Critique

Publié le 13 novembre, 2023 | par @avscci

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La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung

Cela faisait longtemps que l’on avait plus eu de nouvelles de Tran Anh Hung, depuis le demi-échec de Eternité, film ayant lui-même suivi une décennie 2000 plutôt discrète. Le cinéaste fut pourtant, dans les années 1990 et sa Caméra d’or suivi d’un Lion d’or, le grand espoir d’un cinéma français mâtiné d’Asie, aux carrefours des deux continents, du Vietnam et de la France, tout en sensualité sur fond de Radiohead. Il est donc relativement surprenant de voit le metteur en scène revenir en chantre d’un cinéma on ne peut plus franco-français, sur fond de reconstitution et de bonne chère. En contant la vie d’un chef raffiné et heureux dans les années 1880, et dont le quotidien est subitement percuté par la tragédie, l’auteur change de lieu mais reste fidèle aux schémas esthétiques de ses premières œuvres. La prime donnée, dans Cyclo ou L’Odeur de la papaye verte, à un cinéma sensitif, avant tout nourri des peaux, des corps des protagonistes, se retrouve ici, mais transposée à la cuisine. Le lien est là et n’est pas d’une folle légèreté lorsqu’un plan de pêche appétissante se retrouve associé, par la grâce d’un fondu explicatif, au corps dénudé de Juliette Binoche. La sensualité autoproclamée du réalisateur, le principe de plaisir qui fut toujours la base de son cinéma, est cette fois prise au pied de la lettre, sur fond de bonne gastronomie bien française. Privé de l’exotisme des précédents longs métrages, La Passion de Dodin Bouffant expose au grand jour une approche finalement contreproductive. Les corps, les plats, l’amour et la mort, défilent devant la caméra sans créer une quelconque émotion tant la lourdeur du trait les prive de toute incarnation. A force de se réclamer de la beauté, du sensoriel, à force de le crier et de le convoquer de toutes ses forces, Tran Anh Hung arrive à l’effet inverse, et livre un candidat aux Oscars qui aura le mérite de ne pas bousculer la vision des Français que se font nos amis d’Hollywood.

Pierre-Simon Gutman

Film français de Tran Anh Hung (2023), avec Benoît Magimel, Juliette Binoche, Emmanuel Salinger. 2h14.




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