Critique

Publié le 15 juin, 2024 | par @avscci

0

Les premiers jours de Stéphane Breton

Voici une plongée immersive et sensorielle comme le cinéma n’en propose que très rarement. Une histoire sans paroles où les images confinent parfois à l’abstraction pure et simple et où les bruits résonnent souvent comme de la musique. Sur la côte nord désertique du Chili, des hommes ramassent des algues qu’on jurerait déposées par des extra-terrestres. Labeur quotidien dont on ne saisit pas véritablement le sens, mais que ces travailleurs de la mer répètent comme un sacerdoce ponctué çà et là par des tâches tout aussi énigmatiques qui consistent à ramasser les objets épars que charrient les flots sur la grève, puis à les recycler à des fins tout aussi mystérieuses. Il y a chez ces hommes réchappés de la nuit des temps dont on n’entend jamais la voix une détermination qui force l’admiration, au fil d’un spectacle burlesque et absurde qu’auraient pu mettre en scène les membres du mouvement Panique voire le cinéaste oublié Jean-Pierre Sentier avec son art du minimalisme baroque. Couronné du prix Marco Zucchi (qui consacre le film le plus innovant en termes esthétique et cinématographique) à Locarno, Les Premiers Jours est un spectacle envoûtant qui doit une bonne partie de son charme à son traitement visuel et sonore du bruit du ressac ou des pieds qui font rouler les galets et compose une sorte de symphonie minérale abstraite. Homme-orchestre de ce film étonnant qui pourrait se dérouler à une époque postapocalyptique par son univers déroutant et ses rituels drolatiques, Stéphane Breton est un poète du cinéma du réel qui tord le cou aux formes avec une rare intensité.

Jean-Philippe Guerand

Film documentaire français de Stéphane Breton (2023) 1h14.




Back to Top ↑