Critique

Publié le 7 février, 2023 | par @avscci

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Maîtres de Sven de Pauw

Il est des métiers avec lesquels on a parfois l’impression que le cinéma nous a aidé à nous familiariser. Parmi ces personnages figurent en bonne place les artisans de la justice, ceux auxquels la fiction donne volontiers le beau rôle et dont la parole épargne parfois des innocents, mais concourt aussi à punir des coupables qui ne le sont pas toujours vraiment. La réalité est pourtant plus prosaïque. C’est le travail de ces soutiers de l’ombre qu’a choisi de filmer au quotidien le documentariste Swen de Pauw, en s’installant dans un cabinet d’avocates strasbourgeoises spécialisées en droit des étrangers qui ne désemplit pas. Là, il a laissé tourner ses caméras et le résultat s’avère saisissant. Maîtres évoque irrésistiblement deux films de référence dans ce domaine : Délits flagrants (1994) de Raymond Depardon et le fameux Ni juge, ni soumise (2017) réalisé par les transfuges de l’émission belge Strip Tease, Jean Libon et Yves Hinant. Avec des moments tragiques et d’autres qui frisent le comique de situation, face à un système kafkaïen sinon ubuesque où l’individu réduit à sa plus simple expression risque de se faire broyer. Sven de Pauw a confiance en ses images. Dès lors, il émane de ce défilé ininterrompu de situations aussi tragiques qu’absurdes une sensation d’impuissance et de répétition infinie, face à ce qui ne constitue en fait qu’un pâle aperçu de la misère du monde. Le moindre des mérites de ce constat sans appel consiste à éviter de diriger le regard du spectateur, sans jamais tenter d’influencer son libre-arbitre. C’est tout à son honneur de ne juger personne.

Jean-Philippe Guerand

Film documentaire français de Sven de Pauw (2022), avec Christine Mengus, Nohra Boukara, Audrey Scarinoff. 1h37.




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