Publié le 14 janvier, 2015 | par @avscci
Critique Une nouvelle amie de François Ozon
Des hommes et des costumes
C’est une évidence : François Ozon court (et tourne) plus vite que son ombre, peut-être plus que tout autre auteur en activité depuis Fassbinder, auquel il avait rendu hommage dans l’un de ses premiers longs métrages. La capacité d’Ozon à enchaîner les longs métrages a presque malencontreusement empêché une certaine distance critique ou réflexive sur son travail : un film chasse l’autre, et le spectateur ou critique se retrouve déjà à évaluer la dernière œuvre avant même d’avoir pu s’interroger sur la place de celle d’avant dans la filmographie globale du cinéaste.
Une nouvelle amie, qui suit le succès de Jeune & Jolie, n’est peut-être pas encore l’occasion parfaite de regarder dans le rétroviseur, mais permet de s’interroger à nouveau sur cette étrange artiste, un peu « outsider » dans le paysage du cinéma français.
Une histoire de foi
On peut envisager Une nouvelle amie (ou tenter) à travers l’angle des précédents films d’Ozon, au petit jeu des citations, mais c’est un peu court. Le film possède en tout cas cette atmosphère ouatée, en dehors du temps, très particulière au cinéaste. Celui-ci avait semblé très à l’aise dans la reconstitution des années 1970 de Potiche, et semble en effet sans arrêt courir après une époque qui, si elle ne souhaite apparemment pas être une évocation permanente du passé, ne se situe pas dans une évidente modernité. Peu de téléphones portables chez François Ozon, peu d’usages d’Internet et de signes ostentatoires de l’époque actuelle. Un temps à part, celui du récit, peut-être celui du conte de fées, qui a souvent été évoqué par le cinéaste et semble ressurgir dans la maison parfaite habitée par Romain Duris, ou le château appartenant aux parents de son épouse décédée. Dans cet univers à part, clos et loin des problèmes de notre monde, les histoires (multiples chez Ozon) peuvent surgir, comme dans celles que se racontent les héros de Dans la maison. Soit un jeune veuf, et la meilleure amie de son épouse morte. Récit classique qui se détraque lorsque le bel époux éploré est découvert en habit complet de femme, dans l’intimité de son foyer : il aime s’habiller en femme, va partager cette passion dévorante avec l’amie de sa femme morte, dans un jeu dont tous les deux tirent profit, parfois sans s’en rendre compte. L’univers du travestissement ici dépeint n’est pas forcément celui du film gay, parfois évoqué par le metteur en scène. Il n’est presque jamais question d’histoire ou d’attirance d’un homme envers un autre homme. Il s’agit ici d’abord de déguisement, mais ensuite de désir de féminité à tous les niveaux : vouloir faire l’amour avec une femme (ce que souhaite le personnage principal) ou vouloir être une femme (ce qu’il veut également, mais ce que veut aussi l’héroïne, petite souris qui se découvre progressivement beauté presque fatale). Un désir d’être autre chose, au-delà et à l’intérieur de soi-même, qui est tout autant au cœur de Potiche que de Sitcom.
Des êtres réinventés
Au cœur du petit monde brillant du film il y a, comme souvent chez Ozon, des fantômes. Ce n’est plus l’encombrant Bruno Cremer de Sous le sable, mais celui d’une figure nettement plus diaphane, Isild Le Besco. Une trouvaille de casting particulièrement heureuse, tant l’absence récente sur les écrans de la comédienne donne à ses (rares) apparitions une dimension particulièrement étrange. Le visage de Le Besco, qui prend avec le temps une dimension particulière, bizarre, loin de la lisse jeune première de Sade, confère au film une étrangeté persistante. Puis il y a bien sûr Romain Duris, le cœur du film qui tente ici une prestation (évidemment) courageuse, même si elle est devenue ces dernières années un passage obligé des plusieurs grands comédiens. L’acteur se livre à une insolite performance, parfois formidable mais aussi étonnamment cliché dans son approche ou sa conception de la féminité. Pourtant, le résultat marche probablement parce que les maladresses de l’acteur finissent par se mêler parfaitement (consciemment ou pas) avec celles du personnage, incarnant lui-même un autre, cette fameuse nouvelle amie. La dimension personnelle du film peut probablement se lire là, loin d’un discours parfois classique sur les travestis et plus proche d’un méta long métrage, où la volonté de « jouer » un autre que soi, se confond avec celle de se raconter des histoires. La croyance (dans les fantômes, dans le déguisement, dans le cinéma, bien évidemment) au cœur de l’art de l’auteur peut être envisagée ici, ainsi que dans le personnage incarné par Anaïs Demoustier. Cette dernière est le principal protagoniste du récit, comme le cinéaste le mentionne lui-même dans le dossier de presse. Sa transformation en femme épanouie, heureuse et s’assumant, loin de l’ombre étouffante de sa meilleure amie, est le vrai sujet de Une nouvelle amie. Elle s’opère, au premier degré, grâce à sa rencontre avec cet homme/femme, et l’étrange secret qu’ils partagent ensemble. Mais on peut également considérer qu’elle survient tout simplement grâce au miracle de la fiction. Elle se heurte à une histoire, choisit de la vivre, à la fois elle-même et à travers un autre (l’interdit qu’interprète dans sa propre apparence Duris) et apprend ainsi à mieux vivre, à être mieux elle-même, dans un schéma proche des écrits de Stanley Cavell.
La violence derrière un paradis
La confiance de François Ozon dans la fiction, dans son cinéma et dans ses héros s’incarne dans les derniers plans du film, où les personnages principaux créent une communauté familiale imprévue mais fonctionnelle. Une fin heureuse qui peut encore être reliée à une conception presque classique du 7ème Art : la réunion dans une parfaite communauté imaginaire, créée et entretenue par les images, où chacun peut trouver sa place et être soi. Le cinéma, comme instrument de création de mythes et de mini utopies, où il est possible de réinventer le concept même de genre, loin d’un présent encombré par les cris des défilés contre le mariage homosexuel. Ce qui est étonnant derrière ce finale presque sucré, est la violence contenue de cette conclusion. Le meilleur exemple est le personnage du mari d’Anaïs Demoustier, incarné par Raphaël Personnaz. Un personnage sacrifié à la fin, rejeté hors du film et du couple principal, alors qu’il croyait avoir une femme et semblait aussi avoir un tout nouveau bébé (adopté). Il sort en quelques mots du film et la douleur qu’il a forcément ressentie est parfaitement elliptique et évacuée. Comme si dans le monde lumineux, kitsch et hors du temps créé par Ozon, certaines douleurs ne pouvaient avoir droit de cité et étaient simplement placées sous le canapé, pas même regardées, encore moins explorées. La quête de soi à travers la fiction, au centre de presque tous les films du réalisateur, prend ici une couleur plus sombre, contrebalançant de manière pertinente l’univers parfois (volontairement) trop joli posé par Ozon. Derrière les décors policés de maison de poupée, une étrange loi du plus fort : le plus faible (celui qui n’a pas l’imagination de s’inventer des histoires, ou de se réinventer lui-même) est impitoyablement écarté sans autre cérémonie, bouté hors du film et de son univers, tel la figure jouée par Jacques Nolot dans Sous le sable. Le cinéma de François Ozon a toujours tendu vers les plans qui concluent Une nouvelle amie, vers la perfection d’un monde recréé où les héros peuvent enfin trouver la place que la vie leur avait reniée. Le refoulé est ainsi situé dans un réel qui a peut-être les traits de Raphaël Personnaz, un endroit où personne ne possède la même fois dans les histoires, les images, les costumes et la réinvention de soi-même. Un lieu plus froid donc, un réel qui percutera bien, un jour ou l’autre, l’œuvre d’Ozon. Cette rencontre, dont la violence programmée risque d’être notable, sera forcément un spectacle digne d’intérêt au plus haut point.
PIERRE-SIMON GUTMAN
Réal. : François Ozon. Scén. : François Ozon, librement adapté de la nouvelle The New Girlfriend, de Ruth Rendell.
Phot. : Pascal Marti. Mus. : Philippe Rombi. Prod. : Éric et Nicolas Altmayer, Mandarin Cinéma et FOZ. Dist. : Mars Films.
Avec Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz, Isild Le Besco, Aurore Clément, Jean-Claude Bolle Reddat.
Durée : 1h47. Sortie France : 5 novembre 2014.