Critique La Mule de Clint Eastwood

Publié le 26 janvier, 2019 | par @avscci

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La Mule de Clint Eastwood

Nous avions l’an passé quitté Clint Eastwood sur 15h 17 pour Paris, un ratage sans appel. Nous le retrouvons avec La Mule, qui compte sans aucun doute parmi ses plus beaux films. Comme quoi… Clint Eastwood est entré dans sa 89ème année. Les cinéastes encore en activité de ce côté-là de l’Atlantique avec une filmo aussi nourrie que la sienne se comptent sur les doigts d’une main. Woody Allen, Martin Scorsese, Steven Spielberg… La tentation est grande à chaque nouvel opus de ces maîtres du 7ème Art de se pâmer devant leur longévité, et à l’occasion de louer leur capacité à se renouveler sans jamais perdre leur âme. Concernant Eastwood, l’aîné de ce petit groupe, c’est une évidence. Mais il ne faudrait pas pour autant se passer de souligner les qualités spécifiques de ce film qu’il serait avisé de dire testamentaire si ce n’était au fond pas le cas de nombre des films d’Eastwood au cours des trente dernières années (Un monde parfait date de 1993). La Mule raconte l’histoire d’un vieil homme indigne qui tout au long de sa vie a privilégié son plaisir (les fleurs, il est horticulteur), délaissant sa famille. Mais son petit business doit fermer, notre homme se retrouve sans un rond… Il accepte alors l’offre qui lui est faite de devenir une « mule », autrement dit le convoyeur de belles quantités de cocaïne pour le compte d’un cartel mexicain. A son âge, il n’est pas soupçonnable ! Parallèlement il prend conscience du peu d’intérêt prodigué aux siens jusqu’alors et cherche à faire amende honorable et leur accorder une belle partie de son temps. Ce qui pose quelque problème dans ses relations avec ses nouveaux employeurs. On nous dit que cette histoire est basée sur un fait divers authentique. Au fond peu importe. Nous comprenons d’ailleurs assez bien ce qui a convaincu Eastwood d’en faire un film, basé sur un scénario de Nick Schenk, qui avait également été au générique de Grand Torino. De fait il existe une évidente continuité entre ces deux films. Parce qu’Eastwood est à chaque fois des deux côtés de la caméra, et qu’il incarne peu ou prou le même personnage, un vieux misanthrope touché in fine par la grâce de ceux qui l’entourent. Mais aussi plus profondément parce que les deux films se retrouvent de façon très maligne sur la ligne de crête qui sépare les deux mondes du cinéaste. Pour simplifier, le monde des gros bras, farouchement réacs (dont L’Inspecteur Harry est un peu le mètre-étalon, même si Eastwood n’est pas le réalisateur du premier épisode de la série) et le monde des paumés dont les rêves se fracassent sur la dureté du monde. Honky tonk man, Bronco Billy, Un monde parfait sont les meilleurs représentants de cette ambition-là… Si La Mule ne montre pas vraiment ses muscles (Clint n’en a plus l’âge, même s’il ne dédaigne pas se payer deux escorts à la fois dans la chambre de son motel quand l’argent commence à affluer), le personnage ne se laisse pas faire par les caïds mexicains. En revanche, le cinéaste n’hésite pas à mettre en lumière un exclu (la crise a fini par balayer cette classe moyenne qui n’a pourtant jamais douté du modèle américain) et un sentimental. La Mule est à cet égard sans doute le film le plus émouvant du cinéaste depuis Sur la route de Madison. Qui lui offre en tous cas l’occasion de disserter sur les sales tours que nous réserve la vie et les occasions ratées. Nous nous laissons aller à penser que le vieux cinéaste se confesse en douce. La fille du vieil horticulteur (qui ne se réconcilie avec son indigne géniteur qu’après une longue brouille) est incarnée dans le film par une certaine Allison Eastwood, qui n’est autre que la propre fille du cinéaste. Le cinéma aurait-il été aussi prenant que l’horticulture au cours des dernières décennies ?

Yves Alion

Film américain de Clint Eastwood (2018), avec Clint Eastwood, Dianne Wiest, Bradley Cooper, Laurence Fishburne. 1h56.

Critique en partenariat avec l’ESRA.




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