Critique

Publié le 15 janvier, 2024 | par @avscci

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Pauvres créatures de Yorgos Lanthimos

Voir Yorgos Lanthimos adapter le roman Pauvres Créatures d’Alasdair Gray (1992) semble tenir de l’évidence, tant le cinéaste grec se coule aisément dans le mélange d’horreur gothique, d’humour noir et de cynisme social dont fait preuve ce récit dans la droite ligne de Frankenstein, mettant en scène un scientifique fou (surnommé God en toute simplicité) et la créature qu’il a créée, la sublime mais originale Bella Baxter, qui porte sur le monde un regard spontané, dépourvu du moindre filtre. Avide de connaissance, Bella vit une série d’aventures qui la conduisent des rues de Lisbonne aux couloirs d’une maison close parisienne, dans un mélange déroutant de candeur et de littéralité qui empêchent ceux qui voudraient la domestiquer d’avoir la moindre prise sur elle. Celle qui est en apparence une proie facile pour cette société victorienne engoncée dans l’hypocrisie des conventions sociales ne cesse au contraire, par sa curiosité et sa soif de liberté, de s’émanciper des carcans dans lesquels on veut l’enfermer, qu’il s’agisse du couple, de la bourgeoisie, ou plus généralement du camp des éternelles victimes. Pour nous faire découvrir “le monde selon Bella”, Yorgos Lanthimos a recours à une grammaire cinématographique marquée, de l’utilisation d’objectifs fish-eye (donnant l’impression qu’elle est perpétuellement épiée de l’extérieur) à des jeux de filtres qui transfigurent la réalité, et à des dialogues caustiques d’une virtuosité souvent fulgurante. Il offre surtout un écrin parfait au talent abyssal d’Emma Stone, qui est à la fois bouleversante et irrésistible en figure allégorique de l’éternel combat contre le patriarcat.

Marie-Pauline Mollaret

Poor things. Film américain de Yorgos Lanthimos (2023), avec Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe, Ramy Youssef, Hanna Schygulla. 2h35. Lion d’or à Venise 2023.




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