Goutte d’or de Clément Cogitore

Deuxième long métrage de Clément Cogitore, après l’imposant succès critique de Ni le ciel ni la terre, Gouttes d’or est le prototype même d’un film attendu au tournant. La première œuvre de fiction de Cogitore (après une carrière remarquée dans l’art contemporain) frappait par la volonté de l’artiste de filmer en dehors des clous et des terrains reconnus d’un cinéma français d’auteur qui se complait parfois un peu dans les mêmes territoires, géographiques ou thématiques. Gouttes d’or confirme totalement cet aspect, puisque le metteur en scène investit un lieu proche et lointain (car peu regardé), le quartier de la Goutte d’or donc et, plus spécifiquement, le quotidien d’un marabout, arnaqueur particulièrement doué. Le récit suit le dérèglement de ce quotidien, à la suite du surgissement d’une bande qui cherche à exploiter les (faux) talents de devin du protagoniste. Il y a, dans le film, un mélange entre le réalisme le plus cru et un fantastique nocturne, davantage présent dans l’atmosphère que dans les faits, qui lui permet de se démarquer nettement. On pourrait même parfois penser au réalisme poétique français des années 1930, dans cet improbable croisement du fabriqué et du vécu. Si la capacité de Cogitore à investir des endroits et des thèmes trop peu filmés, et à créer des ambiances marquantes, oppressantes, se confirme parfaitement, le film ne convainc pas totalement, malgré la prestation bien évidemment formidable de Karim Leklou. Quelque chose de légèrement trop planifié, pensé, un sentiment diffus d’un intérêt plus plastique et intellectuel pour les situations ou les personnages, s’immisce par instants, et empêche de totalement d’adhérer à un projet qui pourtant, par ses différences et ses qualités propres, semble salvateur dans le cinéma français actuel.

Pierre-Simon Gutman

Film français de Clément Cogitore (2022), avec Karim Leklou, Malik Zidi, Loubna Abidar. 1h 38m.