Critiques de films Affiche Teheran Tabou d'Ali Soozandeh

Publié le 18 octobre, 2017 | par @avscci

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Critique – Téhéran Tabou d’Ali Soozandeh

Faux-semblants

Dans une société iranienne corsetée par la morale, Téhéran Tabou suit le destin de trois femmes aux prises avec les interdits rigides entourant la sexualité. Il y a une femme enceinte que son mari empêche de travailler, une autre qui essaye de divorcer et se prostitue pour nourrir son fils, et une troisième qui doit subir une intervention réparatrice pour faire croire à son futur époux qu’elle est encore vierge. Tout cela se passe dans une ville de Téhéran transfigurée pour le film, stylisée et presque allégorique, recréée à distance par le réalisateur qui ne pouvait évidemment y tourner ce pamphlet politique peu aimable à l’égard d’une société sexiste et puritaine.

Pour apporter malgré tout une forme de réalisme à son trait, tout en profitant de la liberté absolue de représentation offerte par l’animation, le réalisateur Ali Soozandfeh a choisi d’utiliser la rotoscopie, un procédé qui consiste à filmer de vrais acteurs sur fond vert, puis à les redessiner et à les intégrer ainsi dans des décors peints. Cela permet de créer de la distance avec le récit, mais aussi de bénéficier d’une grande souplesse scénaristique indispensable pour garantir au film une vraie liberté de ton, ainsi qu’une profondeur inhabituelle aux personnages. Ceux-ci ne sont pas uniquement des archétypes aux prises avec un carcan social et moral qui les dépasse. Ils ont leur part de libre arbitre, mais aussi une personnalité affirmée, voire haute en couleurs, et surtout une manière, différente pour chacun, de se rebeller contre l’oppression, que ce soit l’humour, la musique ou le simple refus de se plier à ce que l’on attend d’eux.

Le constat sur l’impossibilité de s’épanouir dans un système aussi hypocrite et contradictoire n’en est que plus violent, voire anxiogène. Le symbole d’un monde empli de faux-semblants, aussi. On a même parfois l’impression que le film tombe dans le piège du catalogue quasi exhaustif des problèmes de la société iranienne (de la toute-puissance des hommes sur les femmes à la corruption des fonctionnaires, en passant par la censure artistique ou la tentation de l’émigration, sans oublier les différents personnages masculins qui n’hésitent pas à recourir aux services d’une prostituée, tout en prônant pour les autres la morale la plus stricte). Pourtant, l’écriture sensible et légère des dialogues et des situations, préférant l’ironie au drame, l’humour au misérabilisme, produit une œuvre puissante et singulière.

Aucune situation n’est un prétexte, chaque séquence s’intégrant intelligemment dans ce grand tout qui ne se contente pas de dénoncer aveuglément les travers des uns et des autres. On y découvre aussi les dessous de la ville de Téhéran : boîtes de nuit clandestines, drogues et alcools divers en circulation, avortements pratiqués en cachette, faux papiers officiels… Rien n’épargne la société iranienne prise en permanence entre l’étau (étouffant) des apparences et la réalité aussi désespérée que débridée. Au bout du chemin, il n’y a d’espoir que dans l’exil, ou la mort.

Pourtant Ali Soozandfeh ne tombe pas dans le mélodrame. Certes ses personnages sont empêchés de vivre tel qu’ils l’entendent, mais ils ne se considèrent pas eux-mêmes comme des victimes. Ce sont au contraire des êtres en mouvement, qui portent sur leur vie un regard dénué de complaisance. D’où la tonalité parfois plus légère du film, entre autodérision et ironie. Le cinéaste va même assez loin dans cet humour noir qui dans un premier temps allège le film, et finit par en faire ressortir violemment les aspects les plus sombres et les plus sordides. Il joue notamment sur le contraste des situations (une prostituée qui emmène son fils pendant ses passes, et lui donne des bonbons pour le faire patienter, un juge sévère qui fait payer ses faveurs et entretient des maîtresses…) pour amener le spectateur du rire à la sidération, du choc à la réflexion. Bien sûr, on n’ignore plus grand-chose des affres de la société iranienne, dénoncée régulièrement par le cinéma ou la littérature. Mais peut-être Téhéran Tabou est-il le premier à le faire de manière aussi frontale et crue, donnant cette impression de secouer plus brutalement les consciences.

Marie-Pauline Mollaret

Tehran Taboo. Réal. et scén. : Ali Soozandeh. Mus. : Ali N. Askin. Phot. : Mattin Gschlacht. Prod. : Little Dream Entertainment/Coop99 Filmproduktion. Dist. : ARP Sélection.
Avec les voix de Elmira Rafizadeh, Zahra Amir Ebrahimi, Arash Marandi, Bilal Yasar, Negar Nasseri…
Durée : 1h36. Sortie France : 4 octobre 2017.

 

 




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