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Publié le 14 janvier, 2015 | par @avscci

Numéro 617 – King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack

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Extrait Dossier King Kong

Des singes et des hommes

L’une des expériences les plus troublantes que l’on peut faire lors de la visite d’un zoo, c’est de se retrouver face à la cage du gorille. En général celui-ci se tient coi, agrippé aux barreaux, observant les visiteurs d’un air désabusé qui n’exclut pas la plus grande attention. La tentation est grande de croiser son regard et de lui tenir tête, mais ce n’est pas lui qui lâche prise. Autant dire qu’un frisson nous parcourt quand nous commençons à nous demander si les barreaux ne sont pas que pure convention et si nous ne pourrions pas être dans la cage alors que notre étrange compagnon serait en visite. La proximité des singes et des hommes est immense. Une évidence qui n’a pas échappé au cinéma. Et les films ne se comptent plus qui, à l’instar de King Kong, montrent des singes pour mieux parler des hommes, isolant la part d’humanité des premiers pour stigmatiser sans le dire la part d’animalité qui réside en nous. Les quinze films que nous avons choisi de faire figurer dans notre panel sont parfois pittoresques, souvent métaphoriques, mais toujours aptes à semer un trouble…

Comme une bête

Le héros de Comme une bête est élevé au sein d’un orphelinat pour orangs-outans à Bornéo. En parfaite symbiose avec ses compagnons. Mais à la mort de ses parents, il se rend en France où tel Candide, il a du mal à comprendre ses semblables. Sa simplicité, son absence de calculs, sa générosité naturelle le rendent évidemment inapte à survivre dans la jungle des villes… La fable est transparente, elle n’en est pas moins superbe. Parce que Patrick Schulmann n’oublie pas qu’il est le maître de l’absurde hexagonal, le meilleur représentant live de l’esprit de Tex Avery et que sa fable est truffée de morceaux de bravoure et de gags hallucinés qui en renforcent la portée plus qu’ils ne détournent l’attention. L’auteur de Et la tendresse bordel ! n’était pas un cinéaste consensuel, mais c’était un aventurier de l’image, un bricoleur que rien n’arrêtait. Et Comme une bête est peut-être son chef-d’œuvre. Même si le film n’a pas rencontré le public et qu’il n’appelle aucune revanche, puisque Schulmann est mort quelques années après avoir signé cette tragédie virevoltante qui mérite mille fois d’être redécouverte. À noter que la première partie du film, à Bornéo, parmi les orangs-outans, était à l’origine prévue pour être beaucoup plus longue, pour mieux contrebalancer la partie française. Mais les producteurs, qui trouvaient le film déjà bien long, considérant qu’une comédie ne pouvait pas dépasser un certain métrage, l’ont considérablement raccourcie. Une belle façon de se hisser au niveau des personnages sans envergure que le film fustigeait.  Yves Alion

Film français de Patrick Schulmann (1998), avec Sagamore Stévenin, Agnès Soral, Marie Guillard, Richard Bohringer. 2h10.

Congo

Fils caché de Jurassic park et d’Indiana Jones, Congo s’inscrit dans la tradition des grands films d’aventure sans parvenir à se hisser au niveau de ses prédécesseurs. Frank Marshall, producteur à succès et réalisateur de Arachnophobia (1990) applique la méthode de Steven Spielberg en adaptant lui aussi un roman de Michael Crichton. Après les dinosaures superstars, place aux gorilles tueurs. Ces mutants gardent jalousement une mine de diamants au pied d’un volcan capricieux. Lorsque des explorateurs envoyés à la chasse au trésor par un patron sans scrupules croient découvrir le pactole, ils se font attaquer par une meute de gorilles. Pour les sauver, une équipe de scientifiques part à leur recherche et en profite pour rendre sa liberté à Amy, singe savant qui maîtrise le langage des signes. L’homme et le singe peuvent discuter librement grâce à un gant « magique » qui transforme les signes en mots. À travers Amy, Congo confronte la figure du singe savant élevé et aimé par l’homme à celle du singe tueur, un monstre sauvage sans pitié héritier mutant de King Kong. Les effets spéciaux de Stan Winston rendent crédibles les expressions des singes grâce à une tête animatronique et des moyens considérables pour l’époque. Vous l’aurez compris, mieux vaut envisager Congo comme une comédie pour en apprécier toutes les richesses comme les irrésistibles répliques du genre : « Ces gorilles sont malins, un peu trop malins ». ■ Laurie Deson

Film américain de Frank Marshall (1995), avec Tim Curry, Joe Don Baker, Ernie Hudson. 1h49.

Double assassinat dans la rue Morgue

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Un conte de Poe modèle des futures énigmes dites « de chambre close » qui marque l’apparition de Dupin, détective scientifique annonçant Sherlock Holmes. Plusieurs fois adapté au cinéma, il est pourtant absolument inadaptable, principalement constitué d’un long exposé théorique sur l’analyse criminelle après la découverte d’un double crime étrange. D’où la nécessité de pallier l’absence de toute action par des intrigues dérivées (folkloriques ou amoureuses) et d’inventer, pour justifier les crimes commis par un singe égaré (dans le texte) qu’il soit téléguidé par un savant fou pratiquant des expériences mortelles sur des jeune filles kidnappées. Le centre de gravité se trouve ainsi déplacé de Dupin vers un docteur Mirakle interprété par le grand Lugosi (avec tout son cortège d’expressionnisme baroque) tandis que le singe (un figurant sommaire dans une peau) n’y exerce qu’un rôle très mineur.

Après une seconde version de 1954 (Phantom of the Rue Morgue, Roy Del Ruth), Murders in the Rue Morgue de Gordon Hessler (1971) propose une intéressante variation. S’éloignant également de Poe (le détective s’appelle Vidocq !) avant de pasticher la trame du film de Florey, le drame débute par une séquence très hard entre un médecin sadique, son singe Erik et une jeune femme victime de leurs agissements. Une scène qui se révèle jouée par des comédiens au Grand Guignol ! Le singe tueur est donc interprété par un acteur lui-même défiguré (Herbert Lom portant le même masque que dans Le Fantôme de l’opéra dix ans auparavant). De séduisants jeux de substitutions et de références, d’interrogations sur la nature de la réalité où les meurtres réels sont aussi grandguignolesques que leur représentation sur scène… ■ Jacques Zimmer

Murder in the Rue Morgue. Film américain de Robert Florey (1932), avec Bela Lugosi, Arlene Francis. 1h01.

Doux, dur et dingue

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Il est effarant de constater que Doux, dur et dingue est l’un des plus gros succès de la carrière de Clint Eastwood (seulement dépassé récemment aux États-Unis par Gran Torino). Cette comédie poussive a au moins le mérite d’offrir à la star un partenaire hors-normes en la personne de Clyde l’orang-outang. Le singe est tour à tour le compagnon de beuverie et le confident des peines de cœur d’Eastwood, qui le promène en le tenant par la main comme un petit enfant. Le singe joue à l’humain (il boit de la bière et mange des cookies) et, en retour, Eastwood fait le singe, grimpe aux arbres et imite le cri de Tarzan. Clyde ne joue malheureusement qu’un rôle secondaire dans Doux, dur et dingue dont il faut attendre la suite, Ça va cogner (1980), pour que le primate soit utilisé à sa juste valeur comique. On y voit Clyde faire la tournée des bars, draguer au zoo (et ramener sa conquête à l’hôtel), distribuer des mandales, se déguiser en grand-mère, réduire des voitures en miettes… Dans ce second film, Manis, l’interprète de Clyde dans Doux, dur et dingue, a été remplacé par un autre singe qui porte une montre au poignet. Quelques années plus tard, la firme Cannon fera signer à Manis un contrat en or pour tenir le rôle principal de la comédie Mon aventure africaine (Going bananas, 1985) mais le singe est renvoyé après quelques jours de tournage pour être remplacé par un nain costumé. ■ Sylvain Angiboust

Every Which Way But Loose. Film américain de James Fargo (1978), avec Clint Eastwood, Sondra Locke, Geoffrey Lewis et le singe Manis. 1h50.

Gorilles dans la brume

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L’engagement de Dian Fossey pour la préservation des gorilles des montagnes a été popularisé par le visage de Sigourney Weaver qui a d’ailleurs reçu un Golden Globe pour cette performance. L’objectif du biopic est bien sûr de valoriser la lutte de la zoologiste pour sauvegarder des gorilles massacrés par les braconniers. Une romance avec un photographe de National Geographic met Dian face à un choix cornélien entre bonheur personnel et combat politique. Le film est resté dans la mémoire collective pour ses nombreux plans de l’actrice parmi les singes au cœur de la forêt rwandaise. Au lieu d’extraire les gorilles de leur milieu naturel, elle vit au milieu du groupe qu’elle étudie et avec qui elle crée des liens privilégiés. Le personnage de la scientifique bienveillante et militante se construit tout au long d’un parcours initiatique très sagement mis en scène par Michael Apted. Dès lors, Hollywood fait sien les combats pour la cause animale qui fédèrent un très large public. Sigourney Weaver, très impliquée dans son rôle, donne beaucoup de relief au travail que Dian Fossey a développé avec les gorilles. D’autre part, le mélange entre vrais animaux et singes mécaniques a bluffé les spectateurs de l’époque qui ont été émus entre autre par la force naturaliste des bébés gorilles robotisés créés par Rick Baker qui, ni vu ni connu, sont passés pour des vrais. Une autre manière de mettre la technologie au service de l’émotion à une époque où les effets numériques n’existaient pas encore. ■ L. D.

Gorillas In the Mist : The Story of Dian Fossey. Film de Michael Apted (1988), avec Sigourney Weaver, Bryan Brown, Julie Harris, John Omirah Miluwi. 2h08.

Incident de parcours

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Les films de George A. Romero explorent la frontière souvent floue de l’humain et l’inhumain. Dans La Nuit des morts-vivants, les zombies sont perçus comme une altérité radicale mais ils apparaissent vingt ans plus tard comme des candidats possibles à la constitution d’une nouvelle humanité, pas pire que la précédente (Le Jour des morts-vivants). La distinction entre l’homme et l’animal est tout aussi complexe dans Incident de parcours qui décrit les relations troubles entre un tétraplégique et le petit singe génétiquement modifié qui a été dressé pour l’assister. L’adorable singe à tout faire s’occupe de son patient et est traité avec le respect dû à un être humain alors que, dans une inversion humoristique, la véritable infirmière reste dans son coin comme un animal de compagnie.

En devenant plus humain (on lui a injecté de la matière grise pour augmenter ses fonctions cérébrales), le singe devient aussi plus violent, développe des sentiments négatifs comme la jalousie. Les crimes qu’il commet alors lui sont dictés par son humain, avec lequel il a développé un lien télépathique, et qui lui communique toute sa colère. L’animal, ni bon ni mauvais, ne serait alors que l’arme du crime, un accessoire, la faute morale incombant à l’humain. Romero est pessimiste mais sa démonstration est plus complexe puisque c’est la présence du singe qui fait remonter à la surface la haine contenue de son propriétaire : « Le Diable, c’est l’instinct animal. » Au terme du terrifiant huis clos final, il apparaît que le Mal est partagé de façon égale dans la nature. L’homme est un animal comme les autres, plus dangereux même car il est armé de raison, malin comme un singe. ■ S. A.

Monkey Shines. Film américain de Georges A. Romero (1988), avec Jason Beghe, John Pankow, Kate McNeill et le singe Boo. 1h48.

Koko le gorille qui parle

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Comme beaucoup de réalisateurs qui ont alterné fiction et documentaire, Barbet Schroeder y confronte son art de la mise en scène à une réalité qu’il ne maîtrise plus tout à fait. À sa caméra d’être insidieuse et de montrer ce que les autres ne voient pas toujours. Louis Malle en a pratiqué l’expérience. Barbet Schroeder s’y était déjà confronté avec plusieurs courts métrages tournés entre More (1969) et La Vallée (1972), et surtout le magistral Général Idi Amin Dada : autoportrait (1974). Il est toutefois beaucoup plus valorisant de filmer un dictateur mégalomane et avide de reconnaissance qu’un gorille dépourvu de la parole et conditionné par ses dresseurs humains. Koko, le gorille qui parle s’arrête à peu près là où commence Le Projet Nim de James Marsh (2012), récit d’une expérience menée en 1973 pour intégrer un chimpanzé dans un environnement humain. Ce fantasme anthropomorphique né dix ans plus tôt, lors de la parution du roman de science-fiction de Pierre Boulle, La Planète des singes, est l’occasion pour Barbet Schroeder de filmer l’apprentissage d’une femelle gorille née en captivité au zoo de San Francisco, à qui une étudiante en psychologie et en éthologie a inculqué patiemment le langage des signes. Cette expérience s’est prolongée bien au-delà du film. Au point que la revue Science a affirmé en 2010 que « Koko est devenu l’animal le plus intelligent au monde et a même tenu un chat sur AOL aux États-Unis, le premier chat inter-espèces de l’histoire ! » ■ Jean-Philippe Guerand

Film documentaire français de Barbet Schroeder (1978). 1h25. 

Link

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Link se traduit en français par « lien ». En l’occurrence celui qui relie l’homme et le singe. C’est aussi le nom du personnage principal du film, un singe dont l’intelligence est patente, sinon brillante. Mais qui à l’égal des humains sait également se montrer mesquin, jaloux, violent… et libidineux. Quand le film débute, Link est un peu le maître d’hôtel d’un anthropologue qui fait des recherches sur le chaînon manquant. Mais l’irruption d’une belle assistante, embauchée par notre homme, va profondément modifier l’ordre des choses et la sociologie de la maisonnée. Comme Losey, qui dans The Servant, jouait les anthropologues du genre humain et s’amusait à renverser les rôles entre le maître et l’esclave (son domestique), Franklin décrit Link comme un personnage complexe qui sait jouer de sa force et de sa ruse pour imposer ses vues, quitte à brusquer l’appétissante jeune femme pour laquelle il a une attirance qui n’a rien de platonique. Libre à nous d’en tirer les conclusions que nous désirons tant le terreau est fertile. D’autant que la mise en scène est à la hauteur des enjeux et que le réalisateur sait instiller un certain trouble entre deux scènes où l’action prime. Dommage que cet équilibre soit brisé dans la dernière partie du film, où une surenchère de coups de théâtre et de scènes grand-guignolesques viennent un peu affadir la portée de ce film remarquable. ■ Y. A.

Film américain  de Richard Franklin (1986), avec Elisabeth Shue, Terence Stamp, Kevin Lloyd. 1h55.

Max mon amour

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C’est au lendemain de la reconnaissance internationale que lui a valu Furyo (1983) que le réalisateur japonais Nagisa Oshima décide de se tourner vers la France qui l’a si fermement soutenu en la personne d’Anatole Dauman, à travers ces deux chefs-d’œuvre de l’érotisme que sont L’Empire des sens (1976) et L’Empire de la passion (1978). Il y trouve un partenaire idéal en la personne de Jean-Claude Carrière, scénariste de Luis Buñuel, particulièrement attiré par le surréalisme, dont Max mon amour réunit plusieurs thèmes de prédilection parmi lesquels le fétichisme, le film étant en outre produit par Serge Silberman. Il dynamite la figure traditionnelle de l’adultère en faisant du troisième comparse… un chimpanzé. Ce postulat donne lieu par ailleurs à des développements encore plus ahurissants : non seulement le coup de foudre s’est déroulé dans un zoo où avait échoué ce singe rescapé d’un cirque en faillite, mais le mari trompé… et infidèle, décide d’accueillir l’amant parmi le cercle familial, au grand dam de son entourage et même des animaux du voisinage. Tout l’intérêt de ce film narquois et sardonique réside dans son ton pince-sans-rire. Ni Carrière ni Oshima ne sont dupes de cette situation poussée à l’extrême, qui évoque à la fois un Marco Ferreri montrant Christophe Lambert amoureux d’un porte-clés dans I love You, sélectionné la même année à Cannes, et un court métrage tourné à la même époque : La Consultation, de Radovan Tadic, qui met en scène un singe psychanalyste. ■ J.-P. G.

Film français de Nagisa Oshima (1986), avec Charlotte Rampling, Anthony Higgins, Victoria Abril. 1h32. 

Nénette

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Fidèle à sa posture d’observateur silencieux de nos us, mœurs et coutumes, Nicolas Philibert fixe sa caméra droit dans les yeux d’un orang-outan quadragénaire arrivé en 1972 de Bornéo qui est plus âgé que tous les employés du jardin des Plantes. Le cinéaste nous donne à voir des mimiques, des gestes et des postures destinées à nous troubler. Cette succession de plans séquences filmée à l’extérieur de la cage en verre dans laquelle est confiné l’animal est présentée comme une véritable exposition, à cette différence près que le visiteur est ici un spectateur et que celui qui aurait pu choisir de n’accomplir qu’une brève halte devant ce lointain cousin est invité à s’arrêter plus longuement pour l’étudier. Le plan fixe prend dans ces circonstances l’allure d’un dogme et nous contraint à traquer le moindre détail de ce faciès simiesque à qui ne manque que la parole pour pouvoir communiquer. Nénette est un film envoûtant et dérangeant qui scrute un visage en mouvement, occasion pour le réalisateur d’Un animal, des animaux (1996) de nous tendre un miroir à peine déformant en bousculant nos certitudes. Il est passionnant d’écouter les réflexions des badauds, souvent pleines de bon sens, face à ce spectacle étrange qui nous renvoie à nos origines. Pas question pour Philibert d’adopter la posture du scientifique, du psychologue ou du philosophe. C’est à ses images qu’il donne la parole, sans jamais chercher à diriger notre regard. Il émane de ce cinéma vérité une liberté exceptionnelle. ■ J.-P. G.

Film documentaire français de Nicolas Philibert (2009). 1h10. 

La Planète des singes

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Blockbuster absolu, qui connut quatre séquelles (plutôt réussies soit dit en passant) au début des années 70 (Le Secret de la planète des singes, Les Évadés de la planète des singes, La Conquête de la planète des singes, La Bataille de la planète des singes), un remake signé Tim Burton (plutôt décevant) et un prequel bicéphale (voir plus loin), La Planète des singes est un film de science-fiction particulièrement ébouriffant qui se mue peu à peu en une fable philosophique d’une richesse peu commune. Soit un groupe d’astronautes qui croient atterrir sur une planète peuplée par des singes (comme on le découvrira, il s’agit de la Terre, plusieurs siècles plus tard). Mais ceux-ci ont un comportement étonnement humain, considérant leurs visiteurs comme des animaux. En mettant en scène une concentration simiesque, La Planète des singes brosse de toute évidence le tableau d’une société humaine, trop humaine, dans ses débordements guerriers, ses contradictions de classe, ses oppositions philosophiques. Mais tout est à front renversé. Et si nous prenons fait et cause pour l’homme, le survivant, c’est parce qu’il est traqué comme une bête. Le film est un bijou, dont la mise en scène est somptueuse et les maquillages absolument sidérants. Quelques lunes avant l’irruption du numérique, il n’est pas incongru de saluer le travail des maquilleurs et autres petites mains des effets spéciaux. Leurs singes sont bel et bien nos frères… ■ Y.A.

Planet of the Apes. Film américain de Franklin Schaffner (1967), avec Charlton Heston, Roddy McDowall, Kim Hunter. 1h52.

La Planète des singes, les origines

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Le retour de La Planète des singes au cinéma après l’échec de Tim Burton était plutôt une surprise. En effet, ce prequel audacieux fait connaître l’œuvre de Pierre Boulle à une nouvelle génération de spectateurs. Le film est axé sur la relation privilégiée entre le scientifique Will Rodman (James Franco) et son cobaye César (Andrew Serkis, devenu maître de la performance capture) qui deviendra le guide du peuple des singes et règnera sur le monde. Les traitements contre la maladie d’Alzheimer expérimentés sur ce jeune chimpanzé le font évoluer d’une manière spectaculaire. Trahi par les humains et parqué comme une bête, César souffre atrocement. La subtilité du jeu d’Andrew Serkis derrière son masque numérique donne une force incroyable à ce personnage exceptionnel auprès duquel les humains paraissent bien lâches. L’inexorable fatalité qui séparera les deux héros malgré la force de leur attachement a quelque chose de bouleversant. L’assaut final sur le pont de San Francisco est d’une grande force visuelle. Entre blockbuster estival et fable politique La Planète des singes permet plusieurs niveaux de lecture. Sorti l’été dernier, La Planète des singes, l’affrontement prolonge l’exceptionnelle performance visuelle des origines et donne corps à la guerre qui se préparait à la fin du premier opus dans un monde dévasté où l’humanité est menacée de disparaître. Vu le succès de ce nouvel épisode signé Matthew Reeves, l’idée d’un troisième volet n’a rien de saugrenu… ■ L. D.

Rise of the Planet of the Apes. Film américain de Rupert Wyatt (2011), avec James Franco, John Lithgow, Andrew Serkis, Freida Pinto. 1h50.

Rêve de singe

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Fin du monde et fin de l’homme (« Adieu mâle » dit le titre original) : on aura reconnu le thème central de bien des films de Ferreri qui ne varient ensuite que par le lieu et l’anecdote. À cet égard, le titre français est excellent puisque les singes figurent ici à titre de métaphore qui sont deux et antinomiques : un colossal (façon King Kong qui, échoué, complète le décor d’un New York réduit à sa propre mythologie) et une jeune guenon adoptée par un personnage suicidaire. Lequel, donné comme anarchiste – soit une espèce en voie de disparition – et interprété par Mastroianni, confie l’« enfant » à un jeune homme (incarné par Depardieu), ce dernier étant privé du sentiment de sa virilité par le viol qu’il a subi perpétré par un groupe de femmes. On voit donc se développer une fable animale entre un grand monstre terrassé et un bébé qui faute de protection sera dévoré – autre parabole – par les rats qui infectent la ville. Laquelle, baignée d’une lumière onirique, constitue le cadre d’une apocalypse annoncée, d’une dissolution des valeurs sociétales et culturelles, d’un retour à des sources primitives. Se référant à la chute de l’Empire romain où les effigies de singes revinrent à la mode, Ferreri en dit : « Et maintenant King Kong : l’homme semble vouloir se refléter dans le singe plutôt que dans lui-même. » (Positif, N° 207).

Pour cette fois déchargé de toute charge sexuelle, criminelle ou terrorisante, ce miroir limpide de l’allégorie simiesque renvoie sans conteste à l’animalité de l’homme comme preuve de son échec. ■ J. Z.

Ciao Mascio, film italien de Marco Ferrerri (1978) avec Gérard Depardieu, Marcello Mastroianni, James Coco, Gail Lawrence. 1h53.

Tarzan l’homme-singe

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Dès le premier Tarzan of the Apes (1918, Scott Sidney) tout est dit : le petit orphelin de Lord et Lady Greystoke élevé par les singes jusqu’à ce qu’il soit découvert, adulte, par une expédition, tombe amoureux de Jane. Dès 1922 (Son of Tarzan, Harry Revier), il adopte un fils et, en 1927 (Tarzan et le lion d’or, J.P. Mac Gowan) il découvre sa première civilisation disparue.

L’importance du film de Van Dyke est dans la fixation du mythe d’un nouveau Tarzan qui va perdurer tout au long d’une riche filmographie. D’abord parce qu’interprété par Johnny Weissmuller, plus jeune, plus athlétique, plus convaincant que des prédécesseurs quadragénaires poussifs en maillot une pièce façon léopard. Une icône cette fois précisément sexuée dont les jeux amoureux avec Jane seront plus explicites (dans le contexte de l’époque) jusqu’à la nudité complète de la doublure de Maureen O’Hara dès le second épisode pour une séquence sous-marine restée célèbre. Et le passé de champion olympique de Weissmuller jouera beaucoup dans la prédominance des exploits nautiques (dont un combat contre crocodile souvent repris).

Et, pour le reste, un contexte d’Afrique coloniale, d’un racisme basique et d’un sadisme classique aux récits de jungle (ici des pygmées sanguinaires), avec un seigneur de la jungle régnant équitablement sur le peuple singe qui l’a élevé et la horde d’éléphants qui l’on adopté. Pour ce qui touche à notre sujet, il y a les bons quadrumanes (dont Sheeta) et les mauvais (un gorille gigantesque auquel les pygmées livrent Jane et que Tarzan sauvera d’un sort aussi ambigu que celui de l’héroïne de King Kong). Pendant treize années et neuf épisodes, ce prototype tuera toute concurrence et restera une référence inégalée. ■ J. Z.

Tarzan the Ape Man. Film américain de W.S. Van Dyke (1932), avec Johnny Weissmuller, Maureen O’Sullivan, Neil Hamilton. 1h40.

The Ape

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James Franco est une personnalité à part dans le paysage hollywoodien : acteur dans des blockbusters (Spider-Man), des comédies potaches (Délire express) et des films indépendants (Spring Breakers), il trouve encore le temps de peindre, d’écrire, d’être omniprésent sur les réseaux sociaux et d’avoir réalisé une dizaine de longs métrages en dix ans, dont plusieurs adaptations de Faulkner et un porno gay. De cette carrière prolifique et inattendue, ressort un intérêt pour la gent simiesque : ami avec le chimpanzé de La Planète des singes : les origines, ennemi des singes volants du Monde fantastique d’Oz, Franco vit en colocation avec un gorille qui parle dans The Ape, son premier film en tant que réalisateur.

La présence d’un grand portrait de Dostoïevski dans leur salon ne laisse planer aucun doute : The Ape est une adaptation allumée du roman Le Double, où un employé de bureau perd le contrôle de son existence après s’être rencontré lui-même. Que le singe soit visiblement interprété par un acteur costumé souligne la similarité des deux amis, qui partagent les mêmes ambitions littéraires, le même manque de talent et la même mentalité adolescente. Sale, oisif et misogyne, le singe personnifie les aspects les plus régressifs de la personnalité de son double humain, qu’il pousse à fuir ses responsabilités familiales et professionnelles. Le film rejoint là la préoccupation centrale de la comédie américaine actuelle, dont Franco est un des piliers : la peur de grandir et le rejet de la vie d’adulte. De là à faire le lien avec un classique comme Chérie je me sens rajeunir (Monkey Business)… ■ S. A.

Film américain de James Franco (2005), avec James Franco, Brian Lally, Stacey Miller. 1h22.




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