Critique

Publié le 23 mai, 2024 | par @avscci

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Furiosa : une saga Mad Max de George Miller

En 2015, George Miller faisait événement et sensation avec son Mad Max Fury Road aussi attendu que surprenant, qui reste pour nombre de cinéphiles l’un des sommets cinématographiques de la décennie passée. Avec ce nouvel opus de sa saga, partie la plus célèbre de sa filmographie, il parvient de nouveau à agréablement surprendre. La première surprise, c’est d’abord le projet en lui-même. L’Australien réalise un prequel à l’heure où ce type d’histoire, racontant un récit antérieur à un épisode précédent, est passé de mode depuis au moins dix ans (elle connut son acmé dans les années 2000, avec en particulier la deuxième trilogie Star Wars). Il y a quasiment une décennie, le dernier Mad Max se clôturait sur un champ-contrechamp alternant plongée sur Max et contre-plongée sur Furiosa. C’était l’un des grands étonnements du film : à son héros se substituait une héroïne. Cette dernière prend donc le relais et est au centre d’une aventure que l’on peut donc aussi voir comme un spin-off. L’action se joue pendant l’enfance et l’adolescence de Furiosa. Cette dernière vit dans un territoire apaisé, oasis dans un monde dévasté, mais se fait capturer par une armée de motards barbares. Tentant de la sauver, sa mère se fait tuer. La future guerrière grandira avec un désir de vengeance contre le chef de la tribu, Dr Dementus, l’ayant faite prisonnière, y compris lorsqu’elle passera de ses mains à celles d’Immortan Joe, en guise de monnaie d’échange entre leurs armées rivales.

C’est la première fois dans la saga qu’un épisode fait explicitement référence à un autre opus de manière cohérente. Car jusqu’ici, les films de Mad Max étaient moins des suites que des réinventions d’univers avec la figure invariable d’un héros solitaire hanté par son passé. Là, le film renvoie de façon directe à Fury Road, si bien qu’il faut l’avoir vu ou revu pour comprendre Furiosa. Et cela oblige à une comparaison. Le film de 2015 suivait des personnages infusés d’un grand univers autour d’eux, dont on imaginait le panorama à travers l’évocation de places fortes (Pétroville où l’on se ressource en essence, le moulin à balles fabriquant des armes) et le passé à travers des détails, comme le masque filtrant l’air d’Immortan Joe ou la dégénérescence physique de ses fanatiques. Furiosa, lui, s’étale sur une dizaine d’années et se découpe en cinq chapitres. Quand le premier compressait son intrigue sur trois jours, le second fait ressentir le passage d’un temps long. Le découpage exploite ainsi la timelapse à deux reprises, et le film dure une demi-heure de plus. Ce prequel explicite l’univers en donnant une plus grande place à des personnages aperçus dans la partie précédente (le Mange-personne, Rictus Erectus) et en développant un pan de son intrigue dans les bastions qu’on ne voyait qu’à l’horizon il y a neuf ans. Ce nouveau long métrage contient en outre divers renvois aux moments iconiques du film dont il est narrativement antérieur : héroïne renaissante en sortant du sable, assaut du convoi d’un camion-citerne… Enfin, l’ouverture bucolique du film, référence au récit biblique du Fruit défendu, renvoie au troisième épisode, par la présence de la verdure absente du reste de la saga.

Du coup, le film s’apparente de prime abord comme moins inventif, car se jouant en terrain plus familier que d’habitude. Le seul personnage original est le méchant principal : Dr Dementus, bouffon dont les attributs sont une grande barbe et un char tiré par trois motos avec lequel il se déplace. C’est l’occasion pour Chris Hemsworth de livrer sa meilleure interprétation, notamment dans une séquence où il tente de persuader l’armée d’Immortan Joe de le rejoindre, en faisant lointainement écho au Discours de la servitude volontaire. Est-ce à dire que cet épisode est décevant, car comportant moins « le genre de vision folle dont on se dit que le cinéaste ne pourrait faire le film que pour elle » (Pour reprendre la jolie expression de Jean-Sébastien Chauvin dans sa critique Fury Road dans les Cahiers du cinéma) ? Certainement pas. D’abord, parce que ces hallucinations sont là, mais se trouvent curieusement dans la violence du film. Des images macabres marquent, telle cette caverne où sont suspendus des membres humains découpés, sur lesquels butinent de répugnants insectes. Ou encore les dispositifs sadiques imaginés par les guerriers dégénérés : crucifixion combinée à la crémation, traînage d’un corps dans le sable par un véhicule. Ensuite parce que Miller renouvelle son esthétique à l’intérieur de ce monde. Contrairement à Fury Road, où nous ressentions franchement les textures du sable brûlant, des véhicules graisseux ou du métal rouillé, Furiosa adopte un traitement plus lisse. L’image est ici plus unie et s’éloigne des bourrasques colorées d’il y a neuf ans. Les scènes de poursuite sont moins nombreuses, et surtout, se démarquent de celles de son aîné en étant démesurées et inconséquentes, à l’inverse de celles viscérales et telluriques de Fury Road… Lors de l’attaque du convoi du camion-citerne, figure qui occupait quasiment tout le film d’il y a neuf ans, les personnages s’envolent et exécutent des mouvements délirants. Les plans y sont plus longs, les mouvements d’appareil plus amples et la séquence moins découpée. Les effets spéciaux numériques sont visibles, si bien que nous avons un peu l’impression par instant de voir un film d’animation — qui fut un temps le projet de George Miller pour le quatrième épisode.

Ce Furiosa se regarde avec plaisir parce qu’il est inattendu. Il faut ainsi attendre plus d’une heure de film pour voir une scène d’action orgiaque, le début du long-métrage restant relativement calme. Si Max est quasiment absent de cet épisode, une figure analogue s’y trouve et explicite la relation que le héros aura plus tard avec l’héroïne dans Fury Road : un guerrier à la solde d’Immortan Joe avec qui elle va faire équipe et se rebeller avec lui. La relation entre Furiosa et Max que nous gardons en mémoire s’éclaire ainsi d’une nouvelle dimension, car l’héroïne retrouvera en lui quelqu’un qu’elle a bien connu et l’a aidé à s’émanciper. Faut-il voir cette figure masculine comme nécessaire à l’affranchissement d’une femme ? Certains le diront, sans doute à juste titre. Il n’en demeure pas moins que tout cela est inventif, surprenant et inédit.

En reprenant un générique d’ouverture quasiment identique, et en clôturant le film par un montage à l’étalonnage improbable de séquences marquantes du film sorti il y a neuf ans, ce Furiosa prend par moment l’allure d’une étrange apostille de Fury Road. Toujours est-il que George Miller ne se répète pas et tente des choses nouvelles dans son univers. Cet épisode dépareille avec le torrent de tribulations de superhéros actuels et ne ressemble à aucun autre. C’est la nouvelle œuvre d’un cinéaste libre, qui offre un film anachronique et toujours inspiré.

Tancrède Delvolvé

Furiosa, a Mad Max saga. Film australo-américain de George Miller (2024), avec Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth, Tom Burk, Alyla Brown, Lachy Hulme. 2h28.




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