Entretiens De Gaulle de Gabriel Le Bomin

Publié le 9 avril, 2020 | par @avscci

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Entretien – Gabriel Le Bomin pour De Gaulle

De Gaulle n’avait pas souvent été approché par le cinéma. Et Gabriel Le Bomin n’a pas voulu biaiser : c’est l’épisode dont la résonnance reste la plus profonde dans l’Histoire pourtant très riche et romanesque du grand homme qu’il a choisi de mettre en scène, ce moment où, obscur général fraîchement élevé à ce grade, il parvient à se persuader, puis à persuader les autres qu’il a un destin et que ce destin doit croiser celui de la nation. Le projet était sans doute casse-gueule, mais il s’avère être à la hauteur de que l’on pouvait espérer pour qui s’intéresse à l’Histoire, qui assume parfaitement d’illustrer certaines pages peu glorieuses du récit national, tout en montrant comment. Mais le film assume en parallèle de montrer le De Gaulle intime, qui aime passionnément sa femme et couvre sa fille trisomique de toute l’affection du monde. Ce qui est passionnant, c’est de constater l’interaction entre la grande et la petite histoire. Et corolairement de sonder le cœur du grand homme, et peut-être comprendre les raisons de son geste quand il prend la décision de défier contre toute logique le renoncement généralisé devant le nazisme. Gabriel Le Bomin n’avait jusque-là réalisé que deux longs métrages pour le cinéma, mais on lui doit également toute une série de documentaires. Qui ont en commun de traiter des brûlures de l’Histoire, réunissant la Grande guerre, la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Algérie dans un même questionnement sur la façon dont tout un peuple réagit à l’impensable.

De Gaulle est un film particulièrement ambitieux en termes de production, de mise en place et de travail de reconstitution. C’est évidemment un film cher. Mais il était difficile d’imaginer faire l’impasse sur les scènes spectaculaires, celles de l’exode, celles du bombardement de la rade de Brest pour retracer les riches heures de l’une des périodes les plus dramatiques de notre Histoire. Il n’est pas exagéré de parler d’une tragédie française, les sentiments humains les plus saillants se révélant au grand jour. Le refus de De Gaulle de se plier au diktat du vainqueur est d’ailleurs jugé illégitime, et si le vent de l’Histoire avait soufflé dans une autre direction, il y a fort à parier que son aura ne serait pas la même… Mais ce sont justement les incertitudes de la période qui en font une figure à nulle autre pareille. Pour un metteur en scène, c’est pain bénit, et l’occasion était belle d’accéder aux tourments intimes du personnage. Auquel il n’y a pas grand-chose à reprocher, et ce n’était évidemment pas l’objectif du film. Il n’empêche que nous flirtons avec l’hagiographie. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? En insistant sur les travers ou les hésitations du grand Charles ? En le montrant dans des situations embarrassantes ? Cela aurait été mesquin et pour tout dire hors sujet. La voie était étroite pour visiter l’espace privé au milieu d’une Histoire qui appartient désormais à la mythologie de l’Histoire de France, entre Jeanne d’Arc sur son bûcher et Bonaparte au pont d’Arcole. Et le film n’a pas dévié…

Bien sûr certains se disent encore gaullistes. Mais De Gaulle est mort il y a cinquante ans… Quelle est la nécessité de parler de De Gaulle aujourd’hui ?

Gabriel Le Bomin : Nous ne nous sommes pas interrogés en termes de nécessité. Nous n’avions pas envie de peindre le Général en statue du commandeur, ce qu’il est devenu par la suite, mais plutôt comme un homme à la croisée des chemins. 1940 est le moment où De Gaulle devient ce qu’il va être. Celui où se fait la bascule entre l’homme qui ne sort pas tant que cela du rang et celui qui entre dans l’Histoire. Il ne fallait pas regarder De Gaulle comme un géant de l’Histoire, mais comme un homme avec ses doutes. Avec ma coscénariste, Valérie Ranson Enguiale, nous avons identifié ce moment, entre mai et juin 1940, ces quelques semaines pendant lesquelles se produit cette bascule. Le récit s’arrête le 19 juin, le lendemain du célèbre Appel. Parce que cette date est à la fois à un marqueur historique et un moment important sur le plan intime, puisqu’Yvonne et ses trois enfants arrivent en Angleterre, et la famille est reconstituée.

L’Histoire se déroule à une vitesse folle pendant ces quelques jours. Jean-Paul Rappeneau nous rappelle dans Bon Voyage que quelques jours avant le 18 juin, De Gaulle était à Bordeaux où il rencontrait Pétain !

G. L. B. : Je m’en suis aperçu quand nous avons commencé à faire des projections, en faisant figurer des dates à l’écran. On voit De Gaulle le 16 juin avec Churchill et l’ambassadeur de France à Londres, en train d’essayer de vendre un projet auquel il ne croit qu’à moitié, celui d’une fusion entre la France et le Royaume-Uni. Un seul pays, une seule armée… cela veut dire que la France n’est plus défaite, et seulement partiellement occupée… L’appel qui aura lieu deux jours plus tard n’est pas encore dans son champ de vision, son champ de conscience. 48 heures plus tard, il sera devenu clandestin, installé dans un petit appartement qui n’est pas le sien. C’est cette vision-là, au jour le jour, et non pas dans des grandes perspectives que nous donne l’Histoire, que je voulais imprimer. À l’écriture, nous avions l’objectif de présenter le film comme un thriller politique.

À ceci près que nous connaissons d’emblée la suite de l’histoire…

G. L. B. : C’est vrai. Mais quand on parvient à rester dans la dynamique de l’Histoire en train de se faire, quand on est pris dans le romanesque du récit, on finit par oublier ce qui arrive ensuite. Quand on regarde Titanic, il est des moments où l’on se dit que le paquebot ne va pas couler ! Le renversement des perspectives historiques est d’ailleurs possible dans les films de Tarantino, qui en choisissant de faire assassiner Hitler dans Inglourious Basterds est devenu un spécialiste de l’uchronie.

La première surprise que nous procure le film est de voir De Gaulle dans l’intimité. Nous nous apercevons que nous ne nous étions jamais posé la question de sa relation avec sa femme…

G. L. B. : C’était en fait une relation passionnée. Ils ont dormi dans le même lit tout au long de leur vie commune, en dehors des moments de guerre. Yvonne a accompagné son mari dans absolument tous ses voyages officiels. Cette proximité nous paraissait essentielle. D’où la scène d’ouverture, où ils se réveillent dans le même lit et se prodiguent quelques caresses. Ce qui en a surpris certains… Ce n’est quand même pas l’ouverture de 37°2 le matin ! Mais le fait de voir De Gaulle dans un lit, sans son uniforme, peut étonner, voire perturber.

En vous écoutant, on se dit qu’il aurait été logique que, vous intéressant à cette période de doute général, vous tombiez aussitôt sur De Gaulle. Pourtant c’est apparemment la démarche inverse qui a prévalu. C’est parce que vous vous intéressez à De Gaulle que vous ciblez mai et juin 1940…

G. L. B. : En réalité, c’est évidemment à la rencontre des deux problématiques que le film s’est construit. Mon désir de faire ce film était d’autant plus grand que De Gaulle était presque absent au cinéma, et discret à la télévision. Pour ce qui est de la fiction, car il existe naturellement beaucoup de documentaires qui lui sont consacrés. Les Anglo-saxons ne voient sans doute pas les choses de la même manière. Je crois qu’il existe en Angleterre dix-huit longs métrages consacrés à Churchill. Et je ne compte pas les films réalisés à Hollywood sur les locataires de la Maison Blanche…

Il n’empêche que les films historiques ne naissent pas par hasard, ils parlent tout autant de la période à laquelle ils sont produits que de celle qui est reconstituée…

G. L. B. : Vous prêchez un convaincu. Je suis persuadé que les films d’Histoire sont à la fois des tentatives de reconstitution historique mais surtout le reflet de l’époque qui les produit et les pense. Ils n’arrivent pas par hasard à un moment donné. J’en ai eu la révélation quand j’ai fait mon premier film, Les Fragments d’Antonin. Ces quatre années de guerre, entre 1914 et 1918 ont été représentées pendant cent ans au cinéma avec des points de vue totalement différents. Les faits ont beau être objectivement documentés, les films apportent à chaque fois un éclairage différent, que ce soit dans le mode de représentation ou dans les thématiques. Ce n’est pas pour rien, et j’inclue Les Fragments d’Antonin dedans, qu’à partir des années 2000 la vision de la Grande guerre soit avant tout une vision victimaire. Ce n’est évidemment pas un hasard, puisque nous pensons aujourd’hui être les victimes de beaucoup de choses… Du système, de la presse, de la malbouffe, des politiques, etc. 1917, de Sam Mendes, le dernier en date des films consacrés à la période, est aux antipodes des films d’héroïsme, c’est un film de survie.

De la même manière, peut-être que De Gaulle parle d’aujourd’hui. C’est un personnage historique sur lequel j’ai beaucoup travaillé en faisant des documentaires. Mais la fiction posait de nombreux problèmes. Que raconte-t-on ? À quel moment se situe l’histoire ? Comment éviter le biopic ? Nous avons choisi de circonscrire le récit à cinq semaines. C’est un premier geste. Le deuxième geste était de se dire que De Gaulle n’est pas seul. Il a une femme, à laquelle il dédie ses mémoires, ne l’oublions pas. « À vous, chère Yvonne, sans qui tout cela n’aurait pas été possible… » Ce n’est pas rien. De là est venue l’idée de raconter son histoire à lui, son histoire à elle et leur histoire commune, et de les confronter. Cette idée est sans doute aussi quelque chose qui nous dit notre époque. Le rôle des femmes, la présence féminine à côté de la figure héroïque, etc.

La question de l’incarnation est centrale. Nombreux sont ceux qui ont encore en mémoire la voix de De Gaulle. Mais c’est la voix du président des années 1960, lors d’interventions publiques. Sa voix et son phrasé de 1940, qui plus est dans la sphère privée, sont nécessairement différents…

G. L. B. : C’est très difficile de trouver le ton juste dans un cas comme celui-là. C’est un chemin de crête de l’incarnation. Nous avons pensé assez vite à Lambert Wilson. Il possède une allure, une prestance, qui étaient celles de De Gaulle en 40. Pour ne rien dire de sa taille. Peu d’acteurs dans la bonne tranche d’âge auraient pu s’aligner.

Après avoir été l’abbé Pierre et le commandant Cousteau, Lambert Wilson n’a-t-il pas un plaisir particulier à trouver des repères pour des personnages dont le public a déjà une image ?

G. L. B. : Ce n’est effectivement pas un hasard. Il a la capacité d’incarner des personnages de l’histoire collective. Il aime ça. Comme il aime construire et modeler ses personnages, ce n’est pas un acteur naturaliste. Il est peut-être dans une autre tradition, plus anglo-saxonne. Par ailleurs, il faut ajouter que Lambert possède une notoriété suffisante pour accrocher le public et les investisseurs. Quand nous lui avons proposé d’être De Gaulle, il nous a répondu qu’il aimerait auparavant faire des essais de maquillage. Nous avons fait six ou sept séances avec un prothésiste pour vérifier que nous pourrions travailler dans des conditions convenables. C’est à l’issu de ces essais que Lambert a donné son accord. La première question était celle du physique. Rappelons que Michel Bouquet est excellent dans Le Promeneur du Champ de Mars et que personne ne vient lui chicaner son manque de ressemblance avec Mitterrand. Un feutre et une écharpe suffisent à créer l’incarnation. Mais d’autres préfèrent qu’un travail soit fait pour que la ressemblance soit la plus grande, avec des prothèses, voire des ajouts numériques. Je pense à Gary Oldman qui ressemble trait pour trait à Churchill dans Les Heures sombres. Nous avons choisi une voie médiane : donner des éléments de ressemblance, mais sans faire disparaître le comédien. Nous nous sommes demandé s’il fallait changer la couleur des yeux de Lambert, nous avons fait des essais, puis nous avons laissé tomber, il n’était pas question d’être au Musée Grévin. Il faut faire attention de ne pas perdre en réel et en émotion en s’approchant du modèle de trop près. C’est la même chose pour ce qui est de la voix. Mais les traces sonores de la voix de De Gaulle sont celles de discours. La façon dont parle Lambert, notamment quand il est dans la sphère privée, ne relève pas de l’imitation. Il en avait pourtant les capacités vocales et techniques, c’est aussi un chanteur.

Comment avez-vous fixé les proportions de l’historique et de l’intime ? Ont-elles évolué au cours de l’écriture, au moment du montage ?

G. L. B. : Nous avons commencé par un travail de documentation, à partir de documents basiques, y compris bien sûr les mémoires de De Gaulle, qui mine de rien renferment beaucoup d’intime. Nous avons également consulté les récits de ses proches, et notamment ceux de son fils Philippe, qui a été un témoin précieux de la relation de De Gaulle avec ses enfants, et notamment avec sa fille Anne. Les lettres reprises dans le film sont authentiques. Elles permettent de voir que De Gaulle est très épris de sa femme. Malgré les vingt ans de mariage et leur trois enfants, le Général adresse des mots plein de tendresse à sa femme, Mais je crois que nous sommes tous, que l’on soit cinéaste, journaliste, ou simple spectateur, les enfants d’une époque, nous baignons dans un bain culturel précis. Dont acte. Mais je vous avouerai que je n’ai pas de réponse à la question. Je sais en revanche que la dimension humaine devait rester centrale. C’est pour cela que le film débute à un moment où il est au lit avec sa femme. Il est parfois d’une grande candeur. Quand ils sont séparés, Charles et Yvonne s’écrivent tous les jours, y compris aux moments où ça barde sur le front. Ils sont en lien permanent comme on pourrait l’être aujourd’hui par textos ou par mails. Tous ces documents nous ont permis de déployer tout l’espace de l’intimité. Mais nous avons fait œuvre de fiction : nous avions les grandes balises historiques, les dates clé de la carrière de De Gaulle, mais sur les espaces intimes, comme il y a beaucoup moins de documents, la liberté était plus grande. La fiction s’épanouit sur une ligne de crête, qui définit la limite du possible et du vraisemblable. Nous avons travaillé sans rendre visite à la famille du Général ou à la Fondation De Gaulle. Nous ne voulions pas être sous leur tutelle, ou leur ombrelle. Par contre nous avons montré le film une fois terminé à Anne de Laroullière, la petite-fille de Charles et Yvonne, par ailleurs présidente de la Fondation. Elle nous a déclaré que tout ce qu’elle avait vu était selon elle vraisemblable et que nous aurions pu aller plus loin encore pour ce qui était du personnage d’Yvonne. C’était une femme de caractère, à l’opposé de l’image que les médias ont fixée… Nous étions ravis. Certaines scènes nous semblaient un peu en équilibre, mais nous y tenions. Comme celle ou Yvonne et Charles sont sur la falaise et qu’elle lui redonne du tonus comme le ferait un entraîneur avec un sportif de haut niveau. Ce qui est passionnant, c’est de voir comment l’intime et l’Histoire se mêlent naturellement, sans même que des scénaristes n’aient besoin de trouver des moyens extérieurs. Parce que toute leur vie, ces deux personnages ont été confrontés à la grande Histoire.

Le film nous fait découvrir Yvonne sous un jour inédit, mais il nous donne également à voir Anne, la fille trisomique du général, et lève un voile sur une partie restée totalement dans l’ombre de la vie de De Gaulle. On peut avoir le sentiment que la façon dont il se dresse contre l’inéluctable, l’Occupation allemande, est proche de sa manière d’assumer d’être le père d’une fille trisomique, qu’il chérit sans relâche.

G. L. B. : Ce n’était pas souligné, mais c’est effectivement ainsi que nous voyons les choses. C’est un courant souterrain qui, nous l’espérons, alimente discrètement le récit. Il y a une phrase de De Gaulle dans ses mémoires qui résume parfaitement votre sentiment : « La petite Anne et son handicap m’ont permis de dépasser toutes les situations et d’affronter tous les hommes ». Et c’est peu dire qu’il a dû affronter des situations compliquées et rencontrer des hommes tordus. Il ne faut pas oublier que dans ces années-là la trisomie était mal connue, et que dans la plupart des cas on confiait les enfants à une institution. De Gaulle et Yvonne sont à contre-courant : ils la gardent avec eux. Et ils l’assument totalement. La présence d’Anne est de fait l’une des forces de De Gaulle, et c’est pour cela que nous avons tenu à lui donner une vraie place dans le film.

Vous êtes familier des films historiques. On sait que les tournages sont souvent lourds et que l’attention est mobilisée en permanence par le besoin de ne rien laisser passer du décor, des costumes ou même des éléments de vocabulaire qui pourraient être anachroniques…

G. L. B. : C’est curieux… J’avais bien sûr écrit le scénario. Mais ce n’est qu’au moment du tournage que j’ai réalisé que nous changions de décor en permanence, parce que les personnages, qu’il s’agisse de De Gaulle ou de sa femme, sont en déplacement perpétuel. Ce qui confère au film je crois une certaine dynamique. Cette diversité des lieux a été une difficulté au moment des repérages, puis du tournage. Sur certains décors, nous n’avons passé qu’une seule journée ! Autant dire que nous ne pouvions pas optimiser le travail des décorateurs comme il l’est d’ordinaire.

Où avez-vous situé La Boisserie ?

G. L. B. : Nous avons tourné en région parisienne, vers Meaux. Pour ce qui est de Londres, nous avons été à Londres pour les extérieurs. Mais le bureau de Churchill et les studios de la BBC sont à Paris. Les scènes d’exode ont été lourdes à mettre en place, mais pas trop difficiles à faire, elles ont été souvent représentées. Le plus compliqué a été de montrer ce que l’on voit très peu au cinéma, ce moment où l’exode bute sur les limites du territoire. Quand les Français sont arrivés à Brest, ils se sont retrouvés dans un cul-de-sac mortel. Il n’a pas été facile de faire revivre le port de Brest en juin 40 avec tous ces éléments-là et donner la sensation d’être face à un monde en train de s’écrouler. Yvonne et ses trois enfants doivent absolument sauter dans un bateau, alors que les bateaux se font rares. Ils finissent par embarquer in-extremis sachant que les deux embarcations précédentes ont été coulées…

Comment vous est venue la scène du rêve d’Yvonne, qui imagine que les Allemands envahissent la Boisserie ? On a l’impression qu’elle n’est pas raccord avec le reste, très factuel.

G. L. B. : La narration est effectivement très droite. Nous nous sommes autorisés deux flash-backs, qui reviennent sur la découverte du handicap d’Anne. Mais également ce pas de côté, le rêve d’Yvonne. Parce que c’est présent dans ce qu’elle racontait de la guerre de 1914-18 et qu’elle ne voulait pas revivre. Or, en 1940, elle avait la sensation que tout recommençait. Ce traumatisme est lié au fait que la maison de la famille Vendroux dans le Nord de la France avait été saccagée par les Allemands. On sait par ailleurs que La Boisserie a été vandalisée et vidée de ses meubles. Le rêve permet de sortir d’un récit purement verbal pour revenir sur cet épisode. Mais il n’est pas gratuit : ce cauchemar la persuade qu’il faut fuir…

PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION

Réal. : Gabriel Le Bomin. Scn.: Gabriel Le Bomin, Valérie Ranson Enguiale. Dir. Ph.: Jean-Marie Dreujou. Déc.: Nicolas de Boiscuillé. Cos.: Anaïs Romand. Mus.: Romain Trouillet. Mont.: Bertrand Collard. Act.: Lambert Wilson, Isabelle Carré, Olivier Gourmet, Catherine Mouchet, Pierre Hancisse, Sophie Quinton, Gilles Cohen, Laurenr Stocker, Clémence Hittin. Prod. : Vertigo Production, Les Films de la Baleine, SND. Dist. SND. 1h49.

De Gaulle est rare au cinéma. On se souvient essentiellement de Chacal, de Fred Zinnemann (1973), récit d’un attentat fomenté par l’OAS, avec Adrien Cayla-Legrand dans le rôle du président de la République, qui n’apparaît au demeurant que peu.

Il est en revanche plus souvent présent sur le petit écran. Si le film de Gabriel Le Bomin se déroule en 1940, il est au moins trois (très bons) téléfilms qui s’intéressent à des périodes postérieures.

Le Grand Charles (Bernard Stora, 2011, film en deux parties) couvre ce qu’il est convenu d’appeler la traversée du désert, entre 1946, quand De Gaulle se retire à La Boisserie pour ne pas cautionner plus longtemps l’inaction coupable du gouvernement, jusqu’en 1958, quand les circonstances, et notamment la Guerre d’Algérie, rendent son retour aux affaires souhaitable. Bernard Farcy incarne le général, Danièle Lebrun son épouse.

Je vous ai compris (Serge Moati, 2010, docufiction) s’intéresse aux quatre années qui suivent, quand De Gaulle prend le pouvoir et se lance dans la lourde tâche de ramener la paix en Algérie. Le film prend fin au moment des accords d’Évian, alors que l’ancienne colonie accède à l’indépendance. Patrick Chesnais incarne le général, Catherine Arditi son épouse.

Adieu De Gaulle, adieu (Laurent Herbiet, 2008, film de fiction) montre le pouvoir gaulliste vaciller lors de la crise de Mai 68. Le Général parviendra à redresser la barre, mais pour peu de temps, puisque le résultat négatif d’un référendum malheureux le conduira à quitter l’Élysée. Pierre Vernier incarne le général, Catherine Arditi une nouvelle fois son épouse.

Un essai est paru il y a quelques mois, signé Jocelyne Sauvard (qui par ailleurs nous fait régulièrement le plaisir de collaborer à l’Avant-scène). Son titre : Yvonne et Charles. Dans l’intimité du Général. Grasset, 398 pages. (Image : la couverture).

Un livre indispensable pour ceux qui aiment le film de Gabriel Le Bomin et désirent en savoir davantage sur la relation sur laquelle peu ont glosé entre l’homme d’Etat et son épouse. On l’a dit : l’image de celle que le bon peuple appelait « Tante Yvonne » est celle d’une femme de l’ombre, effacée publiquement jusqu’au vertige. Le film nous montre qu’il n’en était rien pour ce qui était de la sphère privée et que la relation entre les époux était pour le moins passionnée. Mais ce qui était du domaine du privé n’avait pas vocation à devenir public… Les premières pages du livre nous le montrent d’emblée, quand l’auteure nous apprend que Yvonne a brulé la plupart des objets personnels (y compris son lit) de feu son mari quelques jours après sa disparition. Une fois que nous avons l’eau à la bouche, nous effectuons un long retour en arrière (qui débute en 1940, la période que couvre le film) et nous ne lâchons plus le livre…




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