Publié le 22 février, 2019 | par @avscci
0Peu m’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares de Radu Jude
En 2015 Aferim! avait reçu l’Ours d’argent à Berlin. Radu Jude (né à Bucarest en 1977) y traitait de l’esclavage des Tsiganes dans la Roumanie du XIXe siècle. Son nouveau film, couronné par le jury de Karlovy Vary en juillet dernier, revient sur une autre occultation historique. En 1941, les troupes roumaines occupaient Odessa. Le conducator roumain Ion Antonescu ordonna à son armée le massacre de la totalité des Juifs de la ville. Ses alliés nazis ne lui avaient rien demandé. C’était un criminel indépendant. Mihai Antonescu, homonyme du dictateur et vice-premier ministre, prononça tranquillement devant le gouvernement la phrase titre du film. Le film de Jude imagine qu’une artiste de 2018 monte un spectacle en plein air à Bucarest, reconstituant ce crime. Elle recrute des bourreaux, des victimes, répartit leurs rôles, distribue les armes et les accessoires. Elle affronte ses comédiens amateurs et indisciplinés. Elle affronte des officiels qui préfèreraient qu’on oublie l’Histoire. Subvention des autorités ou pas, autorisation de monter une énorme reconstitution dans les rues de Bucarest ou pas. Le film est long, compliqué, nocturne, passionnant, parfois burlesque, toujours glaçant. Comme le parcours de cette jeune femme refusant d’effacer le visage des martyrs. Ses ennemis sont l’ignorance, la mauvaise volonté, l’imbécillité antisémite, l’hypocrisie, la mesquinerie des pouvoirs et des individus, le marketing des politiques à la mode et la stupidité crasse d’une partie du public. Pour tout artiste ambitieux, s’il faut mobiliser une équipe, s’il faut proclamer une vérité, le problème est toujours le même : « l’intendance ne suit pas ». Radu Jude raconte ce « problème » avec un grand talent.
René Marx
« Îmi este indiferent dacă în istorie vom intra ca barbari ». Film roumain de Radu Jude (2018), avec Ioana Iacob, Alex Bogdan, Alexandre Dabija. 2h20.