Publié le 26 mars, 2021 | par @avscci
0Portrait – Giuseppe Rotunno (1923-2021), la lumière de Cinecittà
À Padoue, en 1953, la mort accidentelle du chef opérateur G.R. Aldo au cours du tournage de Senso, de Luchino Visconti, propulse le cadreur Giuseppe (« Peppino ») Rotunno au premier rang. Il n’a que trente ans, mais son expérience à Cinecittà est déjà longue. Simple ouvrier, à quinze ans, dans les studios, il est devenu rapidement photographe de plateau, puis assistant caméra. À dix-neuf ans, en 1942, il est déjà cadreur pour Rossellini (L’Homme à la croix). Après Senso, il éclaire Pain, amour, ainsi soit-il (Dino Risi, 1955), relevant un défi technique nouveau : c’est la première fois que les Italiens utilisent le CinémaScope.
Sa deuxième collaboration avec Visconti (sur cinq), Les Nuits blanches, est un nouvel exploit. Il suffit de regarder comment les nuits lumineuses de Saint-Pétersbourg décrites par Dostoïevski deviennent les nuits artificielles reconstituées en studio par Visconti et Rotunno. Après les splendeurs colorées de Senso, la modestie apparente du noir et blanc où évoluent Mastroianni et Maria Schell maintient le lyrisme, l’enthousiasme créatif de Visconti. Enthousiasme toujours servi par Rotunno dans les éblouissantes images de Rocco et ses frères (1960) et du Guépard (1963). Leur dernier travail en commun sera L’Étranger (1967). Il est amusant de relire les malicieuses mémoires de Dino Risi, où celui-ci traite aimablement Visconti de « photographe » et Fellini de « décorateur ». Car la fin du travail de Rotunno avec le « photographe » marque les débuts de quinze années glorieuses avec le « décorateur ».
Huit films extraordinaires que le critique (et directeur de la photographie) Mathias Sabourdin décrit ainsi dans le Dictionnaire du cinéma italien (Nouveau Monde éditions, 2014) : « Rotunno substitue aux notions de vrai et de faux, de réalisme et de fantastique, une esthétique de la subjectivité. Le réalisme intérieur que l’on retrouve également dans les très beaux plans subjectifs dont Fellini et Rotunno se font les spécialistes, plongeant littéralement le spectateur dans la vérité d’un art fait d’illusions. » C’est, selon Sabourdin, avec Journal intime de Zurlini (1962) que Rotunno avait atteint la perfection (« Un des plus beaux films en couleurs jamais réalisés en Italie »). L’image de deux chefs-d’œuvre de Monicelli, La Grande Guerre (1959) et Les Camarades (1963) confirme le souci plastique constant du grand Mario, que trop de critiques hâtifs prennent pour un auteur de comédies plaisantes et sans forme. Rotunno a aussi travaillé avec les Américains : La Bible, de John Huston en 1966, tourné à Cinecittà, mais aussi plus tard Que le spectacle commence, de Bob Fosse en 1979. Le chorégraphe s’inspire ouvertement de Huit et demi, qu’avait éclairé quinze ans auparavant Gianni Di Venanzo, formé par Aldo G.R., comme Rotunno. Rotunno travailla aussi avec Robert Altman, Fred Zinnemann, Alan Pakula, Richard Fleischer, Ivan Passer, Mike Nichols, Sydney Pollack, Terry Gilliam ou Dario Argento. Il fut également le chef-opérateur du premier film réalisé en 1984 par Roberto Benigni avec Massimo Troisi, Non ci resta che piangere. Un film d’amateur dément qui affola un Rotunno confronté à deux génies immatures, déchaînés et incontrôlables. Retiré des plateaux depuis une vingtaine d’années, Rotunno fut aussi, jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans, l’un des professeurs les plus respectés du Centro Sperimentale di Cinematografia à Rome. Pour retrouver ses étudiants, il lui suffisait de traverser le boulevard qui sépare la prestigieuse école des studios de Cinecittà.
René Marx