Critique

Publié le 17 février, 2024 | par @avscci

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Nuit noire en Anatolie de Özcan Alper

Pour peu que l’on soit un habitué des films de Nuri Bilge Ceylan, on se sent en terrain connu dans le petit coin reculé d’Anatolie où nous emmène Özcan Alper : beauté envoûtante des paysages, poids des traditions, âpreté des habitants… Le titre fait flotter d’emblée un parfum de tragédie sur le film, et celle-ci ne se fait pas attendre, puisqu’elle ouvre énigmatiquement le récit, avant de nous être racontée à travers une longue succession de flashbacks. Le personnage principal, qui a vécu de près cette nuit terrible, se la remémore en effet par bribes alors qu’il est de retour dans son village natal. Ce procédé scénaristique, qui crée immanquablement un suspense et des attentes dans l’esprit du spectateur, trouve assez vite sa limite, amenant le passé à prendre artificiellement le pas sur le présent. Surtout, il génère une forme de déception lorsqu’enfin sont révélés les détails du drame, que l’on avait aisément devinés. Toutefois, l’intérêt de Nuit noire en Anatolie réside moins dans son aspect thriller que dans ce qu’il raconte, symboliquement et en filigrane, d’une société corsetée par les coutumes ancestrales, l’exaltation de la virilité triomphante, et le repli sur soi, au mépris de la justice et du droit. Le réalisateur met lentement au jour l’hypocrisie du fonctionnement quasiment féodal (et évidemment patriarcal) du village, et surtout l’impossibilité de la moindre remise en cause. Faisant preuve d’une indéniable maîtrise formelle, il rend étouffants jusqu’aux grands espaces où se déroule l’intrigue, et d’autant plus vertigineuse la beauté sauvage d’une nature qui domine l’homme de toute sa splendide indifférence.

Marie-Pauline Mollaret

Karanlık Gece, Film turc de Özcan Alper (2022), avec Berkay Ateş, Cem Yiğit Üzümoğlu, Taner Birsel, Pınar Deniz, Sibel Kekilli.1h54.




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