comprends mal pourquoi le cinéma contemporain l’expérimente aussi peu. C’est jouissif dans une narration de pouvoir retourner en arrière, de quitter le sujet principal pour explorer des récits secondaires.

Le romanesque peut également être compris comme un idéal pour celui qui ressent le besoin d’inventer sa vie pour sortir du cadre étriqué de son quotidien… Vous nous invitez dans vos films à passer la nuit aux Buttes-Chaumont ou à partir pour le Groenland. Ce n’est pas commun…

S. B. : J’aime les personnages qui prennent des risques, ceux qui ont suffisamment le goût de l’aventure pour suivre une fille qu’ils connaissent à peine jusqu’en Bretagne sur un coup de tête, ceux qui franchissent en pleine nuit les grilles des Buttes-Chaumont… Ce sont des personnages qui donnent envie d’écrire et de filmer. Mais je crois que mes personnages ont une autre qualité, celle d’avoir un goût artistique. Ils ont tous cette volonté sinon de laisser une trace, du moins de considérer leur vie comme une œuvre d’art, comme une performance. Le personnage incarné par Pierre n’est pas vraiment défini professionnellement, il écrit un peu… En réalité son objectif premier dans la vie est de tomber amoureux. Quant au personnage que porte Éric, c’est un écrivain, ou du moins un homme qui a besoin d’écrire pour consigner ses émotions. Il a besoin du réel pour écrire et de l’écriture pour vivre : le cercle est peut-être vicieux, peut-être vertueux, ce n’est pas à moi de le dire. J’admire les gens qui ont dans la vie comme mes personnages le goût du romanesque.

Les personnages aiment tellement le romanesque qu’ils écrivent leur histoire au fur et à mesure que le film avance… Leur vie est le fruit de leur goût pour la création artistique… Et elle devient une création artistique…

S. B. : Ils ont compris qu’il ne faut jamais se freiner quand il est possible de vivre quelque chose d’extraordinaire. Il suffit de savoir dans quelle direction aller pour rencontrer l’extraordinaire… Quitte à faire le bilan de l’expérience plus tard. Cela peut paraître contradictoire que je leur accorde à un moment donné de faire le bilan de leur vie passée. Mais en réalité il est nécessaire de purger les affects et les regrets pour pouvoir aller de l’avant. Je vois dans l’évocation des années passées un autre avantage. Quand Marie et le personnage interprété par Éric parlent de leur vie commune, ils ne racontent pas du tout la même histoire. Et cette divergence de ressenti explique aussi pourquoi le couple s’est défait…

Les personnages sont en apesanteur. Mais celui qui est le plus barré de tous, c’est le mage incarné par André Wilms, qui s’est tracé une ligne de vie réellement hors de la réalité. Il nous faut du temps pour être en empathie, pour l’apprivoiser…

S. B. : C’est effectivement celui qui est le plus difficile à apprivoiser. Les amoureux de Marie sont certes des naufragés. Mais Cosmo, le mage, est peut-être le naufragé en chef de ma petite histoire. C’est le guide spirituel des paumés. C’est sans doute de la provocation de ma part que de donner à la fin du film la part belle à ce personnage sans retenue sur son mysticisme. Mais pour être plus exubérante, sa folie entre quand même en écho avec celles des autres personnages. Qui seront peut-être comme lui trente ans plus tard. Ou qui le seraient devenus s’ils avaient pris un autre chemin.

Le final est très gonflé. Nous étions jusque-là plongés dans une comédie sentimentale certes peu académique mais vibrante. Et tout à coup vous nous emmenez ailleurs. C’est une étonnante prise de risques !

S. B. : J’en avais tout à fait conscience. Et d’ailleurs le final n’était pas du goût de tout le monde. Mais en même temps le personnage de Cosmo n’est pas anecdotique. À un moment il montre un portrait de lui plus jeune et prononce une phrase clé du film : « Ne jamais oublier d’où on vient et qui on a été ». Peut-être dans certains cas faut-il écouter les gourous. n

Propos recueillis par Yves Alion

Réal., scén. et dial. : Sébastien Betbeder. Phot : Sylvain Verdet. Mus. : Sébastien Tellier. Prod. : Frédéric Dubreuil.
Avec Pierre Rochefort, Vimala Pons, Éric Cantona, Damien Chapelle, André Wilms, Emmanuelle Riva.
Dist. : UFO Distribution. Durée : 1h44. Sortie France : 13 avril 2016




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