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Publié le 10 janvier, 2015 | par @avscci

Actu Livres – A la porte du paradis de Michael Henry Wilson

Michael Henry Wilson a publié ce livre extraordinaire en avril de cette année. Deux mois plus tard, il a quitté ce monde, le 26 juin, en Californie, là où il s’était installé il y a plus de trente ans. Il était né en France, il y avait grandi. Il aimait Miles Davis, Paul Klee, Saint-John Perse, mais voici comment il présentait lui-même son amour du cinéma : « Il s’avéra que le choc le plus profond provint des cinéastes. L’après-midi où j’assistai à deux séances d’affilée de Citizen Kane dans une petite salle d’art et d’essai près de la place de l’Opéra a probablement décidé de ma vocation. Quelques semaines plus tard, Hiroshima mon amour me confirma que le cinéma englobait et parfois même transcendait tous les autres modes d’expression. Cette passion finit par modeler ma vie personnelle et professionnelle, d’abord à Paris, puis à Los Angeles. Elle me poussa à creuser mon sillon dans le cinéma, l’enseignant, le commentant dans mes articles, me tournant bientôt vers la production et l’écriture de scénarios, avant de me lancer dans la réalisation de films et séries documentaires.  La passion est aussi ce qui dicte le choix de mes projets, qu’il s’agisse de livres ou de films : il faut qu’ils émanent d’un coup de cœur. » Ami de L’Avant-Scène, il était à la fois français et américain. Il fut le réalisateur de quatre documentaires importants, le mémorable Voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain, qui en presque quatre heures est la meilleure introduction possible à la connaissance du sujet. Puis un autre documentaire avec son complice Scorsese, à propos du tournage de Kundun, un film sur Clint Eastwood, et enfin un dernier sur Mandela, dont l’idée lui avait été soufflée par le Dalaï-Lama en personne. Il était, depuis 1972, l’un des piliers de Positif. Ce dernier ouvrage, six-cent-quarante pages en très grand format, rassemble ses essais sur cinquante-huit auteurs du cinéma américain. Il les avait publiés pour la plupart au cours de ces années dans Positif, mais il les a relus, amendés, retouchés pour cette entreprise majeure. De Griffith à Lynch, de Murnau à Malick, il parle de chacun de ces auteurs à la première personne, en amateur raffiné, éclairé. Mettant toujours les œuvres en perspective, jamais snob, jamais péremptoire, il s’efforce de trouver le sens profond du travail de chacun d’entre eux, parfois en parlant d’un seul de leurs films, parfois en couvrant un spectre beaucoup plus large. Ces cinquante-huit petits traités d’admiration, lus les uns après les autres, émeuvent et font penser, et permettent de rencontrer celui qui était bien sûr un critique important, mais aussi, tout simplement, un écrivain véritable. Ce qui rassemble ces textes c’est l’idée que les pionniers ont vu un jour la porte du Paradis se refermer devant eux. Cette intuition magnifique est déclinée différemment selon les époques. Selon Wilson, les cinéastes des premiers temps croyaient encore à un Éden possible. Les contemporains ont perdu cette espérance. Il manque curieusement quelques noms à ce panthéon bienveillant, à cette vibrante célébration d’un art national majeur : Chaplin, Ford, Lang, Woody Allen. Est-ce le hasard de l’écriture au fil des années, est-ce un oubli délibéré ? L’ensemble du livre est d’une si haute tenue qu’on se prend à regretter de ne pas lire Wilson à leur sujet. Le préfacier de l’ouvrage est l’un de ses amis les plus proches, un autre cinéphile fervent du nom de Scorsese. Réalisera-t-il sans Michael Henry Wilson le projet qu’ils avaient ensemble au sujet du  cinéma britannique ? Ce serait sans doute l’occasion de lui rendre un bel hommage.

RENE MARX

Michael Henry Wilson, À la porte du Paradis, Armand Colin, 640 pages.




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