Critique

Publié le 27 février, 2024 | par @avscci

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Il fait nuit en Amérique d’Ana Vaz

L’artiste et cinéaste Ana Vaz part d’un constat – la multiplication des incursions d’animaux sauvages autour de la ville de Brasilia – pour raconter une histoire – que l’on dirait atemporelle – de colonisation, d’uniformisation et de destruction. Une histoire éminemment spéciste, qui rappelle en filigrane l’obstination de l’humanité à ne pas reconnaître comme êtres vivants ceux qui ne lui ressemblent pas. Lorsque la ville de Brasilia a été construite ex-nihilo en 1957, tout ce qui n’était pas humain a en effet tout simplement été éradiqué pour faire place à la “modernité”. Aujourd’hui, la destruction de la savane néotropicale et l’intensification des monocultures – autres manifestations de cette sacro-sainte modernité – poussent la faune à revenir en ville. Les soigneurs du zoo local recueillent alors renards, tamanoirs et autres boas constrictors qui importunent les habitants, transformant un lieu de captivité forcée en centre de réfugiés (on appréciera l’ironie) et contraignant à interroger la notion de territoire et d’habitat “naturel”. Il fait nuit en Amérique capte donc longuement – en 16mm et en nuit américaine – la présence de ces animaux sauvages en milieu urbain, au son de la sublime musique conceptuelle du père de la cinéaste, Guilherme Vaz, qui apporte à la fois la solennité d’un éloge funèbre et une irrépressible force vitale au récit. Car face aux insupportables réalités que dévoile par petites touches une narration éminemment sensorielle, on ressent certes une immense colère, mais aussi un fragile espoir : faune et flore sauvages continuent de revendiquer leurs droits, et l’homme (crédité au générique en tant qu’homo sapiens sapiens, ce qui est encore lui faire trop d’honneur), ne pourra éternellement ignorer qu’il n’est qu’une espèce parmi d’autres.

Marie-Pauline Mollaret

Film documentaire italo-franco-brésilien d’Ana Vaz (2022), 1h06.




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