Entretiens Coupez ! de Michel Hazanavicius

Publié le 4 juin, 2022 | par @avscci

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Entretien avec Michel Hazanavicius à propos de Coupez !

Coupez ! est le remake d’un film japonais, lui-même adapté d’une pièce de théâtre, un film fauché et réjouissant, qui a pour titre Ne coupez pas ! Le paradoxe n’est qu’apparent. On ne coupe pas quand on tourne et que l’on désire que le film arrive à bon port, surtout quand on le porte à bout de bras. Mais chez Hazanavicius on coupe quand même pas mal. Des têtes par exemple. Le film commence par un ahurissant morceau de bravoure, un plan-séquence d’une demi-heure ! Le réalisateur n’a pas triché, et c’est un plan unique, serti de rebondissements multiples et d’improbables changements de caps qui nous est livré. C’est magique. D’autant plus magique que nous remarquons toutes les erreurs, tous les moments de flottements qui s’attachent au tournage, au final apocalyptique. Mais on s’en doute il a fallu beaucoup de précision, beaucoup de maîtrise à Michel Hazavanicius pour mettre en scène ce tournage où rien ne fonctionne.

PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION

François Truffaut disait que les films étaient comme des trains qui foncent dans la nuit. Celui que met en scène Romain Duris, le réalisateur du film dans le film est effectivement comme un train fou qu’il serait raisonnable de laisser à quai. Mais le cinéma est une fièvre épidémique qui se répand d’autant plus facilement qu’un tournage est un milieu fermé, comme une bulle où la réalité prend parfois ses aises avec le réel. Ici les niveaux de réalité s’effondrent comme un château de cartes quand on se rend compte que les comédiens sont eux-mêmes devenus des zombies. Le film est évidemment réjouissant pour ceux qui regardent un film d’un œil un peu critique. Nous ne pouvons que sursauter à chaque accroc du fameux plan-séquence de la première partie, mais c’est pour mieux jubiler quand dans un second temps le film nous donne les raisons du fiasco. Un peu comme dans un roman d’Agatha Christie, au moment où Hercule Poirot vient expliquer d’un ton docte quel a été le cheminement du crime dont nous avions observé les rouages sans en comprendre le mécanisme. Ce qui fait le charme du film, sa force, c’est sa foi en le cinéma. Même le plus ringard. Ce qui est le cas du film que réalise Romain Duris. Mais quelle énergie, quel engagement de toute une équipe qui concourt comme elle le peux à la bonne finition du produit. Hazavanicius pose un regard d’une bienveillance qui n’est pas feinte sur ces sans-grades du 7e Art qui ne seront jamais Orson Welles, mais qui avancent tant bien que mal dans la direction qu’ils se sont donnée. Les films de Michel Hazavanicius ne parlent au fond de rien d’autre que de cinéma. Directement quand il se livre à cet éblouissant exercice de style qu’est The Artist, ou qu’il met en scène Godard dans Le Redoutable au moment où celui-ci fait subir une mutation révolutionnaire à son cinéma… Mais c’est également vrai de ses autres films : les deux OSS 117 sont des parodies des films d’espionnage à la James Bond, Le Prince oublié nous entraîne du côté de l’imaginaire enfantin. Et même The Search, son film le plus âpre, est aussi le remake d’un film de Fred Zinnemann, Les Anges marqués, dont l’action se déroulait dans l’immédiat après-guerre, Bérénice Béjo remplaçant au pied levé Montgomery Clift. Comme quoi, au cinéma, tout est possible !

Tous vos films ont pour point commun le cinéma comme fil conducteur… 

Michel Hazanavicius : Cela a l’air de prendre cette forme-là, en effet, et ce n’est pas du tout un choix délibéré de ma part. À chaque fois, c’est d’une manière différente. Les deux OSS 117 parlent de cinéma sans en être le sujet principal, alors que The Artist et Le Redoutable traitent directement la manière dont on fait des films. Coupez ! parle davantage du quotidien du cinéma, de l’artisanat, de la bricole et non pas de conception de cinéma, ou d’analyse des films finis. J’aime beaucoup livrer des objets ouverts au spectateur, et qu’il fasse son travail individuellement, je ne veux pas lui imposer quoi que ce soit. Sur The Artist, il n’y avait pas nécessairement de discours sur le cinéma muet, je faisais simplement état de quelque chose. À vrai dire, s’il y avait eu un discours, cela aurait été pour dire que finalement, le résultat importe peu, ce qui compte c’est l’aventure collective, c’est faire un film qui est magnifique. Parfois on se plante, mais on y a mis du cœur.

C’est ce que vous ressentez à chaque fois ? Que l’aventure en valait le coup ? Qu’elle a donné du relief à votre vie ?

M. H. : Au moment où je fais mes films, je suis plutôt obnubilé par l’idée d’atteindre l’objectif, de faire pour le mieux. Mais la dimension collective, le travail commun de la construction du film sont également très importants. Ces deux objectifs sont deux rails parallèles. Et lorsque l’on fait un film dont on est mécontent, si le résultat nous déçoit, il reste toujours la tranche de vie qu’il a déroulée. Les films sont des moments de vie. Il ne faut pas croire qu’après avoir fait un film on retourne à sa vraie vie, c’est faux. 

Mais n’est-ce pas un moment de mise en relief, un moment durant lequel tout est plus fort, où les émotions sont plus intenses, où le stress aussi est plus grand ? 

M. H. : Si. Il y a quelque chose de fusionnel dans une équipe de cinéma. Vous pouvez demander n’importe quoi. Quand vous regardez des techniciens en repérage dans la rue, vous remarquez que ce sont les seuls à discuter sous la pluie, par exemple. Ma théorie c’est que le cinéma fonctionne exactement sur les mêmes moteurs que la religion, que tout est affaire de croyances et qu’à partir du moment où vous fabriquez, il y a un endroit de votre tête où vous vous prenez pour Dieu. Vous créez une réalité parallèle. Quand vous dites « Extérieur jour », vous créez la lumière, un lieu, des gens. Je crois que le cinéma a la même fonction sociale qu’a pu avoir la Bible. Cela nous donne à chacun un destin commun. Nous ne sommes plus seuls avec nos névroses, nos pulsions, nous faisons partie d’un groupe. Il y a des histoires affreuses dans la Bible, des histoires d’inceste, de parricide etc. C’est très rassurant, en un sens, de savoir que dans LE Livre, tout ce qui nous compose, du plus beau au plus laid est inscrit. 

Faites-vous partie des spectateurs qui s’identifient facilement à un personnage ?

M. H. : Oui, et c’est encore une des fonctions du cinéma, d’entretenir notre capacité à l’empathie. Je suis très bon public. Je me projette facilement sans avoir besoin de voir des personnages qui me ressemblent. Je me projette dans une voiture quand c’est Cars, dans un jouet quand c’est Toy Story. D’ailleurs, quand je vois une comédie, je suis souvent en décalage. Je suis fréquemment très ému quand le public rit, par exemple.

Vous avez beaucoup cité King Vidor lors de la sortie de The Artist. Nous sommes presque surpris de vous voir vous coller fois-ci au film de zombie, qui ne se situe pas dans la même « noblesse cinéphile » et qui ne s’adresse pas au même public.

M. H. : Coupez ! est le remake d’un film japonais [voir encadré ci-après, ndlr] qui lui-même mettait en scène des zombies. Je n’ai pas de passion particulière pour les films de zombies. En revanche, il y a quelque chose dans le dispositif qui correspond aux idées que je défends depuis un moment. À savoir que l’on ne fait jamais un mauvais film, on fait le film que l’on peut. Après cela, d’autres jugent le travail, qui devient chef-d’œuvre ou navet. Mais en tout cas j’aimais l’idée de montrer des gens qui font un film de zombie foiré. Mais il fallait aussi que j’ai en tête ce que le film aurait été s’ils l’avaient réussi. En l’occurrence, ça aurait dû être une série B.

Le film était censé s’appeler Z (comme Z) à l’origine, est-ce l’actualité qui vous a fait changer de titre ? 

M. H. : À l’origine, nous avions choisi ce titre-là pour les séries Z et pour le Z de « zombie ». Pour ce qui est de la connotation russe du « Z », on me l’a demandé et comme c’est un sujet auquel je suis très sensible, j’étais ravi de changer de titre. Car quand un film va à Cannes, il prend une ampleur politique et internationale. Et un tel titre aurait pu être très choquant pour les Ukrainiens, pour qui le Z est devenu quasiment comparable à la croix gammée.

Votre film reprend une structure qui peut nous faire penser à des films qui, comme Manèges d’Yves Allégret nous montrent la même réalité sous deux regards différents…

M. H. : Oui, ce que j’aime bien c’est que l’on a de gros doutes sur les choix du réalisateur avant de se rendre compte qu’il aurait voulu faire un autre film, mais que ça s’est mal passé. Et ce contrechamp fait que beaucoup de gens veulent très rapidement revoir le film pour aller plus loin dans la déclinaison des parallèles.

Et pour ceux qui aiment les DVD, cette deuxième partie est aussi une parodie du making-of que l’on nous offre souvent en bonus. Il permet de comprendre les trucs du magicien qui nous ont précédemment interloqué, et de pouvoir ensuite s’en émerveiller. 

M. H. : Il y a un côté « behind the scenes », comme on dit à Hollywood, et c’est vrai que j’ai moi-même souvent comparé ce film à un tour de magie parce qu’on y parle d’illusion. Et dans un tour de magie on aime partir à la recherche du truc et le revoir pour mieux le comprendre. Quand on la voit pour la première fois, la première partie du film désarçonne alors que si on la revoit, on la saisit à la lumière des informations de la deuxième. 

Il n’empêche qu’avec vous, on s’attend à des formes soignées. Le plan-séquence d’une demi-heure qui ouvre le film vous a-t-il procuré un plaisir particulier à mettre en place ?

M. H. : Le plan-séquence n’est pas spécialement mon Graal. Je n’ai jamais cherché à en faire un à tout prix. En revanche j’ai adoré le travailler en sachant en outre que c’était le plan-séquence d’un film raté. Il y a eu cinq semaines de répétitions pour ce plan pour lequel il a fallu dix-sept prises. Chaque mouvement de caméra était storyboardé car même s’il s’agit d’une comédie sur un film foireux, cela reste quand même très réglé.

Avez-vous des souvenirs durant les tournages de vos films précédents, de scènes qui ne rendaient pas comme vous souhaitiez ? 

M. H. : Oui, il y en a tout en temps, en fait. Un film, on le fantasme avant de le tourner. Et le plateau transforme tout cela en rushes. Parfois on a de très bonnes surprises, mais c’est forcément réduit par rapport à un fantasme. Et parfois on est déçu, on se dit « on verra bien au montage ». Je considère que le montage est quand même la fin concrète de l’écriture. 

Les scènes de foules sont-elles plus difficiles, car plus difficilement modulables ? On se souvient notamment des hordes de réfugiés dans The Search ou des manifestations de Mai 68 dans Le Redoutable

M. H. : Ce sont des plans très lourds pour les équipes mais ce ne sont pas forcément les plus difficiles. Réussir une bonne vanne, ce n’est pas toujours évident par exemple, ou encore arriver à bon port lorsque l’on s’est trompé dans le casting.

Aujourd’hui, nous sommes très habitués aux effets spéciaux numériques, dans Coupez ! on a le bonheur de retrouver les pompes à hémoglobine, les têtes qui se dévissent… Y a-t-il une certaine nostalgie là-dedans ? 

M. H. : Ah oui, là c’est du bio ! Ce n’était que de la mécanique. Je ne dirais pas qu’il y a de la nostalgie mais plutôt de la tendresse. C’est vrai qu’il y a une poésie qui se perd, mais il y a toujours du spectacle. 

Aucun acteur n’a émis de réticence à se confronter aux jets d’hémoglobine, au vomi et j’en passe ? 

M. H. : Non, parce que le film est assez smart par ailleurs, à mon avis. Quand on est malin d’un côté, de l’autre, on peut se permettre d’être très trash. J’aime beaucoup cette idée. Jusqu’où peut-on aller ? Ce qui serait grotesque serait de faire un film entier là-dessus, mais j’aime me permettre d’aller là-dedans.  

Avez-vous été tenté d’ajouter encore d’autres niveaux de réalité  ? Autrement dit, nous indiquer qu’au-delà du tournage nous étions réellement dans un monde de zombies…

M. H. : Le film est déjà bien rempli ! C’est vraiment une comédie de tournage. Et puis cela aurait été beaucoup trop long pour une comédie à mon sens. 

Quels sont les films mettant en scène des tournages qui vous ont le plus ému ?

M. H. : Nous nous sommes tant aimés, qui revient sur le tournage de La Dolce Vita. J’ai aussi envie de citer Les Ensorcelés et Quinze Jours ailleurs, de Vincente Minnelli, deux très beaux films sur le cinéma. Pour Les Ensorcelés, le titre original est The Bad and the Beautiful, qui est beaucoup plus parlant car cela raconte comment une personne peut être sublime lorsqu’elle fait du cinéma et pauvre, mesquine et violente en dehors. Il dépeint des gens qui n’existent finalement qu’à travers le cinéma. Dans ce film, Minnelli donne plusieurs petites leçons de cinéma qui sont très bonnes à suivre. Après évidement il y en a beaucoup d’autres. Moi, j’aime beaucoup les films de tournage. Je trouve qu’une équipe de tournage, c’est une métaphore de la société, avec des rapports très hiérarchisés, des egos, une pression – celle du temps –une mission – celle de faire un film – et en effet, des rapports fusionnels et exacerbés. 

Propos recueillis par Yves Alion
et mis en forme par Manon Durand

Réal. : Michel Hazanavicius. Scén. : Michel Hazanavicius,d’après One Cut of The Dead! de Shinichiro Ueda et inspiré de Ghost in the box de Ryoichi Wada. Phot. : Jonathan Ricquebourg. Mus. : Alexandre Desplat. Prod. : Getaway Films, La Classe Américaine, SK Global Entertainment, Bluelight. Dist. : Pan Européenne. Int. : Romain Duris, Bérénice Bejo, Grégory Gadebois, Finnegan Oldfield, Matilda Lutz. Durée : 1h50. Sortie France : 17 mai 2022.

Ne coupez pas ! Ne coupez pas ! de Shin’ichirō Ueda (2017).

Avant Coupez !, il y avait Ne coupez pas !, film japonais au retentissement inattendu : d’abord à l’affiche dans une unique salle à Tokyo, il a fini par être projeté dans le monde entier et rapporter plus de mille fois son budget de départ. Une trajectoire comparable à celle du Rocky Horror Picture Show : d’abord une pièce de théâtre (Ghost in the Box de Ryoichi Wada), puis un film à petit budget au succès surprise, devenu culte. La version de Michel Hazanavicius, avec ses stars et ses moyens techniques conséquents, se situe aux antipodes du film original, tourné en huit jours avec les étudiants d’une école de théâtre. On voit néanmoins ce qui a séduit le réalisateur français dans le film japonais : Hazanavicius est un cinéphile qui reproduit avec une distance amusée divers styles cinématographiques : ici la série Z horrifique comme auparavant la Nouvelle Vague (Le Redoutable) le cinéma muet (The Artist) et l’espionnage de série B (OSS 117). La mise en abyme de Ne coupez pas ! (un film sur le tournage d’un film fauché) permet de se moquer des clichés du cinéma d’horreur et des galères d’un tournage à petit budget, mais aussi de célébrer la passion qui anime celles et ceux qui font du cinéma leur métier, envers et contre tous, et qui font corps (littéralement à la fin du film en construisant une pyramide humaine) pour obtenir l’image de leur rêve. Ne coupez pas ! peut aussi être vu comme une version potache du Snake Eyes de Brian de Palma, avec un long plan-séquence augural qui est ensuite revisité sous d’autres angles, des points de vue complémentaires qui nous révèlent les coulisses des évènements et permettent d’en avoir une meilleure compréhension.

Sylvain Angiboust




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