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Publié le 20 mai, 2014 | par @avscci

Entretien Patrice Leconte – Une promesse

Au début de sa carrière le nom de Patrice Leconte était indissociable de ce cinéma de comédie qui à la suite du café-théâtre tentait de rajeunir notre regard sur la société. Son cinéma s’est par la suite peu à peu diversifié, laissant percer le goût du cinéaste pour les personnages fragiles en situation d’emprunter un chemin qui n’était jusqu’alors que mal balisé. Les films de Patrice Leconte sont des films de rencontres, souvent improbables, mais fécondes en émotion et en humour. Depuis quelques temps, notre homme espace ses réalisations, mais il veille à se trouver en permanence là où on ne l’attendait pas. Après un film impressionniste sur l’adolescence, un dessin animé, un documentaire en Asie, il nous livre ici un film en costumes (et en anglais). Adapté de l’oeuvre de Zweig, Une promesse est un bijou de délicatesse, où règnent le non-dit et le faux-semblant, où les gestes s’esquissent et les paroles restent en suspens…

PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION

Vous avez jadis déclaré que Monsieur Hire était votre seul film sans le seul brin d’humour. Une promesse est-il le deuxième dans ce cas ?

Patrice Leconte : Je ne m’en étais pas rendu compte mais c’est vrai qu’il n’y pas beaucoup d’humour. Il y a une forme de légèreté parfois, car il ne fallait pas que l’histoire devienne trop pesante, mais y intégrer de l’humour aurait été une trop grande liberté par rapport au livre. J’ai pris des libertés, bien sûr, par exemple avec la fin que j’ai un peu enjolivée pour qu’elle soit moins désenchantée, mais j’ai conservé le ton de Zweig. Il y a un respect de l’époque, de la classe sociale, une forme de rigueur germanique à laquelle je tenais beaucoup. Je voulais que Lotte, qui est le seul personnage à avoir une vraie légèreté, voire une forme de fantaisie, apparaisse comme la lumière de cet univers un peu corseté.

L’humour n’est pas forcément drôle, il y a tout un cours sur le sujet dans Ridicule. L’humour est une façon un peu décalée de voir le monde… 

P. L. : L’humour n’est pas commode à définir. C’est une question de perception des choses, une manière comme une autre de positiver, d’enjoliver. L’humour consiste à décorer des choses parfois sinistres avec des guirlandes affriolantes. Une promesse est paré de quelques guirlandes, mais ce n’est pas un film dans lequel on se roule par terre en se battant les flancs de rire.

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© Mars Distribution

Il n’y a pas le même parti-pris d’austérité visuelle que dans Monsieur Hire… 

P. L. : Monsieur Hire, j’en avais conscience et c’était délibéré, est un film très rigoureux, crépusculaire, tendu, mais sans être un exercice de style. Le seul trait d’esprit du film se situe dans la scène où l’une des petites souris de Hire meurt et qu’il l’enveloppe dans un coupon de tissu en tweed pour la jeter dans le canal. C’est plus léger que le reste. Dans Une promesse, il ne fallait pas être aussi austère car la vie doit circuler, en permanence. Monsieur Hire s’est un peu retiré de la vie, comme une éponge abandonnée sur un évier. Pas Lotte…

Monsieur Hire était aux antipodes de Panique, autre adaptation du roman de Simenon. Une promesse apparaît moins décalé par rapport à d’autres adaptations de Zweig. 

P. L. : Peut-être, mais je suis impatient de confronter le film à des spectateurs spécialistes de Zweig. Je suis un admirateur de cet homme, mais pas un spécialiste. J’ai lu quatre de ses romans, c’est loin d’être mon auteur de chevet, même si je l’aime beaucoup. Si on avait décalé les choses, ça n’aurait pas été une trahison mais on se serait éloigné de l’esprit du livre, de l’humeur des personnages, des enjeux émotion nels, de tout ce que Zweig rend avec une économie et un talent prodigieux.

Dans les films adaptés de son oeuvre, lesquels chérissez-vous ? Lettre d’une inconnue, de Max Ophüls ? 

P. L. : Je l’ai vu mais je m’en souviens très mal. Je n’ai pas eu envie de le revoir car d’une manière générale je n’aime pas travailler avec des références. Truffaut faisait beaucoup ça : il y avait deux-trois films qui lui servaient de référence, qu’il montrait à son équipe en disant : « Ce n’est pas ce qu’on va faire mais c’est la couleur de ce que j’aimerais qu’on fasse ». C’est un coup de diapason cinématographique et cinéphilique qui n’est pas sot, bien sûr, mais je n’ai jamais eu recours à ça. La seule fois où je suis allé revoir un film pour me donner du courage, c’est lorsque j’ai réalisé Le Mari de la coiffeuse. C’était un projet fragile, déstructuré et je suis allé revoir Radio Days de Woody Allen car il y a une liberté formidable dans la narration. Quand j’en suis sorti, j’étais regonflé. Pour Une promesse, je ne dirais pas que je n’en ai pas eu besoin, ce serait prétentieux, mais je n’en ai pas eu envie.

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© Mars Distribution

Quelles étaient vos références pour retrouver l’atmosphère de l’époque ? 

P. L. : Le décorateur Yvan Maussion et la costumière Pascaline Chavanne, avec laquelle je travaillais pour la première fois, m’ont apporté beaucoup d’iconographie pour ma culture de l’oeil, ma culture générale : des photos, des gravures, pour les costumes, les lumières… Moi-même je n’ai pas eu besoin de faire des recherches précises. Pour Ridicule, mon premier film en costumes, je me suis ingénié à oublier que c’était un film d’époque afin de me concentrer sur l’humain, les gens, ce qui se trame, comment leurs coeurs battent. Je me disais que si je me laissais trop envahir par la rigueur historique, les détails qui font vrai, j’allais m’y perdre, alors que ce n’est pas l’enjeu du film. Je sais que je suis entouré de collaborateurs qui sont très pointus là-dessus. Par exemple, Richard Madden, l’acteur qui interprète Friedrich et que j’aime beaucoup, joue dans la série Game of Thrones, dans laquelle il a une barbe de quelques jours. Lorsque je l’ai rencontré pour faire des essais, il avait cette barbe qui lui allait très bien mais faisait de lui un homme moderne, alors qu’à l’époque de Zweig, lorsque l’on prétendait entrer dans une entreprise, on était rasé de près. Comme il avait une très belle gueule avec sa barbe, j’ai eu peur de le voir une fois rasé, mais ça a été.

Le film a été tourné en Belgique. C’était une exigence de la coproduction ? 

P. L. : Non. On s’est dirigé très vite vers la Belgique pour un ensemble de raisons diverses. Je ne pensais pas trouver les décors correspondants en France. Lorsque nous avons tenté une coproduction avec l’Allemagne, cela a mis beaucoup de temps et nous l’avons abandonnée. Il fallait trouver ce quatrième personnage important qui est la propriété, la maison des Hoffmeister, et puis des bureaux, des rues, une ville. Tout cela existait en Belgique, et on nous a dit qu’une coproduction belge serait très avantageuse. Nous avons trouvé, pas facilement, mais nous avons trouvé, les décors idéaux. Il n’y a pas de studios mais beaucoup de décors naturels réaménagés. La maison a été complètement vidée de ses meubles, nous avons mis de nouvelles couleurs sur les murs : elle était méconnaissable… Après le tournage, le propriétaire a tout gardé en l’état car elle lui plaisait mieux comme ça. J’avais envie que les murs soient plutôt sombres pour que les directions de lumière deviennent plus précises, car lorsque l’intérieur est clair, la lumière qui entre par les fenêtres est moins nette. Je voulais vraiment que les personnages se déplacent sur des fonds sombres, par exemple dans le bureau de Hoffmeister, et que la lumière modèle leur visage et leur silhouette plus joliment. Il a fallu retapisser toutes les pièces de la maison pour avoir cet effet-là. Lorsqu’on fait un film coproduit par la Belgique, on s’engage à travailler avec une équipe en partie belge. Nous étions un peu réticents car nous avons nos habitudes de travail avec les Français, ce qui est stupide car il y a eu des rencontres merveilleuses. Cela donne envie de réitérer l’expérience…

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© Mars Distribution

Ce ne sera donc pas votre dernier film ? 

P. L. : Je ne sais pas pourquoi j’annonce ça régulièrement, c’est crétin de ma part. Mais à chaque fois, c’est sincère. Lorsque j’ai terminé Une promesse, je trouvais bien de m’arrêter sur ce film-là. J’étais déterminé à dire que c’était mon dernier film mais, une fois de plus, il y a des trucs qui se préparent, qui se trament, qu’on me propose. C’est très dur de dire non à des jolis projets. Certains cinéastes comme John Huston ont continué à faire des films formidables jusqu’à leurs derniers jours, mais il y en a tellement qui ont mal vieilli et qui auraient mieux fait de s’arrêter. C’est ma hantise : être un cinéaste qui ne produit plus grand-chose d’intéressant, et que personne ne lui tape sur l’épaule pour lui dire : « Arrêtez-vous mon vieux ». Lorsqu’on arrive à un certain stade de sa carrière, c’est très rare d’avoir des garde-fous, des amis très proches qui osent encore dire ce qui ne va pas.

C’est difficile d’avoir du recul sur ses films…

P. L. : Il m’est arrivé de faire des films dont je ne voulais pas reconnaître que c’était raté, mais au fond de mon crâne il y avait une petite lumière rouge qui clignotait pour dire que j’étais à côté de la plaque. Je repense à ce film que j’ai vraiment aimé faire, qui n’est pas navrant mais simplement à côté de plaque : Félix et Lola. Il n’est pas vraiment l’accomplissement de quelque chose. C’est bien filmé, les acteurs sont bons mais le scénario pas terrible. Idem lorsque j’ai adapté Modiano pour faire Le Parfum d’Yvonne. J’aime le film mais je suis conscient de ses limites esthétisantes.

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© Mars Distribution

À l’inverse, quels sont les trois films qui vous représentent le mieux ?

P. L. : Je ne sais pas lesquels me ressemblent le plus mais, récemment, lors d’un hommage qui m’a été rendu – de mon vivant – j’ai eu l’occasion de revoir Tandem. Normalement, je ne revois pas mes films. Là, j’ai pris du recul, comme si je voyais le film d’un autre. J’ai ensuite répondu aux questions du public et j’ ai dit : « Ce n’est pas très modeste mais c’est sincère : j’ai adoré ce film. » Je trouve Tandem formidable. Heureusement il y en a d’autres : Ridicule n’est pas raté et j’ai aussi revu récemment Les Grands Ducs qui me transporte de joie. Et La Fille sur le pont

Vous avez toujours fait des films très différents mais depuis une dizaine d’années, chacun est vraiment unique, ne se rattache pas au précédent, voire pratique le tête-à-queue. On passe du documentaire Dogora aux Bronzés 3, à un film d’animation, puis à un film en langue anglaise, comme si vous vouliez balayer un spectre plus large. 

P. L. : Il y a aussi ce film de vieux jeune homme qui s’appelle Voir la mer que j’ai adoré faire. Je comprends que ma filmographie paraisse incohérente mais je ne sais jamais pourquoi je fais les choses. Je vais sur tel ou tel projet en fonction d’une notion très personnelle et très égoïste qui est le plaisir. Quand Jérôme Tonnerre m’a filé ce petit livre – au sens de pas très épais –, Le Voyage dans le passé de Stefan Zweig, je l’ai lu le soir même et le matin je me suis réveillé en disant : « On va faire ce film ». Pour moi c’était comme une évidence et je ne me suis pas posé la question de la place du film dans ma filmographie. Pour Le Magasin des suicides, c’est un producteur qui m’a parlé de ce bouquin, que je connaissais, et m’a proposé d’en faire un film d’animation. J’ai dit oui tout de suite parce que le projet miroitait de quelque chose d’inédit.

Le projet est encore plus intéressant lorsque c’est quelque chose que vous n’avez encore jamais fait… 

P. L. : Inconsciemment, il doit y avoir de ça. Si demain on me propose de faire un film du même caractère qu’Une promesse, je refuserai. De la même manière, après Les Spécialistes j’ai eu cinq propositions de films d’aventures. Je ne fais pas des zigzags pour faire mon intéressant mais pour me surprendre, ce qu’ont du mal à faire les propositions des autres. Lorsque j’ai décidé de tourner Voir la mer, c’est parce que j’avais l’impression de m’être un peu perdu, entre Mon meilleur ami, qui est un film plaisant, mais pas beaucoup plus, ou La Guerre des miss, qui n’est pas un navet mais n’apporte rien de bien neuf. Voir la mer, c’était l’occasion de revenir à un cinéma qui s’apparente au court-métrage. C’est un film léger, fragile, tellement fragile que c’est le plus gros bide de ma carrière. Dogora a été peu vu mais Voir la mer l’a été encore moins.

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Avoir un nom ne suffit pas… 

P. L. : Jamais. C’est une question d’humilité. J’ai toujours su que rien n’était acquis, qu’il fallait être sur ses gardes et s’attendre à chaque instant à faire un succès ou un échec. Lorsque j’ai tourné coup sur coup, avec un mois entre les deux tournages, Ridicule et Les Grands Ducs, je me suis dit que le premier serait un peu confidentiel car élitiste alors que le second aurait un succès formidable… Il faut s’attendre à tout. Lorsqu’on a fait Les Bronzés 3, on s’attendait bien à ce que ça aille, mais pas à ce point-là. Pour Une promesse, j’aime le film, les retours de projection sont bons, l’affiche est magnifique mais je n’ai pas la moindre idée des entrées que nous allons faire. Comme le film a été tourné en anglais, il a déjà été beaucoup vendu à l’étranger mais c’est un film que je présente comme étant « pour les grandes personnes », destiné à un public adulte. Le Discours d’un roi, que j’ai adoré, n’était pas un succès sur le papier mais il a fait des entrées mirobolantes avec un public adulte, car il était réussi. La seule chose qui m’anime est de faire un film qui me plaise à moi. Jour après jour, plan après plan, je me demande : « Ce film me plairait-il si c’était celui d’un autre ? » Ce n’est pas prétentieux ou égoïste, c’est une question de sincérité : il faut que ça me plaise. Je me dis si le film me plaît, avec un peu de chance il va plaire aux autres, on verra bien… Quand tu fais un film pour qu’il te plaise et qu’à l’arrivée ce n’est pas complètement le cas, que tu t’es un peu trompé, ce n’est pas commode de s’endormir.

Le film est centré sur trois personnages et leurs sentiments, mais il y a un arrière-plan très présent, celui du monde industriel, dans le bon sens du terme, avec le savoir-faire, une relation saine entre le patron et les ouvriers. On sent un élan qui est le progrès de l’humanité. 

P. L. : C’est présenté comme ça chez Zweig. Cet élan est surtout montré au travers de celui, personnel, du jeune Friedrich qui, sans être un arriviste, veut réussir. C’est le jeune homme pauvre de Balzac, qui a besoin et envie d’élever sa condition. L’élan industriel et technologique de l’époque est le reflet direct de l’élan vital de cet homme jeune qui, d’un seul coup, va se retrouver confronté à cet autre désir qu’est le sentiment amoureux.

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© Mars Distribution

L’arrière-plan historique est peu montré. 

P. L. : Ce n’est pas par manque de budget. Zweig ne montre jamais la guerre dans son roman. Les deux personnages, Lotte et Friedrich, brûlent d’un amour fou l’un pour l’autre au sein de ce chaos qu’est la Première Guerre mondiale, dont on ne voit rien. C’est une illustration assez forte de cette simple phrase : « Les amoureux sont seuls au monde ». La guerre gronde, mais la seule chose qui compte pour elle c’est : M’a-t-il écrit ? Ma lettre va-t-elle lui parvenir ? La guerre est tout autour mais c’est comme si elle n’existait pas pour eux. Je trouve cela terriblement romantique, l’histoire prend une épaisseur nouvelle quand on s’aperçoit que cette femme est tellement amoureuse qu’elle ne voit plus rien de ce qui se passe autour d’elle… Cela paraît énorme, effarant même, mais pourtant… Dans le roman, lorsque Friedrich part au Mexique, deux histoires sont racontées en parallèle. On voit Lotte chez elle, avec son mari malade, qui attend les lettres, et on voit Friedrich au Mexique, il se marie, il a des enfants… Dans le livre, il disparaît pendant neuf ans, mais cela me semblait énorme, j’ai réduit la séparation à six ans.

À l’époque, on vivait au rythme des lettres, alors qu’aujourd’hui c’est celui des mails. Tout passe plus rapidement.

P. L. : C’est vrai. J’ai regardé cette série qui est une version moderne de Sherlock Holmes. Si Conan Doyle avait eu les téléphones portables et les recherches de laboratoire, il se serait régalé. Le portable a considérablement simplifié la vie des scénaristes.

Comment avez-vous fait sentir au spectateur le passage du temps ? 

P. L. : Je voulais dans un premier temps faire ressentir l’absence de Friedrich en adoptant non plus son point de vue mais celui de Lotte. On sent le manque car on ne le voit plus. On entend sa voix qui lit en off les lettres mais c’est tout, il n’est plus là. Le temps qui passe, ces six ans qui se sont écoulés, on les touche du doigt au moment où les personnages se retrouvent et qu’ils sont comme des étrangers l’un pour l’autre. On se rend compte – même sans changements physiques importants car cela aurait été balourd – que du temps a passé parce qu’ils semblent être devenus des étrangers l’un pour l’autre… Lorsqu’ils se retrouvent, ils prennent le thé en prenant des airs détachés. Je voulais absolument que Lotte ait alors pour seule envie que cet homme la prenne dans ses bras ; c’est difficile, ils sont sur la réserve, mais malgré cela la tentation d’une caresse est forte… Je ne voulais pas me l’interdire. Je voulais qu’il y ait un avenir sentimental pour eux à la fin du film, même si on ne le montre pas. Ce que sera leur vie après le déroulant de fin, je n’en sais rien, mais je voulais que subsiste une lueur d’espoir pour ces deux-là, car sinon ça aurait été trop frustrant. On ne les voit pas sauter de joie ou tomber dans les bras l’un de l’autre, mais s’accomplit comme il fallait un abandon, quelque chose d’épanouissant.

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© Mars Distribution

Le film est rempli d’allusions, de non-dits, de gestes esquissés. Comment fait-on pour être à ce point dans la retenue ? Ça se décide sur le moment ? 

P. L. : Tout est prévu, car je suis incapable de faire confiance à l’improvisation. J’ai toujours pensé que le cinéma était paradoxalement plus fort pour suggérer que pour montrer. La suggestion fonctionne formidablement bien alors que paradoxalement le cinéma est l’art de l’image, donc du montré. Je cadre moi-même mes films, je peux donc saisir ces frémissements, me laisser aller à suivre ce que font les acteurs. Les positions de la caméra ne sont pas prévues en répétition, il faut que la caméra soit l’un des personnages de la scène, comme un homme invisible qui regarderait les personnages.

N’y avait-il pas le risque que toutes ces allusions deviennent trop appuyées et produisent une complicité avec le public ? 

P. L. : J’espère que cette complicité n’est pas dommageable au film. Le double sens des dialogues est assumé, mais ne doit pas devenir comme autant de coups de Stabilo sur le texte. L’équilibre est fragile, c’est un travail de funambule et il s’en faudrait de peu que je rompe le fil et me casse la figure. Il fallait prendre le risque de n’être ni obscur ni balourd mais de rester entre les deux, avec des choses que l’on a déjà comprises, mais que l’on peut appuyer un peu.

Le mari aussi fait des doubles sens… 

P. L. : Dans sa bouche, c’est différent. Il joue à un jeu terrible, comme ces chats qui ont une souris à portée de la patte et qui la titillent pour voir si elle est vraiment morte ou pas. Le mari, qui a presque délibérément organisé ce jeu de séduction, se retrouve victime d’une situation qui le dépasse et c’est pour cela qu’il chamboule tout en envoyant Friedrich au Mexique. Il se rend compte qu’il est allé trop loin, que sa femme est amoureuse, que tout bascule. Ce qu’il dit n’est jamais anodin, il essaie de savoir, de gratter.

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© Mars Distribution

C’est un homme de pouvoir qui apparaît bonasse mais qui est toujours dans le contrôle. 

P. L. : Il est bienveillant mais terrifiant. C’est le patron et il peut t’en retourner une à la moindre seconde. C’est Alan Rickman qui l’incarne, ce n’est pas n’importe qui. Être amoureux de la jeune femme de cet homme-là, c’est dangereux.

Vos films sont toujours dans la suggestion. La relation sensuelle passe au travers du fétichisme capillaire dans Le Mari de la coiffeuse et du lancer de couteaux dans La Fille sur le pont, elle reste à distance. Est-ce parce que vous avez du mal à aller plus loin ? L’idéalisation de l’amour sied parfaitement à Une promesse mais La Rue des plaisirsmanque justement de plaisir, il n’y a pas une goutte de sueur alors qu’on est dans une situation charnelle. 

P. L. : Je revendique cette manière de suggérer pour des films comme Le Mari de la coiffeuse ou La Fille sur le pont, et je reconnais que je me suis trompé sur La Rue des plaisirs, qui est complètement aseptisé par rapport au sexe. C’est un film qui devrait sentir le sperme alors que ce n’est pas du tout ça. On a l’impression que les maisons closes étaient des endroits merveilleux, où les filles sont jolies et les hommes polis. Le film n’a pas réussi à trouver son ton exact, il se prêtait sans doute à un tout autre traitement que je n’ai pas su imaginer. En revanche, quand je fais un film délibérément sensuel et lumineux comme Voir la mer, il ne s’agit pas de suggérer mais de montrer : les personnages s’arrêtent, ils se dénudent, ils s’enfilent, on est au soleil et ça a quelque chose d’épanouissant. C’est difficile d’expliquer aux acteurs qu’ils vont se déshabiller, se caresser. Il y a toujours un embarras mais je ne suis pas un pervers, je demande aux acteurs de faire confiance à la qualité de mon regard. 

PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION ET MIS EN FORME PAR SYLVAIN ANGIBOUST 

Film français de Patrice Leconte.
Scn. : Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre, d’après l’ouvrage de Stefan Zweig, Le Voyage dans le passé. Dir. Ph. : Eduardo Serra. Mont. : Joëlle Hache. Son : Paul Lainé. Déc. : Ivan Maussion. Cos. : Pascaline Chavanne. Mus. : Gabriel Yared. Prod. : Olivier Delbosc et Marc Missonnier. Dist ; Mars Films.
Avec Rebecca Hall, Richard Madden, Alan Rickman, Maggie Steed, Christelle Cornil.
Durée ; 1h38. Sortie France : 16 avril 2014.

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