Critique

Publié le 14 décembre, 2022 | par @avscci

0

Les Années super-huit d’Annie Ernaux et David Ernaux-Briot

L’exercice est devenu presque banal : retrouver d’anciens films de famille, et poser dessus une voix-off qui se souvient, mi-nostalgique, mi-amusée, des souvenirs et du passé qu’ils renferment. L’écrivaine Annie Ernaux, accompagnée de son fils David Ernaux-Briot, transcende le format en mêlant inextricablement son récit intime aux échos et soubresauts de l’époque. Il y a une telle parenté avec son œuvre littéraire que le film semble renouer un dialogue entretenu de longue date, sur des questions domestiques comme politiques, tout en apportant une dimension théorique supplémentaire en raison même du support cinématographique utilisé. Il court en effet dans tout le récit une réflexion sur le pouvoir des images, leur manière de traverser le temps, et ce qu’elles racontent d’un passé révolu, oublié, nié ou fantasmé. Sur un plan personnel, bien sûr : se revoir jeune, comme une parfaite étrangère dont on garde un souvenir flou, ou redécouvrir le temps d’un plan ceux qui sont devenus les fantômes de son existence. Mais ces images si personnelles reflètent aussi la fluctuation des idées et des convictions : se voyant au bord d’une piscine, la narratrice se souvient de son désir d’écrire. Plus tard, elle partage son étonnement sur le fait qu’un livre change au fond si peu la vie, en tout cas pas comme on l’espère ou le croit. Et que dire de ces vacances en famille dans le Chili d’Allende, témoignage immédiat, la pellicule à peine développée, d’un pays qui n’existe déjà plus ? C’est ce mélange impressionniste, si loin, si proche, qui fait du film un document captivant et bouleversant à la fois.

Marie-Pauline Mollaret

Film documentaire français d’Annie Ernaux et David Ernaux-Briot (2022), 1h01.




Back to Top ↑