Critique

Publié le 2 novembre, 2022 | par @avscci

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Harka de Lofty Nathan

Certains s’en souviennent, c’est l’immolation par le feu d’un marchand ambulant de Sidi Bouzid qui a déclenché la révolution tunisienne, en décembre 2010, puis l’engrenage du Printemps arabe. Le cinéaste américain Lofty Nathan a décidé de sonder les véritables causes de ce geste désespéré, en s’attachant à la personnalité d’un petit trafiquant de carburant qui survit dans une société désespérément dépourvue de promesses d’avenir. La mise en scène s’appuie sur une observation comportementaliste des faits et gestes du quotidien qui vont peu à peu isoler un être solitaire en le condamnant à ressasser sa rancœur jusqu’à atteindre un point de non-retour. Ce moment où tout va basculer, nous ne le verrons pas à l’écran. Il appartient à l’histoire de la Tunisie et n’est que la conséquence d’une succession de brimades et d’humiliations qui ont poussé son protagoniste à prendre en quelque sorte le maquis sur le plan mental. Harka est indissociable de la présence impressionnante de son interprète principal, Adam Bessa, personnage cadenassé en lui-même et peu disert que les événements poussent peu à peu au désespoir, simplement parce qu’il se bat quotidiennement, non pas pour vivre mais pour survivre. Quitte à n’exister enfin… qu’une fois mort. C’est tout le paradoxe du personnage dont Harka suit le quotidien sans la moindre héroïsation ni même chercher à établir une quelconque empathie entre lui et nous. Aussi marginal et reclus puisse-t-il paraître, ce bouc émissaire semble condamné à subir par la société qui l’entoure et le laisse ruminer son désarroi dans une souveraine indifférence.

Jean-Philippe Guerand

Film franco-luxembourgo-tuniso-belge de Lofty Nathan (2022), avec Adam Bessa, Salima Maatoug, Ikbal Harbi 1h27.




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