Entretiens Messe Basse de Baptiste Drapeau

Publié le 22 octobre, 2021 | par @avscci

0

Entretien Baptiste Drapeau – Messe Basse

Messe Basse est sorti le 4 août 2021 dans un silence injuste, en raison d’une distribution confidentielle. C’est pourtant une œuvre séduisante, que nous avons choisie de valoriser. 

Son histoire est celle d’une jeune femme, Julie (Alice Isaaz), louant une chambre dans la demeure d’une femme avancée en âge, Elizabeth (Jacqueline Bisset). Rapidement, nous comprenons que le mari de cette dernière, Victor, un ancien capitaine de la marine, est mort il y a plusieurs années et qu’elle refuse cette dure vérité. Elle cohabite ainsi avec un mannequin sur lequel elle projette son ancien aimé. Le spectre de cet homme hante la maison et gagnera Julie, l’amenant à une rivalité amoureuse avec Elizabeth. 

Messe Basse s’inscrit dans un courant du cinéma français investissant le thriller ou l’épouvante. Son metteur en scène est toutefois loin des outrances graphiques de plusieurs de ses pairs tels Alexandre Aja ou Julia Ducourneau. Le récit et les motifs du film le placent plutôt dans une filiation renvoyant à L’Aventure de Mme Muir, Psychose, Les Fantômes du chapelier et les huis clos polanskiens. La mise en scène économe du film ne s’explique pas par ses limites budgétaires, certes visibles à l’écran. Elle correspond à un goût manifeste du réalisateur pour le minimalisme et en fait son prix. Dès le début, lors d’une scène d’enterrement, on est séduit par un découpage sobre, se limitant à montrer l’essentiel. Le reste du film est de cet acabit, faisant naître une inquiétude qui ne fera que grandir. Cela passe par le biais d’un simple travelling remontant un escalier, le choix d’une couleur prononcée pour éclairer une pièce, ou d’une syncope dans le montage. Subtilement, Baptiste Drapeau parvient à déployer un imaginaire fantastique sous-jacent, enrichi par une tension érotique qui s’infuse avec finesse, via des synecdoques dénudant sobrement une partie du corps ou suggérant une étreinte.

Cette promesse nous conduit à parier sur ce réalisateur et à nous entretenir avec lui. 

L’Avant-scène cinéma : Quel est votre parcours?

Baptiste Drapeau : J’ai passé mon baccalauréat avec l’option «arts appliqués». C’est au lycée que je me suis découvert une envie de faire des films. Durant les week-ends et les vacances, je faisais des films d’animation en pâte à modeler dans ma chambre. Après cette première formation, j’ai fait l’école Estienne en section animation à Paris pendant deux ans. Durant cette période, je me suis formé à l’animation 3D. Ces techniques laborieuses ne me convenaient pas complètement. Ce que j’aimais plus, c’était raconter des histoires et mettre en scène : le choix des couleurs, des musiques, des costumes, bref la réalisation. J’ai du coup tenté le concours de la Fémis en me disant que si ça marchait, c’est que c’était bien ma voie. Et je l’ai eu du premier coup! Cela m’a conforté dans mon désir. J’ai ainsi fait quatre ans de réalisation dans cette institution. Messe Basse est arrivé très vite ensuite. Son producteur, Thierry Lounas, m’a approché avec le scénario seulement neuf mois après ma sortie de l’école. Nous étions en juin. Il m’a tout de suite précisé que le budget était serré, mais que si ça m’intéressait, on tournait le film en novembre. Après la lecture du scénario, j’ai dit oui. Tout cela s’est donc fait rapidement. 

ASC : Êtes-vous intervenu dans l’écriture du film?

B.D. : Oui. Le scénario que j’avais reçu était assez long et l’histoire était belle. Mais je voulais m’approprier certaines choses. D’abord pour me sentir à l’aise dans mon travail de réalisateur. Ensuite, pour rendre le film plus efficace, plus resserré. Durant l’été qui a suivi ce mois de juin où je me suis engagé, j’ai repris le scénario avec mon coscénariste, Mauricio Carrasco. Nous envoyions nos versions au scénariste d’origine Olivier Briand pour avoir son regard. Nous avons ainsi coupé plusieurs choses, réécrit des dialogues et ajusté certaines scènes. 

ASC : Qu’est-ce qui vous a touché dans cette histoire? 

B.D. : J’aime changer de genre. Ici, c’est un thriller quasiment en huis clos. Le court-métrage que j’ai réalisé avant, La Mangeuse d’hommes, était une comédie policière. Le prochain que je vais faire sera une comédie romantique. J’essaye de m’approprier certains codes. Pour Messe Basse, le personnage principal et l’aspect romantique du récit m’ont beaucoup touché. Je m’y retrouvais. Julie, que joue Alice Isaaz, a des points communs avec les films que j’écris de mon côté. 

 

ASC : Quel était le budget du film? 

B.D. : Trois cent quatre-vingt mille euros. 

ASC : Votre équipe était-elle composée essentiellement de jeunes professionnels?

B.D. : À part les actrices, personne n’avait fait de longs-métrages. Tous étaient des jeunes sortant d’écoles. Une partie des chefs de poste étaient des étudiants de ma promotion avec qui j’avais fait mes courts-métrages, le chef opérateur François Ray, la script Léa Mothet, mais aussi toute l’équipe son… le montage, etc. J’ai choisi le premier assistant Nicolas Bergeret, qui n’avait pas non plus fait de longs-métrages à ce poste, pour assurer l’organisation du tournage. Le reste de l’équipe venait de la région de Bordeaux où nous tournions : la décoration, la machinerie et les électriciens. Tous étaient jeunes et faisaient leur premier long. Ça faisait «court-métrage géant» en quelque sorte!

ASC : Comment s’est fait le choix de l’actrice Alice Isaaz?

B.D. : J’adorais cette actrice et l’adore encore plus après avoir tourné avec elle. Elle me fascine dans sa maîtrise, sa cinégénie à l’américaine. Je l’avais vue dans plusieurs films, en particulier dans Elle (Paul Verhoeven, 2016) où elle m’avait marquée. J’ai toujours vu une violence interne dans son jeu et ai senti qu’elle serait adéquate pour mon film. Il me fallait une actrice qui puisse aller de la jeune fille toute sage du début à celle qui dévoile un fort caractère à la fin. Je savais qu’elle le ferait parfaitement dès la première lecture. 

ASC : Il était inhabituel pour Jacqueline Bisset et Alice Isaaz, deux actrices ayant une déjà une carrière, longue pour la première, de faire un film dont l’équipe débute. Comment le tournage s’est passé pour elles?  

B.D. : Bien. Elles savaient dès le départ où elles mettaient les pieds, que l’équipe et moi avions peu d’expérience et que nous avions très peu de budget. Cela ne les a pas empêchés de s’investir totalement. Nous nous sommes très bien entendus artistiquement. Nous avions le sentiment de bâtir quelque chose ensemble avec un côté «famille». Jacqueline Bisset a terminé le tournage la première et était triste de nous lâcher en cours de route. 

ASC : Le faible budget vous a-t-il paradoxalement aidé dans votre mise en scène?

B.D. : Dès le départ, je savais que j’avais très peu d’argent. Cela m’a guidé d’abord pour la réécriture. Nous réécrivions en ayant en tête les limites budgétaires. Je n’ai pas subi ce manque d’argent, car j’en étais conscient dès le départ et que j’ai tout pensé pour que ça fonctionne avec peu de choses. J’ai fait en sorte que ça participe au charme du film. Il ne fallait pas que le public se dise que le film est fauché, mais que c’est sa mise en scène qui est volontairement minimaliste. 

J’ai par ailleurs eu la foi pour que tel ou tel décor de qualité entre dans l’enveloppe. Et ça a marché!

ASC : La mise en scène est économe, oui. Et dès le début : le générique n’a qu’un seul plan et la séquence dans le cimetière qui suit est elle aussi peu découpée. Cela correspond à votre goût de spectateur? 

B.D. : J’ai le goût de ce qu’on appelle «la ligne claire» à propos du dessinateur de bandes dessinées Hergé. J’aime les œuvres qui vont droit au but. Ce qui m’intéresse, c’est de chercher le cœur d’une scène et de le mettre en valeur sans fioritures. 

Pour la séquence de l’enterrement, je savais que faire venir un cercueil et creuser un trou ne coûterait rien et cela m’a permis de faire ce que je voulais. Pour le générique, j’avais plusieurs idées et plusieurs plans. Mais je me suis résolu à aller au plus simple, au plus radical, car c’est plus efficace et que multiplier les plans n’apportait rien. 

Il va de soi que certains cinéastes m’inspirent, mais je ne cherche nullement à les copier ni à y faire référence explicitement. Pour ce film, j’avais en tête le Hitchcock de Rebecca, le Polanski de la «trilogie des appartements» (Répulsion, Rosemary’s Baby, Le Locataire), Paul Verhoeven pour l’ambiguïté des personnages, et le Darren Aronofsky de Black Swann et de Mother !. Je ne pouvais pas avoir la nervosité des mouvements de caméra de ce dernier. Mais je voulais avoir par moments ses choix de couleurs très affirmés. Par exemple, dans Black Swann, il y a le vert et le rose de la décoration de la maison de l’héroïne, et le noir et le blanc de celle de la salle de spectacle. Le spectateur ne s’en rend pas immédiatement compte, mais cela oriente inconsciemment ses émotions. Je ne suis pas aussi radical dans Messe Basse. Mais j’avais envie d’enlever des couleurs et de renforcer toute une gamme. Le costume de Julie est par exemple toujours plus ou moins raccord avec le décor. Pour son manteau, je voulais une couleur originale, car je n’avais pas de marge de manœuvre pour les extérieurs : on ne pouvait pas enlever les affiches publicitaires, repeindre des murs, bloquer les voitures, etc. J’étais dépendant de l’esthétique de la ville. Ainsi, son manteau bleu ciel la fait ressortir dans l’environnement.

ASC : Il y a d’un côté cette jeune fille qui a peur de grandir et de l’autre cette femme à l’âge avancé qui refuse de vieillir. Mais toutes deux aiment le même homme. Il y a une rivalité érotique entre elles. Était-ce votre principal défi que de la faire ressentir?

B.D. : Je ne dirais pas ça. Je fais beaucoup confiance aux acteurs. Je les choisis soigneusement. Ils sont pris en sachant qu’ils auront les épaules pour tenir le rôle. Là, je n’avais aucun doute sur la qualité des actrices. Je délègue la responsabilité du personnage le plus possible à l’acteur. Je supervise, évidemment. Mais j’aime quand l’acteur s’empare du personnage. Je pense même qu’il le connaît mieux que moi, étant donné que c’est lui qui le joue. Alice Isaaz et Jacqueline Bisset sont des actrices sensuelles et investies. Le scénario étaye bien cette rivalité érotique. Il ne me reste plus qu’à filmer. Nous avons voulu avec mon coscénariste que cette tension sensuelle culmine à un moment. C’est la raison pour laquelle nous avons écrit la séquence où Elizabeth regarde Julie dans des ébats sur une plage…par le trou d’une serrure. Julie devait adresser un regard assassin à Elizabeth à ce moment. Alice Isaaz l’a parfaitement fait. 

ASC : Le trouble naît aussi des dissonance d’un montage globalement homogène. Bien que le film s’inscrive dans une tendance récente du thriller ou de l’épouvante dans le cinéma français, son traitement n’est pas à la mode. 

B.D. : J’essaye de trouver le moyen d’être le plus intemporel possible dans le style. Je ne veux pas entrer dans des carcans contemporains. La mode ne m’intéresse pas. Il m’importe de faire des films qui n’ont pas d’époque dans leur style, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont démodés. Ma crainte est que mes films paraissent datés au bout de quelques années. Mon espoir est qu’ils puissent être touchants quinze ou vingt ans après leur sortie. 

ASC : Quels sont vos projets? 

B.D. : Il y a peu, j’ai réalisé un clip conséquent pour le groupe chilien Quilapayún. Cet été, j’ai tourné un court-métrage avec la même équipe que Messe Basse. C’est une comédie romantique qui se passe dans l’univers des pompiers, loin du fantastique. En ce moment, je fais un court-métrage d’animation ayant la Seconde Guerre mondiale pour cadre. Cela s’inscrit dans une collection de films courts en lien avec la Shoah pour France 3. Il s’agit d’organiser la rencontre entre un rescapé et un jeune auteur pour que le second mette en scène le témoignage du premier. J’ai rencontré à cette occasion M. Bernard Orès et vais raconter son histoire en film d’animation. Ça sera complété par un entretien avec lui que j’ai tourné il y a deux ans. J’ai écrit le scénario seul. 

En outre, je développe deux scénarios pour des longs métrages. Le premier est une comédie policière et le second est un film de monstre. J’aime beaucoup de choses. Mon grand rêve serait de faire une épopée médiévale.    

Propos recueillis par Tancrède Delvolvé




Back to Top ↑