Critiques de films Grâce à Dieu de François Ozon

Publié le 28 février, 2019 | par @avscci

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Critique – Grâce à Dieu de François Ozon

Entre le ciel et l’enfer

On reproche volontiers au cinéma français d’éviter les sujets qui fâchent et de ne rendre que trop rarement compte des soubresauts qui agitent la société, sinon sous la forme de comédies plutôt inoffensives. C’est ce moment de sa carrière de cinéaste installé que choisit François Ozon pour aborder frontalement l’un des thèmes les plus délicats qui soient : la pédophilie dans l’Église, à travers le silence assourdissant observé par le cardinal de Lyon, Philippe Barbarin, quand ont été révélés les faits dont s’est rendu coupable pendant plusieurs décennies le prêtre Bernard Preynat sur des mineurs dont il avait la charge et à qui on ne l’a pas retiré.

Il a fallu que certaines de ses victimes brisent la loi du silence et dénoncent l’une après l’autre les attouchements dont elles avaient été victimes dans leur enfance pour que le septuagénaire avoue ses crimes, alors même que ses supérieurs ne manifestaient quant à eux aucune réaction officielle intelligible, comme complices d’une omerta assassine destinée à protéger une institution inadaptée au monde moderne.

François Ozon adopte le point de vue de plusieurs de ces adultes qui ont dû grandir avec ce traumatisme terrifiant en étant souvent contraints de le taire à leur entourage, donc en s’interdisant de pouvoir se reconstruire sereinement. La virtuosité de ce scénario qu’il a écrit seul réside dans sa structure polyphonique. Son narrateur change en effet à pas moins de trois reprises : à Melvil Poupaud succèdent Denis Ménochet, puis Swann Arlaud. Comme pour mieux montrer que les victimes s’expriment ici d’une seule voix, celle de la Parole Libérée, une association créée dans le but d’obtenir justice. Grâce à Dieu s’avère aussi courageux dans son propos qu’audacieux par son parti pris qui consiste à traiter d’une affaire en cours d’instruction depuis trop longtemps afin de sensibiliser l’opinion publique à cette situation éminemment dommageable pour les parties civiles. Ce n’est pas un hasard si l’avocat du père Preynat a demandé que la sortie du film soit repoussée après le procès de son client, alors même qu’aucune date n’avait été arrêtée concernant cette échéance si longtemps attendue. Après avoir suscité un vif intérêt des acheteurs étrangers présents au Festival de Berlin, où sa présence en compétition lui a par ailleurs assuré une exposition médiatique retentissante, ce film engagé, mais jamais anticlérical, devrait contribuer par son succès prévisible à servir de chambre d’écho et d’exutoire à toutes ces victimes dont la souffrance a trop longtemps été condamnée à rester muette.

La démonstration d’Ozon n’est jamais manichéenne et il se garde bien de désigner un bouc émissaire. Bernard Verley se tire brillamment du rôle le plus ingrat, celui du père Preynat, être aussi misérable que pathétique, incapable de dominer ses pulsions pour qui la révélation de la vérité apparaît comme une véritable délivrance, là où l’impérial François Marthouret campe un Barbarin glaçant qui n’a rien à envier à Mazarin par son cynisme et sa détermination. Loin de se substituer aux juges chargés de soulager ses protagonistes de l’écrasant secret qui les hante, au point d’avoir parfois gâché leur vie et notamment leurs relations sociales et sentimentales, le réalisateur s’attaque à la conjuration du silence qui sape les fondements d’une institution régie par des règles d’un autre âge. Ses victimes sont d’ailleurs pour la plupart des catholiques pratiquants qui se font une très haute idée de la foi, mais rejettent le silence assassin dans lequel se sont enfermées les institutions cléricales, de crainte de voir étalées au grand jour des pratiques dont plusieurs affaires passées ont démontré qu’elles relevaient davantage de la règle que de l’exception. Au-delà de la pédophilie se pose un problème de fond ô combien plus vaste : le célibat des prêtres. Et là, on touche à un dogme séculaire et à l’un des fondements de l’Église catholique.

Contrairement au film américain Spotlight (2015) de Tom McCarthy qui évoquait la croisade pour la vérité menée par les journalistes du Boston Globe contre les turpitudes du clergé local, Grâce à Dieu s’attache davantage aux victimes « ordinaires » qu’à ceux qui les ont souillées à jamais. La noblesse du film de François Ozon est d’éviter les amalgames pour se concentrer sur le travail de résilience des victimes et leur solitude face au mal qui les ronge. Pas question pour lui de sombrer dans les méandres du film à thèse, comme s’y exercèrent par le passé des cinéastes tels qu’André Cayatte ou Yves Boisset. Il s’attache avant tout à des êtres fragilisés par leur traumatisme dont c’est d’ailleurs bien souvent l’unique point commun, ainsi que le confirment les débats passionnels qui agitent leur association. Suprême élégance, François Ozon s’interdit les morceaux de bravoure et les effets de style qui ont pu caractériser certains de ses opus les plus récents, mais sert son propos et ses interprètes avec une rare humilité. C’est la marque des plus grands artistes de se dévouer aux causes qu’ils défendent.

Grâce à Dieu est une œuvre puissante et universelle dont les qualités purement cinématographiques s’accompagnent de vertus thérapeutiques qui devraient contribuer en tant que telles à soulager des milliers de victimes trop longtemps cloîtrées dans leur silence et à faire entendre leurs voix, première étape incontournable d’une reconstruction qui ne peut passer que par le châtiment de leurs bourreaux. n

Jean-Philippe Guerand

Réal. : François Ozon. Scn. : François Ozon. Dir. Phot. : Manuel Dacosse. Mus. : Evgueni et Sacha Galperine.
Mont. : Laure Gardette. Déc. : Philippe Cord’homme. Cost. : Pascaline Chavanne. Int. : Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud.
Prod. : Éric et Nicolas Altmayer pour Mandarin Films, Scope Pictures.
Dist. : Mars Distribution. Durée : 2h17. Sortie France : 20 février 2019.




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