Critique

Publié le 12 janvier, 2023 | par @avscci

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Les Rascals de Jimmy Laporal-Trésor

Paris, 1984. Les Rascals (cinq jeunes hommes de diverses origines ethniques, qui ont grandi dans le même quartier populaire) font les quatre cents coups : fêtes, drague, bagarres et petits délits. Comme dans toute bonne tragédie, le hasard d’une rencontre fait basculer la bande dans un enchainement de violences inéluctable. La fatalité qu’affrontent les personnages de ce remarquable premier long métrage n’a rien d’abstraite : elle est profondément politique et sociale, ancrée dans l’histoire récente de la France, et prend la forme des mouvements d’extrême droite (Front National, GUD, skins néo-nazis) qui sont alors en plein expansion.

Les Rascals se situe au croisement de la série B et de la fresque. De la série B, le film tire sa nervosité et sa concision, sa façon de ne jamais accorder de répit aux spectateurs, de les immerger dans son époque et son récit, au plus près des personnages, à l’image de ce moment où Frédérique – une jeune femme tentée par les idées d’extrême-droite – assiste à son premier meeting fasciste : la scène est filmée avec un plan-séquence qui accompagne la déambulation de Frédérique d’une salle à l’autre, d’un groupe d’invités à l’autre, le déplacement sinueux de la caméra mimant notre découverte progressive de cet univers obscur ainsi, de façon plus métaphorique, que l’égarement de l’esprit du personnage. Cette efficacité est couplée avec une hauteur de vue et une ampleur qui sont celles d’une fresque historique. Le film nous présente ainsi un grand nombre de personnages, tous parfaitement caractérisés : chacun a culture et une langue qui lui sont propres ; ses idées et ses actions sont présentées comme un produit de son milieu, de son époque et de ses expériences. Au sein d’une même famille (celle de Rudy, personnage central du film) la mère, le fils et le jeune cousin ont ainsi chacun un rapport différent à la société française. Les skinheads, qu’il aurait été si facile de caricaturer, de montrer de façon univoque, sont amenés individuellement à faire un choix entre dépolitisation (se ranger), engagement à gauche ou à l’extrême-droite. Tous les cas de figure sont envisagés, sans didactisme, pour former le portrait d’une époque.

C’était il y a 40 ans à peine mais on a oublié à quoi ressemblait le Paris de l’époque, lui aussi à un moment charnière de son histoire. Les Rascals un pied dans le passé (on croise un membre du gang des Antillais – criminel des années 70 – et la mode du rockabilly, issue des années 50, jette ses derniers feux) et un pied dans l’avenir (on assiste aux premières battles de hip hop). C’était il y a 40 ans mais les sujets abordés par le film sont toujours d’une actualité brulante : l’intégration des jeunes et des populations issues de l’immigration, ainsi que l’antifascisme. Sur ce dernier point, la position du film est élaborée et indiscutable : on peut comprendre qu’un individu s’engage à l’extrême-droite, mais jamais l’accepter, et lorsque le danger se fait trop pressant, le passage à l’action violente s’impose comme une nécessité.

Sylvain Angiboust

Film français de Jimmy Laporal-Trésor, avec Jonathan Feltre, Angelina Woreth, Missoum Slimani. 1h 45




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