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Publié le 5 janvier, 2023 | par @avscci

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Numéro 698 – The Manxman d’Alfred Hitchcock

Dossier The Manxman d’Alfred Hitchcock

Entretien avec Patrick McGilligan et Charles Barr, spécialistes de la vie et de l’œuvre d’Alfred Hitchcock 

Charles Barr est professeur émérite à l’université d’East Anglia. Spécialiste de l’œuvre anglaise d’Alfred Hitchcock, il est l’auteur d’ouvrages de référence : English Hitchcock (1999), Vertigo (2012), et le précieux Hitchcock : Lost and Found, co-écrit avec Alain Kerzoncuf (2015). Patrick McGilligan est écrivain et historien du cinéma. Il a écrit les biographies de Fritz Lang, Clint Eastwood, Jack Nicholson et bien d’autres. Alfred Hitchcock : une vie d’ombres et de lumière (2003, 2011 pour la traduction française) est la biographie indispensable du maître.

PROPOS RECUEILLIS PAR TIFENN BRISSET

Patrick McGilligan, pouvez-vous nous parler de la partie de votre biographie d’Hitchcock qui concerne la production de The Manxman ?

Patrick McGilligan : Je me suis rendu en Angleterre pour organiser quelques interviews, faire un peu de recherche au British Film Institute et recruter un chercheur pour m’aider après mon départ, Mary Troach, qui s’est avérée inestimable. Les interviews ont été utiles, notamment celles avec des gens qui avaient connu Hitchcock aux débuts de sa carrière. Je n’ai pu trouver aucun document dans les archives d’Hitchcock ou ailleurs concernant The Manxman. Il parle du film de façon sporadique dans les interviews. Il faut garder à l’esprit que j’écrivais un livre sur une longue vie et une carrière de plus de 53 films, en comptant ceux qu’il a produits et les émissions de télévision. J’ai donc dû faire des choix dans ma recherche. Il est probable que tout ce qui concerne The Manxman vient de coupures de presse et de sources déjà publiées. Au bout du compte, il se trouve réduit à une page sur les plus de 800 de la biographie. Cela ne reflète pas forcément mon enthousiasme pour ce film, son importance, mais seulement mon choix concernant sa place dans le livre en termes d’équilibre. Dans cette période de ma recherche et de l’écriture du livre on ne s’intéressait pas autant aux ressources internet. Si je devais travailler sur le film aujourd’hui, j’irais certainement sur la côte et sur l’île à la recherche de traces du souvenir du tournage, peut-être dans les histoires locales, les bibliothèques ou les journaux.

Quelle a été votre méthode pour documenter la période anglaise ?

P. McG. : Comme je travaille de façon chronologique, j’ai commencé par visiter Londres, les domiciles de collaborateurs, là où Hitchcock a vécu. Tout a disparu excepté quelques signes souvenirs ici ou là. J’ai visité son école, qui fait mention du jeune homme dans son journal et dans certains documents. J’ai même retrouvé une écolière de son temps, de la période de l’avant-guerre 14-18. Ce sont les paragraphes du livre qui m’ont coûté le plus d’efforts parce qu’il a fallu un temps fou pour retrouver ces gens dont les noms anglais étaient aussi fréquents que Jones, Smith, etc. Il s’est avéré que la personne que nous avions retrouvée, Mary Troach et moi, avait aussi publié son autobiographie à titre privé, avec des souvenirs de ses années d’école. Mary était extraordinaire. Je lui indiquais des pistes et elle les suivait aussi longtemps qu’il le fallait. C’est elle, par exemple, qui a trouvé la compagnie qui a succédé à Henley – ainsi que toutes les histoires originales racontées par Hitchcock avant sa période cinématographique. C’est elle aussi qui a découvert un album de photos rassemblées dans les années 1930 grâce à un proche. Il y a eu beaucoup de temps consacré à ces recherches… Nous avons donné les photos, celles que nous n’avons pas utilisées pour le livre, à sa fille, Pat Hitchcock. Mary m’a aidé pour la plupart de mes livres, même un peu pour celui sur Woody Allen, sur le versant londonien de ma recherche. Elle garde la main sur Hitchcock, car elle a notamment participé au travail de détective sur la récente biographie américaine de Joan Harrison – productrice et scénariste – qui a débuté comme lieutenant chef d’Hitchcock.1

Quand j’ai commencé à écrire le livre, il y avait encore quelques anciens dont la carrière couvrait la période du muet. J’ai pu les interroger ainsi qu’un témoin qui avait réalisé une inestimable histoire orale du cinéma des années 1920 et 1930, dont une partie n’avait pas encore été publiée. J’ai aussi pu lire les documents commerciaux qui ont été très utiles. Il restait du matériau non publié dans les archives d’Hitchcock et dans d’autres documents à Londres, qui avaient parfois un rapport avec la période du muet. Par exemple, la collection Sidney Bernstein a constitué une belle découverte et une ressource importante dans la mesure où les deux hommes avaient été longtemps amis avant de travailler ensemble.

Comme vous le voyez, il y a eu énormément – comme toujours avec ma méthode de travail – de sources bricolées ensemble. Les archives hitchcockiennes aux États-Unis couvrent la totalité de sa vie, mais surtout les années d’après 1939.

Charles Barr, vous avez visité les lieux de tournage de The Manxman en Cornouailles. Qu’est-ce qui a motivé votre voyage ? Votre travail montre que Polperro (le port) et Perranporth (la plage) n’ont pas été filmés sur l’île de Man. Le saviez-vous auparavant ?

Charles Barr : On sait depuis des années que le film a été tourné en Cornouailles. La biographie autorisée de John Russel Taylor, Hitch, The Life and Times of Alfred Hitchcock, publiée en 1978, du vivant du cinéaste, identifiait les sites comme « Polperro et des lieux proches de la côte des Cornouailles ». Quand j’ai écrit English Hitchcock (1999), qui comporte dix pages sur The Manxman, je n’ai pas poursuivi l’enquête et je me suis contenté d’indiquer que les décors étaient situés en Cornouailles, dans le texte et par des captures d’images. Mais, en 2016 j’ai été plus curieux, pour deux raisons. D’abord, ma fille Emily2 s’était installée en Cornouailles avec sa famille, et mes visites chez elles m’ont fait découvrir et aimer cette région et sa côte spectaculaire. Ensuite, je préparais un recueil prévu pour l’année suivante sous le titre « Reassessing the Hitchcock Touch », sous la direction du spécialiste allemand Wieland Schwanebeck. Pour mon article, j’ai choisi d’explorer les relations entre Hitchcock et deux proches contemporains, John Ford et Michael Powell. Je suis parti d’une image frappante de la côte dans The Manxman à côté d’une photographie similaire dans À l’angle du monde, de Powell (1937) entièrement filmé sur l’île lointaine de Foula, en Écosse. Powell avait travaillé avec Hitchcock pour The Manxman et il est bien possible qu’il ait choisi des décors de ce film. L’éditeur a été en mesure d’utiliser mes deux captures d’écran et elles sont visibles ensemble sur la deuxième page de mon article.

J’ai naturellement cherché avec enthousiasme les lieux originaux et d’autres images de The Manxman que ni Taylor ni personne d’autre n’avaient identifiées. À l’évidence, il ne s’agissait pas de Polperro. Les membres de la famille d’Emily, avec leur bonne connaissance des lieux, pensaient qu’il pouvait s’agir de Perranporth. Pour ma visite suivante, nous y sommes allés et leur instinct s’est avéré juste ! Nous avons photographié les rochers tels qu’ils sont aujourd’hui, près d’un siècle plus tard, modifiés, mais reconnaissables. Dans l’article de 2017, j’ai mentionné le site de Perranporth et un article de la presse locale qui confirmait la visite de la compagnie de production mais seulement dans une note de bas de page : l’identification des sites restait marginale pour ce texte spécifique. Mais, lors de la même visite de 2016, j’avais fait un premier voyage à Perranporth et à Polperro où j’ai trouvé et photographié quelques-uns de leurs sites pour The Manxman. Peu après, j’ai découvert l’excellent site web britannique reelstreets3, qui explore les lieux de tournage historiques et compare les « images d’alors et d’aujourd’hui ». Si vos lecteurs ne connaissent pas encore ce site je le leur recommande fortement. Naturellement, la plupart des films traités sont britanniques, mais il y en a aussi beaucoup d’américains, d’européens ou d’autres pays. La page concernant le film utilise chacune de mes photos de Polperro et de Perranporth pour comparer les deux périodes : reportez-vous aux images 15 et 18.

Pour avoir une connaissance substantielle des décors du film, il faudrait une couverture complète des sites de Cornouailles, comprenant plus de comparaisons plan par plan entre hier et aujourd’hui pour Polperro et Perranporth. Et aussi, des informations sur les moyens techniques et les dates de transport entre les deux sites situés sur des rivages opposés. Les équipes passaient-elles la nuit à Perranporth comme elles l’ont assurément fait pendant une semaine ou deux à Polperro ? Voici une carte actuelle qui couvre plus de soixante kilomètres d’itinéraire, entre les deux côtes, qui peut ou non être le meilleur aujourd’hui.

La recherche la plus substantielle qui reste à conduire concerne sûrement les sites de l’île de Man. Taylor écrit que Hitchcock et son équipe ont choisi les Cornouailles dès le début parce que le site est plus pratique que la lointaine île de Man en mer d’Irlande. Des recherches plus récentes par l’historienne Mary Hammond pour son étude de The Manxman dans le recueil Hitchcock at the source (2011) confirme cependant que les prises de vues ont réellement débuté sur l’île et qu’Hitchcock avait l’intention d’y poursuivre, mais l’auteur du livre, Sir Hall Caine, qui jouissait alors d’une grande autorité, s’avérait tellement envahissant par ses interférences que le groupe a dû changer de lieux. Mais certains lieux de tournage sur l’île restent dans le film, comme on peut le voir sur le site reelstreet. Il reste sans doute plus de détails à découvrir à ce sujet : grâce à la recherche sur place, à la presse locale et à d’autres sources. Ironiquement, l’île est devenue un véritable aimant pour les cinéastes ces derniers temps avec des accords très favorables sur les taxes, dont un des bénéficiaires les plus remarquables est le formidable film Me and Orson Welles de Richard Linklater – mais c’est une autre histoire, qui renvoie à beaucoup plus tard. En amont, il serait excellent d’en savoir davantage sur le prédécesseur perdu du travail d’Hitchcock, The Manxman de George Loane Tucker en 1916, et sur son utilisation des décors, en attendant bien sûr la redécouverte du film lui-même. Si seulement…

Il semble qu’il ait été plus pertinent d’un point de vue économique, pratique ou esthétique de tourner en Cornouailles…

P. McG. : À l’évidence, les trois sont vrais : sur les plans économique, pratique, esthétique. Comme je le signale dans mon livre, Hitchcock filmait souvent en décors naturels rien que pour rejeter puis recréer ce qu’il avait tourné en studio. J’en donne les copieux exemples de La Main au collet et Mais qui a tué Harry ?, deux films très différents, photographiés sur les lieux authentiques puis reproduits en studio. Il préférait les studios aux décors naturels qui dépendaient en partie de budgets modestes en Angleterre. L’Île de Man aurait été une corvée pour les acteurs et l’équipe de tournage, avec probablement des risques logistiques en plus. Les Cornouailles pouvaient faire l’affaire et peu de gens verraient la différence. Hitchcock était très habile pour prendre de telles décisions. Je me demande ce que l’auteur Sir Hall Caine, qui était encore vivant, pensait de ce changement, mais cela a-t-il la moindre importance ?

C. B. : Les raisons citées par Mary Hammond paraissent convaincantes. L’alternative offerte par les Cornouailles, rapidement acceptées par Hitchcock et son équipe, offrait déjà aux cinéastes une séduisante combinaison d’éloignement exotique et – grâce au long voyage en train depuis Londres possible en une nuit ou un jour – d’accessibilité bien pratique. L’île de Man impliquait un voyage plus compliqué en train puis en bateau. Cela dit, les possibilités d’avant les autoroutes pour aller en Cornouailles étaient évidemment plus difficiles qu’aujourd’hui. Mais, avant 1928 et les années suivantes, les Cornouailles sont restées un aimant pour les cinéastes. Voyez, par exemple, l’excellent livre récemment publié par Rachel Moseley, Picturing Cornwall: Landscape, Region and the Moving Image (2018).4

Les films d’Hitchcock montrent un savant mélange entre décors en studio et extérieur : ce mélange a-t-il un rapport avec le système de production de l’époque ?

P. McG. : Hitchcock pensait que les films étaient améliorés par l’illusion de réalité. Il aimait les sites de carte postale et les décors réels que les spectateurs pourraient reconnaître pour les aider à accepter les histoires qu’il racontait. Il n’avait pas toujours le budget pour ces tournages et il lui arrivait d’envoyer une seconde équipe pour la photographie. Avec le temps, filmer en extérieurs est devenu plus acceptable, sans doute plus facile et moins coûteux. Une fois à Hollywood, vers l’époque de L’Ombre d’un doute, il entraîne les spectateurs dans des voyages dans les petites villes, d’autres pays, des lieux bucoliques comme la Nouvelle Angleterre, etc. Cela fait partie de son univers même si, une fois de plus, les lieux réels sont souvent mélangés avec des décors artificiels, comme le Mont Rushmore dans La Mort aux trousses, avec toujours beaucoup d’intérieurs et parfois des extérieurs fabriqués. Même les extérieurs étaient recréés en intérieur sur des plateaux sonores. Je ne suis pas sûr qu’on puisse généraliser si ce n’est pour dire qu’il était très astucieux dans le mélange des décors et qu’il lui arrivait de faire des films entièrement urbains tandis que d’autres étaient entièrement ruraux ou situés dans de petites villes. Plus que tout, il faisait simplement la démonstration de sa gamme, de sa diversité et de sa profondeur.

C. B. : Il s’agit d’une question complexe ! Le passage au son doit avoir encouragé un mouvement général vers les studios et leur plus grand confort pour y enregistrer les dialogues. Au même moment, Hitchcock, né en 1899, vieillissait, prenait du poids et se faisait bientôt homme d’intérieur en se mariant et en étant, dès 1928, père de famille. Autour de ses vingt ans, Hitchcock semble avoir été très actif. Il jouait au tennis, aimait voyager, parfois dangereusement, dans de lointains pays d’Europe pour ses premiers films en tant que réalisateur – Le Jardin du plaisir ou The Mountain Eagle, perdu depuis longtemps – puis, moins difficilement – dans les décors de la campagne anglaise de Laquelle des trois ? Mais il semble qu’il soit progressivement devenu plus sédentaire. Il avait moins envie de voyager vers des décors extérieurs et quand il le faisait pour de bon, c’était de préférence soit vers des lieux proches comme Londres (Chantage, Agent secret) ou plus éloignés, mais d’accès facile depuis des hôtels confortables avec une limousine et son chauffeur. The Manxman s’avère être un pont entre ces deux systèmes, l’ancien et le nouveau. Il utilise des lieux lointains et exotiques, à condition qu’ils ne soient pas trop difficiles à atteindre une fois le voyage initial accompli.

Avez-vous remarqué une évolution de la conception des décors avant Hollywood ?

P. McG. : Je ne vois pas tellement d’évolution dans les décors. À partir de L’Ombre d’un doute et de la guerre, Hitchcock était plus attiré par les tournages en décors réels aux États-Unis, mais il y a toujours eu ce même mélange de fabrication en studio et de réalité. Il faisait la même chose en Angleterre mais, à cause de la durée et du coût, il déléguait les scènes de mise en place et d’arrière-plan aux réalisateurs de seconde équipe, avant de mélanger habilement ces prises avec les siennes. On le voit nettement dans Les 39 Marches ou Une femme disparaît, dans lesquels on trouve des séquences réelles, même très peu nombreuses, intégrant des maquettes de décors en miniature, dans ce qui avait été tourné en studio. Il adorait ces miniatures et les scènes d’arrière-plan et, comme il excellait dans ces illusions, il était souvent tenté, même aux États-Unis où la question du coût était moins importante. Il savait qu’il pouvait réaliser certaines choses facilement et à bas coût. Même en tournant des films « anglais » à Hollywood, il faisait la même chose avec certains décors, sous-traitant les extérieurs hollandais ou londoniens dans Correspondant 17, reprenant quelques scènes londoniennes pour Frenzy sur des studios son de Hollywood, etc. Il aimait les deux approches : les voyages et les lieux authentiques aussi bien que la sécurité des studios et leurs décors soigneusement préparés. Et il aimait les mélanger. Il n’était pas le seul, de nombreux réalisateurs faisaient de même, mais son goût pour ce mélange était cohérent et fait partie de sa singularité.

Hitchcock était-il plus urbain ou homme des campagnes ? Diriez-vous que la ville suscite le crime davantage que la campagne ?

P. McG. : Il n’aurait pas clairement choisi l’un ou l’autre, mais d’un autre côté, il y a plus de spectateurs potentiels dans les villes, et il savait que le public est attiré par ce qui est familier aussi bien que par ce qui est étrange. Peut-être était-il plus un garçon des villes, un Londonien, et que certains des crimes de la vie réelle qui l’obsédaient étaient des crimes célèbres des gros titres londoniens. Mais c’était aussi quelqu’un qui aimait passer ses weekends dans la campagne anglaise, puis dans sa relativement rustique maison au nord de la Bay Area (en Californie). Et Psychose n’est pas un film des villes, pas plus que L’Ombre d’un doute ou d’autres. Le crime est partout, aurait-il dit, même chez soi allongé dans son lit, la tête sur l’oreiller, près de vous.

C. B. : Ville et campagne, comment les définir ? Psychose est-il de la ville ou de la campagne ? Mes préoccupations du moment font que je me concentre sur la première option et je renvoie à mon article de 2017 mentionné plus haut, qui développe des comparaisons entre Hitchcock, Ford et Powell. J’y cite Hitchcock qui, à l’époque de sa maturité, a plusieurs fois répété sa préférence pour les prises en studio et je cite le célèbre commentaire de David O. Selznick qui, tout en aimant Hitchcock, remarquait que ce « n’était pas un homme avec qui il ferait du camping ». Ce qui offre un très clair contraste avec Ford ainsi que Powell, qui adoraient tous les deux le camping en raison des bénéfices physiques et psychologiques qu’il leur apportait, à eux et à leurs films. S’il le fallait, ils logeaient dans leurs tentes, au lieu d’hôtels, comme le fit Powell et son équipe pendant la totalité du tournage de À l’angle du monde. Ce film permet une comparaison fascinante à la fois sur le plan du récit, des thèmes, des personnages et des décors, comme par exemple dans les deux images spectaculaires de rochers montrés plus haut. The Manxman offre sans doute l’usage le plus expressif de ce genre de sites sauvages chez Hitchcock. On pourrait aussi étudier Sueurs froides. Ses décors californiens sont moins lointains, plus sous contrôle, mais on peut affirmer qu’Hitchcock y utilise, sur un certain plan, le souvenir de ces puissantes images de Cornouailles, trente ans plus tôt.

Quel est votre Hitchcock préféré de la période anglaise ?

C. B. : Une femme disparaît. C’est un exemple parfait de création d’un monde entier dans le studio, avec seulement quelques prises en décors naturels. Une raison supplémentaire pour choisir ce film est qu’il tient dans son apparente facilité à combiner la romance et la comédie avec des thèmes d’action politique. Tout cela est habilement coordonné et efficace. Mon favori pour les décors et les lieux de tournage : The Mountain Eagle ! Les récits sur la préparation et sur les prises de vues, ou encore les photos récupérées, dont beaucoup ont été retrouvées ces dernières années. Tout cela rend la réalisation particulièrement spectaculaire. Mais, plus sérieusement : Chantage, pour la diversité de ses sites à Londres, dont beaucoup d’entre eux n’ont pas changé ces dernières décennies, Trafalgar Square, Piccadilly, le British Museum. Cela fait quatre réponses. À vous de choisir. Mon film muet préféré : Laquelle des trois ? Mais demain je dirai peut-être The Manxman. Les deux films apportent une impressionnante énergie à ce qui aurait pu paraître un matériau éculé – une pièce jouée trop longtemps, un roman classique déjà souvent adapté. Il a réalisé tout cela en associant son habileté cinématographique et la profonde empathie avec les principaux personnages ainsi que les actrices qui les interprètent : Lilian Hall-Davis, Anny Ondra. La promesse de richesses à venir…

P. McG. : Je n’ai pas de film favori, même si j’ai des états d’esprit et si certains films s’accordent mieux à toutes les humeurs que d’autres. J’ai une tendresse particulière pour Jeune et Innocent. Le film paraît très modeste, les principaux acteurs sont peu connus (même en Angleterre), mais les personnages sont très bien dessinés et incarnés et l’intrigue ne cesse de progresser et de se complexifier au fur et mesure. L’histoire d’amour est très forte, le film est toujours drôle et à certains moments le suspense est intense. L’effondrement de la mine est une merveille de mise en scène. Le climax centré sur le batteur grimé en « blackface » et sur sa musique est très cinématographique et il vaut bien tous les autres Hitchcock. Rien que d’y penser me donne envie de le revoir tout de suite, plus que certains autres films plus célèbres de sa période anglaise.

Propos recueillis par Tifenn Brisset et traduits par Dominique Sipière

1. Phantom Lady: Hollywood Producer Joan Harrison, the Forgotten Woman Behind Hitchcock, par Christian Lane. Chicago : Chicago Review Press, 2020.

2. Emily Barr est l’auteure d’un roman à suspense en partie situé à Perranporth et en partie inspiré d’Hitchcock. www.emilybarr.com

3. https://www.reelstreets.com/films/manxman-the

4. Rachel Moseley, Picturing Cornwall, Landscape, Region and the Moving Image. University of Exeter Press, 2018.




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