Entretiens Le voyage de Fanny de Lola Doillon

Publié le 31 mai, 2016 | par @avscci

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Entretien avec Lola Doillon pour Le Voyage de Fanny

Pour son troisième long métrage (non compris sa collaboration à la série 10%, coordonnée par Cédric Klapisch et le sketch du film collectif X-femmes, interrogeant la sexualité féminine), Lola Doillon revient à ses premières amours, celles des enfants. Pour les exprimer elle a choisi d’adapter le livre de souvenirs de Fanny Ben-Ami, qui a échappé à l’âge de douze ans à la barbarie nazie en s’enfuyant en compagnie d’une bande de gamins plus jeunes qu’elle encore à travers la France. La reconstitution de cette période de ténèbres (mais aussi d’espoir, comme le précise un peu plus loin la cinéaste) est remarquable, jamais ostentatoire, mais suffisamment crédible pour nous faire ressentir une empathie hors du commun pour ces enfants dont le seul crime est d’être nés du mauvais côté des lois raciales en vigueur…

En 1975 votre père, Jacques Doillon, réalisait Un sac de billes qui montrait l’Occupation à travers le regard de deux enfants juifs. Le Voyage de Fanny laboure de toute évidence le même terrain. Est-ce un hasard ?

Lola Doillon : Montrer des enfants dans le cadre de l’Occupation n’a pas été un déclic. L’envie était plutôt de retrouver des enfants comparables à ceux avec lesquels j’avais déjà travaillé en tant que technicienne. Le travail instinctif avec les enfants, les ados, j’aime ça. Je ne suis pas sûre que cela soit hérité du cinéma de mon père. Je dirais que c’est plus instinctif, plus humain. J’aime m’amuser avec les enfants et me mettre à leur hauteur. J’ai donné trois mots à Saga Blanchard, une de mes productrices, au moment où le projet a commencé à naître : « enfants, aventures, Histoire ». J’avais envie de mouvements, d’extérieurs et également de m’ancrer dans une époque passée, ce qui était un exercice nouveau pour moi. À travers notre histoire individuelle, parler de notre Histoire. La productrice m’a fait découvrir ce livre de Fanny Ben-Ami. J’y ai retrouvé mon envie. Je me suis dit que je pouvais chercher une histoire à l’intérieur du récit des quatre ou cinq années de son enfance. Je me suis focalisée sur quelques semaines. J’ai réadapté afin de me retrouver au maximum avec des enfants.

Comment s’est passée la réécriture ?

L. D. : J’ai commencé par m’entretenir avec l’auteure. J’avais besoin d’en savoir un peu plus sur la période qui m’intéressait. Mais surtout sur ses sentiments, son ressenti, ses émotions, car le livre est très factuel. Je voulais en savoir plus sur son rapport avec ses sœurs, sur ce qu’elle était, bref sur ce qui se rapprochait de ce que j’avais envie de raconter. Je n’avais pas le désir d’en faire une héroïne. J’avais la chance d’avoir quelqu’un qui pouvait tout me raconter. Après cela, j’ai effectué un travail d’adaptation. J’ai pris au plus juste de ce qui m’intéressait dans son histoire. Mais je ne fais pas un documentaire. J’ai besoin de me replonger dans la fiction avec des rebondissements qui n’étaient pas forcément au bon endroit dans son histoire. Par contre, ce que j’ai ajouté à la trame principale sont des anecdotes vraies piochées dans d’autres témoignages. Tout est juste, je n’ai rien inventé dans cette histoire.

Avez-vous été influencée par ces films qui confrontent l’enfance à la barbarie nazie : Le Vieil Homme et l’Enfant, Monsieur Batignole… à travers la subjectivité d’un gamin ?

L. D. : Je n’ai pas revu les films dont le sujet s’approchait du mien. On a trop peur de la façon dont certains films aux sujets très proches peuvent vous inspirer. Mais ce n’était de toute façon pas nécessaire : la matière première du film est tellement riche…

Lola Doillon Le voyage de Fanny

Tous les enfants qui entourent Fanny ont-ils réellement existé ?

L. D. : Oui, mais il en manque trois dans ma petite troupe. Je me suis permis de les enlever pour des raisons budgétaires et logistiques. Mais sinon tous les autres personnages ont existé, oui.

Comment s’est passée la direction d’acteur avec les enfants ?

L. D. : Ce qui est génial avec les enfants, c’est qu’ils sont bruts. Je ne vais pas demander à des enfants de jouer autre chose que ce qu’ils sont. Il y avait deux exigences dans le casting. D’abord, trouver ces enfants proches des personnages de par leur caractère. La témérité de Léonie, c’est ce que je recherchais. C’est une fonceuse, une dure. Ensuite, il fallait que le groupe fonctionne. Dès lors que nous pensions avoir réuni tout le monde, nous avons mis tous les jeunes comédiens ensemble et nous avons fait des improvisations. Et tout a très bien fonctionné !

Ils étaient tous très jeunes, mais il y avait tout de même une différence d’âge entre les enfants. Comment cela s’est-il passé ?

L. D. : Les plus grands entraînaient les petits. Je voulais que les petits suivent les grands. Tous avaient lu le scénario, et tous savaient de quoi il s’agissait. Les plus grands sont allés au musée de la Shoah, et au mémorial à Bruxelles, la ville dans laquelle se déroulait le tournage. C’était important pour moi que les gamins se rendent compte de ce que veut dire de ne plus voir ses parents pendant deux ou trois ans, par exemple. En revanche, j’ai refusé que les petits y aillent parce que les jeunes enfants de leur âge savaient à l’époque ce qu’était la guerre, mais ils n’avaient pas conscience de la traque des juifs.

Comment s’est passée la confrontation avec la vraie Fanny ?

L. D. : Fanny [ci-dessus avec Léonie Souchaud] est une femme qui témoigne beaucoup. Elle va dans les écoles, en France, en Allemagne, aux États-Unis… Elle était donc très favorable à l’idée de faire un film sur la base de son témoignage. Cela dit, elle a été surprise lorsqu’elle a lu le scénario, car elle a vraiment compris à ce moment qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre de fiction. Mais elle s’est accrochée à l’idée qu’il fallait parler de ça. Elle est venue ensuite sur le tournage. C’était très émouvant pour elle d’être confrontée directement à ses souvenirs. Elle s’est entretenue aussi avec les enfants. C’est là qu’ils ont totalement pris conscience de l’importance de ce qu’ils jouaient.

Avez-vous vu beaucoup d’enfants pour faire le casting ?

L. D. : Nous en avons vu à peu près 1000 entre la France et la Belgique. 

Faites-vous beaucoup de prises ?

L. D. : J’ai tendance à en faire pas mal, oui. Mais les enfants s’épuisent vite. Et c’était un vrai casse-tête car ils avaient un temps limité de présence sur le plateau compte tenu de leur âge. Nous avons donc dû tout prédécouper en amont. Cela nous a fait gagner du temps car nous pouvions oublier les mises en place.

Le voyage de Fanny de Lola Doillon

Il y a beaucoup de scènes d’extérieurs. Comment s’est déroulé le travail de décoration ?

L. D. : Il y a eu d’abord un gros travail de recherche de lieux entre la Belgique et la France. Nous cherchions des bâtiments d’époque. A suivi un important travail de décoration et sur les costumes. Bien que nous fassions un film d’époque, je ne voulais pas que l’ensemble soit ancré dans l’imagerie. Je ne voulais pas oublier que l’époque avait aussi ses éléments modernes. Je ne voulais pas oublier l’importance que pouvait avoir la couleur, par exemple. Nous nous sommes donc autorisés à mettre des volets orange, des costumes rouges… Ce n’était pas simple car certains éléments devenaient tellement modernes que nous finissions par décrédibiliser la période. Nous rajoutions donc parfois de l’ancien. Le vrai pouvait paradoxalement apparaître complètement anachronique.

Dans un film d’époque on se demande parfois si en étant trop proche on ne finit pas par détourner l’attention. Ne pas trop focaliser le public sur la question des costumes, des décors est parfois nécessaire…

L. D. : Au bout d’un certain temps je pense que la matière est tellement forte qu’on l’oublie. Les trains que nous avions étaient d’époque, et nous avons choisi de ne pas les retoucher. Pour les costumes, nous nous sommes donnés la liberté d’aller dans du rouge, de l’orange, du jaune. Il fallait travailler les décors et les costumes ensemble. Nous avons beaucoup travaillé en interne pour éviter trop de modernisme et en même temps de tomber dans quelque chose trop pastel.

Chose nouvelle pour vous aussi : c’est un film itinérant. Et donc un tournage beaucoup plus complexe…

L. D. : Le tournage était une sorte de cirque ambulant, avec beaucoup de wagons. Mais c’est excitant de faire trois quarts d’heure de voiture pour arriver sur un décor, en sachant que ça sera une montagne qui est sublime. Cela permet de ne pas se demander pourquoi on est là ! Ça fait partie de l’aventure du film de se demander où est-ce qu’on va mettre la cantine pour que toute l’équipe puisse déjeuner en haut de la montagne. C’était une sorte de colo. Mais aussi un grand plaisir.

Que vous seriez-vous permis si vous aviez eu un budget plus confortable ?

L. D. : J’aurais pris plus de temps.

Ce qui est fascinant, c’est l’enfance qui cherche à comprendre le monde des adultes. Savoir ce que chaque individu représente : est-il bon ou méchant ? Est-ce qu’on peut compter sur lui ou est-ce qu’il faut s’en méfier ?

L. D. : Au début du film ce sont des enfants, qui n’ont donc pas des responsabilités d’adultes. Les adultes s’occupent d’eux. Mais quand on prend ces enfants et qu’on leur dit : « Débrouillez-vous tout seul, vous devez prendre des responsabilités d’adultes », à ce moment-là ils deviennent méfiants. Ils prennent conscience du danger. Il y a une sorte de mélange d’insouciance et de conscience du danger, mais pas de la gravité. J’ai été frappé par certains témoignages de personnes ayant grandi sous l’Occupation. La guerre n’était pas le moment le plus grave, car il y avait l’espoir de retrouver ses parents. La fin de la guerre a été violente, parce qu’elle signifiait que les parents ne reviendraient pas. Pour beaucoup d’enfants la fin de la guerre a été une horreur. Bizarrement, la guerre maintenait l’espoir… n

Propos recueillis par Yves Alion, et retranscris par Tancrède Delvolvé

Réal. : Lola Doillon. Scén. : Anne Peyrègne et Lola Doillon, d’après le récit de Fanny Ben-Ami. Phot. : Pierre Cottereau. Mus. : Sylvain Favre-Bulle. Prod. : Origami Films et Bee Films. Dist. : Metropolitan Filmexport.
Avec Léonie Souchaud, Cécile de France, Stéphane de Groodt, Fantine Harduin, Juliane Lepoureau, Ryan Brodie…
Durée : 1h34. Sortie France : 18 mai 2016.




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