Numéro Avant-Scène Cinéma N°622 - Hercule à la conquête de l'Atlantide de Vittorio Cottafavi - Couverture

Publié le 26 avril, 2015 | par @avscci

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Numéro 622 – Hercule à la conquête de l’Atlantide de Vittorio Cottafavi

Avant-Scène Cinéma N°622 - Hercule à la conquête de l'Atlantide de Vittorio Cottafavi - Couverture Avant-Scène Cinéma N°622 - Hercule à la conquête de l'Atlantide de Vittorio Cottafavi - 4ème Couverture

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Extrait dossier Hercule à la conquête de l’Atlantide

Vittorio Cottafavi est l’un des grands méconnus de l’histoire du cinéma italien. S’il a connu une période de consécration critique en France à la fin des années cinquante, il est longtemps resté ignoré en Italie même et, aujourd’hui encore, son nom n’est plus guère su que des amateurs de péplums, qui le tiennent, avec raison, pour l’un des plus grands auteurs du genre. Mais le péplum ne représente qu’une brève partie de sa carrière, débutée dès les années quarante, carrière jalonnée de crises, d’échecs critiques et commerciaux, ainsi que de chefs-d’œuvre du cinéma populaire…. et de la télévision italienne.

Formation

Vittorio Cottafavi est né à Modène le 3 janvier 1914. Son père était officier dans les chasseurs alpins, sa mère issue d’une famille de propriétaires terriens de la région du Piémont. Il est élevé à Turin. Vittorio suit une scolarité assez brillante : études de droit et de philosophie, jusqu’à la licence. En 1935, il entre au Centre Expérimental de Cinématographie dont il suit l’enseignement durant trois ans et où il obtient un diplôme de réalisation.

Sa carrière professionnelle débute de manière tout à fait modeste par divers petits emplois d’assistant. Il devient l’assistant réalisateur de nombreux cinéastes : Carlo Campogalliani, Goffredo Alessandrini (Nozze di sangue 1941), Duilio Coletti, Alessandro Blasetti, Augusto Genina et bien d’autres. Il est également coscénariste sur plusieurs productions jusqu’en 1949. En 1943, l’occasion lui est donnée de réaliser son premier film : I Nostri Sogni, interprété par Vittorio de Sica, dont il avait été l’assistant auparavant. Le film, adapté d’une pièce d’Ugo Betti, sortira durant la débâcle de l’Italie, au moment de l’occupation de Rome par les Allemands. Après la guerre, il reprend son activité d’assistant (allant parfois jusqu’à la limite de la coréalisation) et de scénariste.

Polémiques

C’est finalement en 1949 que Vittorio Cottafavi réalise son premier film important : Fiamma che non si spegne, resté inédit en France. La « flamme qui ne s’éteint pas » est celle d’une famille de carabiniers. Le père, fils d’un agriculteur, s’engage dans les carabiniers et meurt lors de la Première Guerre mondiale. Son fils, qui n’a pas eu le temps de le connaître, s’engagera à son tour et meurt durant la Seconde Guerre mondiale en se sacrifiant pour sauver la vie d’un groupe d’otages menacés d’être fusillés par les Allemands. Le film est présenté au Festival de Venise et reçoit un accueil catastrophique. Le film est violemment pris à partie, considéré comme une œuvre « fasciste » ainsi que son réalisateur. Cottafavi avait surtout le tort de tourner délibérément le dos à la vogue néoréaliste qui dominait alors et qui était alors du point de vue critique le seul élément de référence (le paradoxe étant que Rosselini, le « maître » du néoréalisme, avait de son côté réalisé trois films authentiquement fascistes !). Plus prosaïquement, Cottafavi racontait l’histoire d’une famille issue du monde paysan, une vie presque routinière, qui subissait une tragédie à chaque génération. Dès ce film, Cottafavi, s’il rejette l’esthétique du néoréalisme, impose aussi une forme de rigueur et de retenue qui empêche le film de tomber dans le mélodrame outrancier ou la propagande patriotique.

Les polémiques entourant Fiamme auront pour conséquence directe un nouveau coup d’arrêt dans la carrière débutante du cinéaste. Celui-ci va alors s’orienter, presque malgré lui, dans ce que l’on appelle avec dédain le « cinéma populaire » : mélodrame (Una donna ha ucciso 1951) et surtout film de cape et d’épée.

vittorio cottafavi

Dumas

C’est dans ce domaine qu’il va donner ses premières grandes réussites. Parmi celles-ci figure une étonnante adaptation de Dumas : Milady et les Mousquetaires (1952), qui reprend l’histoire classique des Trois Mousquetaires mais racontée du point de vue de Milady. Ce film pose les bases d’une grande partie du cinéma cottafavien à venir : l’importance donnée à un personnage féminin fort, le « décalage » – on peut déjà parler de distanciation – dans le mode de narration, l’élégance géométrique de la mise en scène. Cottafavi poursuit alors dans la veine du film d’aventures historiques. Dumas reste alors sa source d’inspiration préférée, comme pour Le Prince au masque rouge (1953) avec Renée Saint-Cyr dans le rôle de Marie-Antoinette.

En 1953, Cottafavi réalise une nouvelle adaptation d’Alexandre Dumas, mais il s’agit cette fois-ci de Dumas fils. Elle est beaucoup plus radicale : Traviata ’53 (Fille d’amour), d’après La Dame aux camélias. L’histoire de Marguerite Gautier est transposée à l’époque contemporaine, à Milan. Le mélodrame d’origine devient tout à la fois une critique de mœurs et un portrait assez dur de la société capitaliste de l’Italie moderne du Nord. Le film recèle des séquences magnifiques, comme la déambulation de nuit de l’héroïne dans les galeries désertes et, de retour chez elle, découvrant dans sa main le sang qu’elle crache, ou bien sa mise en bière dans un cercueil de métal. Le film va connaître un nouvel échec critique et commercial.

D’une nouvelle crise à la télévision

Cottafavi reprend alors de nouveau sa série de films « populaires », parmi lesquels se trouvent encore de belles réussites : Repris de justice (1954), L’Affranchi (1954). En 1955, il se lance dans un nouveau projet atypique : Fiesta brava, une sorte de documentaire ou dirait-on aujourd’hui un « docu-fiction », avec des acteurs non professionnels, tourné en Espagne, sur les taureaux de combat et le monde de la corrida. Le film va connaître de terribles soucis de production et restera inachevé.

Les mésaventures continuelles de Vittorio Cottafavi vont alors l’orienter vers un tout nouveau domaine : celui de la télévision. Dès 1957, il réalise plusieurs œuvres pour ce tout nouveau medium. Parmi celles-ci figurent Sette Piccoli crocci (d’après Simenon) et surtout une mise en scène de L’Avare de Molière. Ces deux films pour la télévision ont été conservés et témoignent d’une facette peu connue en France de l’œuvre et de la technique de Cottafavi. Véritable pionnier de la télévision italienne, il va dès lors alterner réalisations pour le cinéma et pour le petit écran. À partir de 1957 et jusqu’à sa retraite définitive du cinéma en 1964, Cottafavi va, pour la télévision, réaliser un nombre impressionnant de « dramatiques » et de transpositions théâtrales. Il va ainsi porter sur le petit écran Sophocle, Dostoïevski, Dürrenmatt, Tristan Bernard, Victor Hugo, Ibsen, ou Pirandello ! Le contraste, voire la contradiction, peut impressionner ou déconcerter quand on compare à sa production cinématographique de la même période, à savoir son cycle de péplums. Toutefois, à bien y regarder, les deux facettes de son travail se complètent et se répondent. Du cinéma populaire de qualité d’un côté, qui utilise les codes du genre pour développer des scénarios intelligents et des mises en scène élégantes, et de l’autre un medium qui permet de faire entrer dans les foyers les grands classiques de la littérature. On trouve dans certains de ses travaux télévisuels son goût pour la « distanciation » qui va caractériser la suite de ses films de cinéma (ainsi à la fin de L’Avare, les comédiens viennent saluer en mettant en évidence la présence et la position de la caméra). C’est en 1958, après le naufrage de Fiesta brava, et alors qu’il expérimente les possibilités offertes par la télévision que Vittorio Cottafavi fait son retour au cinéma par le biais du nouveau genre à la mode : le péplum.

Péplum

Genre ancien et fondamental du cinéma italien depuis ses origines, le « film antique » fait un retour tonitruant en cette fin des années cinquante. Dopé par les tournages de films américains en délocalisation, le genre vient de renaître dans la production italienne suite au triomphe l’année précédente des Travaux d’Hercule réalisé par Pietro Francisci (avec l’aide de Mario Bava), avec Steve Reeves en vedette. Cottafavi se voit offrir la réalisation d’un péplum. La Révolte des gladiateurs, avec les grandes vedettes de l’époque : Ettore Manni, la « divine » Gianna Maria Canale et Georges Marchal, apport de la coproduction française. Vittorio Cottafavi répétera souvent qu’il est venu un peu malgré lui à ce genre qu’il n’appréciait pas particulièrement. C’est pourtant bien dans le péplum qu’il va donner ses films les plus brillants et les plus achevés. Le corpus des péplums de Cottafavi se divise entre films « historiques » et films « mythologiques ». Dans les deux cas, un film plutôt moyen précède un chef-d’œuvre. La Révolte des gladiateurs est une sorte de brouillon des Légions de Cléopâtre (1959), un des sommets de toute l’œuvre du cinéaste. La Vengeance d’Hercule (1960), avec Mark Forrest qui prend alors la suite de Steve Reeves, sur un très beau scénario en forme de tragédie antique mais qui souffre d’un budget insuffisant, précède Hercule à la conquête de l’Atlantide. Entre ces deux diptyques figure sa version de Messaline, qui souffre, quant à elle, d’un scénario sans imagination mais que Cottafavi compense en partie par la direction d’acteur (et surtout d’actrice avec Belinda Lee) et un grand raffinement de la mise en scène. Vittorio Cottafavi est amené aussi à « superviser » d’autres péplums, ce qui signifie qu’il pallie aux insuffisances du metteur en scène désigné par la production, à une époque où les péplums se tournent à la chaîne (près de 30 par ans au début des années soixante !) : Les Vierges de Rome (1960), ou Le Grand Défi (1964), un film fantaisiste qui réunit Hercule, Samson, Maciste et Ursus. Le corpus des péplums de Cottafavi est remarquablement cohérent. Ses films se distinguent à la fois par une grande élégance de mise en scène, même dans les productions les plus désargentées, et par l’intelligence du propos. Dans ses meilleurs films, le « héros », souvent interprété par Ettore Manni, est complètement dépassé par les événements et doit suivre, presque en spectateur, la « grande histoire » qui se déroule devant ses yeux sans pouvoir influer sur elle. C’est particulièrement le cas dans Les Légions de Cléopâtre, où un valeureux officier romain assiste à la fin de la Guerre civile et, écœuré, finit par quitter l’armée après avoir réalisé qu’il n’y a pas de « bons » et de « méchants » dans les processus historiques.

C’est aussi à la même époque que le courant critique et cinéphilique qui, en France, tient Vittorio Cottafavi pour un très grand cinéaste depuis le milieu des années cinquante – à la grande surprise des Italiens, et dont rend compte le film de Luc Moullet Les Sièges de l’Alcazar (1989), connaît son apogée. En 1961, la revue Présence du Cinéma lui consacre ainsi un numéro complet.

eddie constantine dans Repris de Justice de Vittorio Cottafavi

En retrait du cinéma

En 1964, au moment où le péplum entre en agonie, Vittorio Cottafavi change de période historique et tente un nouvel essai dans le film historique dans lequel il poursuit de manière encore plus radicale ses essais de distanciation, avec Les Cent Cavaliers, qui est véritable film « brechtien » situé en Castille, en l’an 1000, au moment de l’invasion des Maures. Le film est cette fois-ci un échec commercial cinglant. En France même, il sera distribué dans une version très raccourcie (ce qui sera le cas dans d’autres pays), ne conservant que les séquences d’action, sous le titre du Fils du Cid ! Ce sera l’échec de trop pour Cottafavi. Il abandonne alors le cinéma et consacre tous ses efforts à la télévision.

D’un point de vue extérieur, et en premier lieu français, on perd alors totalement notre homme de vue. De son côté, celui-ci va mener pendant des années une très brillante et très riche carrière de réalisateur pour la télévision, spécialisé dans l’adaptation des classiques de la littérature. Parmi ses œuvres méconnues chez nous, on peut citer une sorte de « trilogie grecque » composée des Troyennes (1967), d’une nouvelle version d’Antigone (1971) et des Perses (1975), des adaptations de Joseph Conrad, Courteline, Molière et bien d’autres. En 1981, lors d’un bref hommage qui lui est rendu par la Cinémathèque française, les spectateurs découvrent une de ses dernières réalisations : Maria Zef, un drame rural parlé en dialecte frioulan, adapté d’un roman de Paola Drigo, produit par la RAI. La rigueur de la réalisation évoque Robert Bresson, tandis que le récit reste fidèle aux thèmes habituels du cinéaste : le drame vécu par un personnage féminin fort qui tente d’échapper à l’asservissement. Enfin, en 1985, d’une manière surprenante, Vittorio Cottafavi fait partie de la Sélection officielle du Festival de Cannes dans la section Un certain regard avec Il Diavolo sulle colline, d’après un roman de Cesare Pavese. Cette sélection aura pour conséquence de déclencher une nouvelle polémique en Italie, où sera reproché au Festival de sélectionner un « vieux » cinéaste (70 ans…) au détriment du jeune cinéma italien. Ce sera la dernière réalisation de Vittorio Cottafavi, qui entre alors dans le silence. Aujourd’hui encore, en dehors de ses grands péplums, nombre de ses films restent difficiles, voire impossibles à revoir. Ils témoignent pourtant d’une personnalité singulière qui a traversé le cinéma italien sans jamais y trouver tout à fait sa place, tout en y réalisant des films d’une beauté et d’une élégance rare. n

LAURENT AKNIN

 

 




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