Portrait Les Compagnes de la nuit avec Françoise Arnoult

Publié le 15 septembre, 2021 | par @avscci

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Hommage à Françoise Arnoul, par Jean Marbœuf

Jean Marbœuf est un ami de L’Avant-Scène Cinéma. Trois de ses films ont fait l’objet d’un numéro de la revue : Pétain (ASC 424), Vaudeville et Grand Guignol (ASC 357/358). C’est aussi un grand ami de Françoise Arnoul, qu’il a eu le privilège de diriger à quatre reprises, dans quatre beaux films, deux pour le grand écran, Voir l’éléphant (1989) et Temps de chien (1996), deux pour la télévision, Billard à l’étage (1996) et L’Alambic (1998). Une amitié profonde est née, qui nous a donné l’idée de demander au cinéaste de nous faire part de son émotion à la nouvelle de la disparition de celle qui nous avait reçus avec autant de gentillesse que de passion à l’occasion du numéro consacré à French Cancan (ASC 544, septembre 2005). Il a répondu avec enthousiasme. Qu’il en soit remercié…

Françoise…

Françoise, tu as été une star ; as connu gloire et honneurs ; as joué dans des chefs-d’œuvres du cinéma : Les Compagnes de la nuit (Habib), Le Fruit défendu (Verneuil), Sait-on jamais ? (Vadim) Le Chemin des écoliers (Boisrond), La Morte Saison des amours (Kast) et surtout le merveilleux, époustouflant et poétique French Cancan (Renoir).

Mais voilà, pour toi, était-ce suffisant ?… pas envie de finir comme Marylin Monroe ou Martine Carol, pas envie de faire un remake de Sunset Boulevard.

Tu as vite compris que les rôles qu’on te proposait n’étaient que des portraits de femmes vues par les hommes avec leurs fantasmes. On te surnommait « La vamp de poche » et ne t’offrait que des rôles de nymphomanes, de putes, de femelles écervelées. Une impasse. Tu désirais autre chose, toi qui en avril 1971, apposais ta signature courageuse et solidaire au bas du manifeste des 343 « salopes » afin de faire évoluer la loi sur l’avortement.

En 1990, nous venions de terminer notre Voir l’éléphant. J’enchaînais avec un téléfilm. Bernard Pivot en était l’acteur principal. En apprenant que je te connaissais, Bernard me demande d’organiser une rencontre. Il me souffle que ce fut avec tes photos sexy qu’il avait eu ses premiers émois. Quand je t’en ai fait part, tu as souri. Le passé est tenace.

Tu as rencontré sur le tournage de Compartiment tueurs de Costa-Gavras un jeune homme : Bernard Paul, assistant qui voulait devenir réalisateur. Il est communiste. Ce n’est pas un vilain mot. À l’époque c’était l’espoir pour des millions de gens d’une société plus juste, plus égalitaire, plus humaine. Mais les idéaux, un jour ou l’autre, sont trahis par de vils manipulateurs assoiffés de pouvoir et obnubilés par leur égo. Tu décides, alors, de te consacrer à la carrière de ton nouvel amour. Tu crées une société de production avec Marina Vlady : Francina. Quatre longs métrages suivent : Le Temps de vivre, Beau Masque, Histoire d’aller plus loin, Dernière Sortie avant Roissy. Bernard Paul voulait changer le monde. L’industrie cinématographique cause box-office. La conversation tourna court. Bernard Paul en meurt.

Et le cinéma, bien ingrat, bien inconséquent, t’oublie, Françoise.

Seuls quelques metteurs en scène te désirent : Jean Herman, Guy Gilles, Jean-Claude Missiaen, Brigitte Roüan, Paul Vecchiali, moi. Tu retrouvais ton combat artistique dans le couple qu’Anne-France et moi formions, m’as-tu avoué un jour. Il y a quelques années, nous avons fait Temps de chien. Tu y mourrais en dansant. Nous enterrions ton personnage, ici, au Père Lachaise. C’était une répétition.

Tu n’as jamais été amère, toujours joyeuse, aimant le spectacle comme l’avait demandé ta mère : « Tu dois penser à l’art, la seule chose réellement belle. »

Tu allais au théâtre, au cinéma, croquais la vie, te changeais trois fois par jours…
coquetterie de vedette.

Tu n’oubliais pas tes engagements et encore en 1979 tu signes des appels en faveur des listes communistes aux élections législatives.

La dernière fois, à l’hôpital, tu m’as accueilli en me disant : « Je vais mourir et alors ?… C’est sans importance… » comme le beau film Des gens sans importance de Verneuil, un de tes maris.

Tu n’étais pas une star, tu étais mieux que ça, une femme libre.

Quelle belle vie !




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