Evénement Festival Reims Polar 2021

Publié le 15 juin, 2021 | par @avscci

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Festival Reims Polar (26-30 mai 2021)

Le film noir est sans doute le genre qui possède la plus grande multiplicité de facettes. En atteste la sélection du festival Reims Polar, la première dans cette cité de Champagne mais la trente-huitième sur cette thématique qui est passée au fil de son histoire par Cognac (de 1982 à 2007), puis Beaune (de 2009 à 2019), des lieux également associés à de précieux nectars. Un festival en ligne ne permet pas de partager toutes les émotions que recèle un film. Le plaisir collectif se réduit individuellement et édulcore ainsi des frissons et des émotions destinés à être partagés. La richesse de cette 38e édition doit beaucoup à sa diversité géographique, le polar se déclinant à peu près sur tous les registres et servant traditionnellement à prendre le pouls de la société qui l’engendre. Ce genre à géométrie variable s’attachant à la face obscure de la civilisation, libre à lui d’en emprunter les chemins de traverse les plus inattendus et d’adopter des partis-pris parfois extrêmes mais toujours assumés.

Il s’agit dans tous les cas de tableaux de mœurs saisissants qui décortiquent le fonctionnement de certaines institutions à travers des chroniques sociales acérées et des caractères affirmés. Pas de place pour les demi-portions et les personnalités effacées dans cette jungle de turpitudes en vrac. Le flic constitue encore la figure tutélaire du genre. C’est toujours à lui de nettoyer les écuries d’Augias, comme les hommes en bleu dont le film bulgare Rounds, de Stephan Komandarev (Sang neuf) suit avec un réalisme saisissant les rondes de nuit ponctuées de menues entorses au règlement. Des policiers au bord du délit, on en croise aussi dans La Loi de Téhéran, de l’iranien Saeed Roustaee (compétition, sortie le 28 juillet) aux prises avec un appareil judiciaire implacable qui a le gibet facile. Un film choc qui alterne avec une virtuosité confondante les confrontations musclées et les scènes de foule spectaculaires.

Dans Shorta (mot qui signifie “police” en arabe) des danois Frederik Louis Hviid et Anders Ølholm (Sang neuf, sortie le 23 juin), deux cow-boys en uniforme se retrouvent piégés dans une cité à la façon des Misérables de Ladj Ly, mais sur un registre nettement moins subtil. Et puis, quand la police traditionnelle est débordée, d’autres groupes de protection s’érigent sous prétexte de protéger la société. Dans le terrifiant Watch List de Ben Rekhi (compétition, sortie en VOD le 11 juin), on suit ainsi les raids criminels dans les rues de Manille des milices commanditées par le dictateur philippin Rodrigo Duterte qui a juré de s’inspirer d’Adolf Hitler pour éliminer les trois millions de drogués de son pays. Avec pour guide une veuve bien décidée à protéger ses enfants. Last but not least, dans La Troisième Guerre de Giovanni Aloi (Sang neuf), on suit le quotidien d’un groupe Sentinelle à travers les rues de Paris dont l’un des membres devient paranoïaque, entre menaces réelles et frustration de ne pas être en droit de réagir aux atteintes d’un quotidien angoissant. Radiographie d’une société en proie à une psychose ascendante qui atteint ses vigies en uniforme.

La délinquance peut elle aussi emprunter des voies innombrables qui donnent du grain à moudre aux scénaristes soudain conviés au chevet de nos sociétés malades. Dans The Slaughterhouse, de l’iranien Abbas Amini (compétition), ce sont des trafics de dollars qui se déroulent dans des abattoirs où les billets verts du Grand Satan provoquent une frénésie dont on appréciera le cynisme. Dans la transposition par le cinéaste allemand Burhan Qurbani du monument littéraire d’Alfred Döblin Berlin Alexanderplatz (compétition, sortie le 18 août), c’est un réfugié guinéen (?) qui exécute les basses œuvres d’un caïd arrogant, mais on reste très loin de la série emblématique qu’en a tiré Rainer Werner Fassbinder il y a un demi-siècle. Dans le très percutant Deliver Us from Evil, du Coréen Hong Won-chan (compétition), il est question de trafic d’organes en Thaïlande dans une course effrénée où tous les coups sont permis entre Japonais et Coréens. Mais là, les forces de l’ordre en sont réduites à compter les points.

Le cinéma adopte volontiers le parti du mal. Question de point de vue. C’est le cas dans Vaurien de Peter Dourountzis (Sang neuf, sortie le 9 juin), rescapé de la fameuse sélection officielle Cannes 2020, qui suit la déambulation meurtrière d’un tueur de dames séduisant qu’incarne tout sourire Pierre Deladonchamps. Dans L’Ennemi de Stephan Streker (hors compétition, sortie le 29 septembre), c’est Jérémie Rénier qui incarne un politicien accusé du meurtre de son épouse, une animatrice de télévision sadomasochiste qui l’a poussé à bout dans une liaison toxique sur fond de violences conjugales d’un genre un peu particulier. Sky High, de Daniel Calparsoro (hors compétition) est l’éternelle conte du jeune type désireux d’aller… jusqu’au ciel qui s’acoquine avec des voyous pour commettre des casses de plus en plus audacieux, tout en séduisant la fille d’un notable véreux. Une ascension évidemment à haut risque comme le cinéma espagnol en filme désormais à la chaîne avec une roublardise consommée dont La Casa de papel est devenu la référence. Aux antipodes, les frères italiens Damiano et Fabio d’Innocenzo remontent quant à eux aux origines du mal dans le glaçant Storia di vacanze (compétition, sortie le 30 juin), Ours d’argent du meilleur scénario à la Berlinale 2020, où Elio Germano campe le Pater Familias d’une tribu de moins que rien engluée dans sa médiocrité satisfaite.

Après Yellowcat en compétition à Venise, le dixième film de l’auteur kazakh prolifique et narquois de La Tendre Indifférence du monde (2018) et A Dark, Dark Man (2019) persiste et signe sur le registre du polar décalé autour d’une enquête dans laquelle une justicière féministe résout la pratique anachronique du mariage forcé façon puzzle. Dans la tragédie cocasse d’Adilkhan Yerzhanov Ulbolsyn (Sang neuf), sur fond de musique disco et de QR Codes muraux, l’enrobage compte davantage que l’intrigue. Au-delà du bien et du mal, c’est l’affrontement de la tradition et de la modernité. Autre particularité d’un genre qui n’en peut plus de brouiller les cartes. La psychologie se trouve également au cœur d’Every Breath You Take de Vaughn Stein (hors compétition, chroniqué dans notre numéro 683). Culpabilisé par le suicide d’une de ses patientes, un psychanalyste (Casey Affleck, toujours épatant quand il est fragilisé) voit débarquer dans sa vie le frère de la victime. Mais celui-ci n’est pas nécessairement animé des meilleures intentions… Autre fléau moderne, la cybercriminalité se trouve au cœur de Silk Road de Tiller Russell (hors compétition, sortie sur Amazon Prime Video le 25 juin), inspiré d’une histoire vraie, où un flic fort en gueule mais en voie de rédemption (Jason Clarke) joue à cache-cache avec des blancs-becs rompus à tous les secrets du Dark Web devenus dealers en bitcoins. Une chasse aux Geeks dématérialisée qui n’est pas sans rappeler un film pionnier du genre, le bon vieux Traque sur Internet (1995) d’Irwin Winkler. Seul un David Fincher aurait sans doute pu tirer parti de cet affrontement inégal entre un ancien et un moderne qui reste un peu trop virtuel pour être brillant sur le plan cinématographique. Les écrans restent toujours désespérément allergiques aux écrans.

Il y a autant d’amertume que de nostalgie dans ces multiples explorations qu’il est tentant de qualifier d’investigations. À l’instar de la démarche de Jérémie Guez dans Sons of Philadelphia (hors compétition, sorti le 26 mai) où il s’attache aux relations de deux garçons élevés comme des frères qui vont devoir faire front commun contre l’adversité, dans la mouvance des premiers opus de James Gray. Retour aux origines avec The Mayor of Rione Sanità, de Mario Martone (compétition). Lionceau d’or Agiscuola à la Mostra de Venise 2019, le dixième long métrage de fiction du réalisateur de Mort d’un mathématicien napolitain (1992) est la transposition littérale d’une œuvre de jeunesse du dramaturge Eduardo de Filippo, Le Parrain du quartier Sanità, articulée comme une tragédie antique inéluctable qui orchestre la lutte éternelle du vice et de la vertu. Don Antonio, un caïd manipulateur et sentencieux de la région de Naples devient l’homme à abattre pour avoir tenté de régler un conflit entre un boulanger intègre et son fils dévoyé qui le renvoie à sa propre conception de la famille. À l’opposé, la délinquance en col blanc du monde 2.0 est l’enjeu de Boîte noire de Yann Gozlan (compétition, sortie le 8 septembre) où, suite à un crash, un enquêteur novice du BEA se trouve confronté à un faisceau d’indices troublant. Plongée dans un univers mystérieux rarement montré à l’écran où s’affrontent des intérêts industriels et des enjeux commerciaux considérables que la pandémie de Covid-19 n’a pas épargnés entre-temps.

Jean-Philippe Guerand

Palmarès

Grand Prix et Prix de la critique

La loi de Téhéran, de Saeed Roustaee

Prix du jury

The Slaughterhouse, d’Abbas Amini

Prix du public.

Boîte noire de Yann Gozlan




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