Sons of Philadelphia de Jérémie Guez

Le titre de la VO nous invite à écouter “le son de Philadelphie”, peut-être comme la trace d’un acouphène persistant où sourd la violence que l’on sent prompte à se déchainer. En VF il sonne presque pareil à l’oreille, mais nous raconte autre chose, sans être pour autant hors sujet, car ces « Fils de Philadelphie » sont comme deux frères, qui sont venus ensemble à l’âge adulte, pour constater qu’ils n’avaient pas nécessairement la même vision du monde. Un monde violent et ténébreux où les non-dits des organisations mafieuses sont assourdissants. Le réalisateur nous fait visiter Philadelphie, qui ne semble jamais sortir d’une pénombre fort à propos, comme Scorsese nous guidait jadis dans le quartier italien de New York. La comparaison est sans doute écrasante, mais elle n’est pas usurpée. Et le héros du film, qui doit dealer tout à la fois avec des contradictions qui le déchirent et des traumatismes nés de l’enfance vaut également bien des personnages scorsesiens minés par un besoin de rédemption. C’est Matthias Schoenaerts qui lui prête ses traits. Taiseux comme jamais, il porte toute la douleur du monde sans jamais en faire des tonnes, il est magistral. On se demande alors si le signataire de ce très joli film noir est un vieux briscard hollywoodien. Eh bien non. D’abord parce qu’il n’a que 33 ans et ce film est son deuxième (le premier, Bluebird, n’est jamais sorti en salle, victime de la Covid). Ensuite parce qu’il n’est pas américain, mais français ! Romancier de talent, il est passé derrière la caméra en explorant directement son domaine de prédilection, le film noir poisseux à souhait, celui qui met en scène des personnages plombés par le destin et les rigidités sociales. La façon dont il a pour l’occasion relevé le gant laisse augurer d’une carrière que nous suivrons avec beaucoup d’appétit.

Yves Alion

The Sound of Philadelphia. Film belgo-franco-américain de Jérémie Guez (2021), avec Matthias Schoenaerts, Joel Kinnaman, Maika Monroe, Ryan Philippe. 1h30.