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Publié le 14 mai, 2014 | par @avscci

Critique – Gravity d’Alfonso Cuarón

Seule face au vide

L’attente fiévreuse autour de Gravity fait prendre conscience de la manière dont Alfonso Cuarón a réussi, en un film, à s’imposer contre toute attente comme un maître de la science-fiction. Ce film est Les Fils de l’homme, sombre histoire d’anticipation, avec Clive Owen et Julianne Moore, sur un avenir dénué d’enfants. Il fut à sa sortir un échec public total et a pourtant fini de faire du nom de Cuarón un des plus brillants dans la galaxie cinéphile. L’impact critique et, plus tard, culte, autour de ce film a définitivement fait basculer la carrière de son auteur et c’est sans doute avec ces éléments en tête que Cuarón s’est attelé à un projet d’une ambition assez conséquente.

PAR PIERRE-SIMON GUTMAN

Gravity est ainsi une œuvre dont la gesta­tion s’est faite sur des années, et dont l’aura s’est développée durant ce temps, avant même la sortie du film. James Cameron et d’autres grands noms du cinéma hollywoodien ont lu le scénario et manifesté leur intérêt (ainsi que leur scepticisme sur les possibilités de mener à bien un projet aussi formellement complexe) il y a déjà un certain temps. La valse des acteurs, le casting à rebondissements qui s’est achevé dans le luxe (Sandra Bullock et George Clooney, actuellement deux des plus grands noms du cinéma US) ont achevé de faire de Gravity un objet de curiosité, surtout par les temps qui courent où la télé, Twitter, et les jeux vidéo, sem­blent avoir le monopole du désir. Le concept du film est, au fond, d’une totale simplicité : un sur­vival en forme de huis clos spatial. Soit une femme qui, après un accident, va se retrouver abandonnée dans l’espace et dans sa combinaison, isolée de tous, hésitante et pas même vraiment décidée à survivre.

On peut légitimement remarquer que le retour en force de ce genre est flagrant ces derniers temps. Rien que cette année, J.C. Chandor (metteur en scène de Margin Call) et Robert Redford en ont livré une autre version avec All is Lost, récit d’un homme bloqué seul sur son bateau en pleine tempête. Que faire pour survivre dans un monde hostile ? Cette question, au cœur du genre, définit peut-être le sentiment d’une Amérique qui, entre 11-Septembre et crise financière, a vu la survie devenir sa principale préoccupation. Mais Gravity est bien entendu, avant toute chose, un film de science-fiction, parfaitement et consciemment inscrit dans la grande tradition du genre et, à ce titre, extrêmement attendu par tous les amateurs éclairés. Il est également, il ne faut pas l’oublier, un important exploit technique.

En filmant le trajet de cette femme cosmonaute perdue dans l’espace, Cuarón a réalisé certains plans séquences d’une complexité technique telle qu’ils ont littéralement bluffé Cameron (pourtant guère à la ramasse en matière de défi technique) qui pensait, à la lecture du scénario, que certaines scènes étaient infilmables. Cette inscription dans une grande tradition est sélective : Gravity n’est en aucun cas un hériter de Métropolis, par exemple. C’est une généalogie différente à laquelle l’œuvre se rattache, qui mêle les représentations de l’espace avec une certaine tendance réflexive. Silent Running, film des années 70 sur un homme qui se débarrasse de ses collègues afin de protéger (et de rester seul avec…) ses précieuses plantes en voie de dis¬parition, est un bon point d’ancrage possible. Mais la référence ultime de la S.F. est bien présente et citée in extenso dans Gravity.

2001  : Odyssée de l’espace s’imprime en toutes lettres dans l’ADN du long métrage, spécialement lors d’un plan où Bullock retourne à l’état de fœtus et semble ainsi citer dans le texte le prestigieux film de Kubrick. Cet hommage direct dépasse de très loin l’anecdotique, puisqu’en faisant référence au célèbre finale kubrickien, Cuarón ancre aussi résolument la mise en scène de son long métrage. Le retour à l’état fœtal est en effet accompagné de nombreuses scènes qui évo¬quent, plus ou moins directement, les images de la naissance et de la grossesse : cordon ombilical qui relie Bullock à son vaisseau subitement tranché, ou éveil du personnage au monde et au soleil lors d’un final triomphal. Tous ces éléments renvoient au thème central et évident (parce que clairement porté par la réalisation) du film : le retour aux origines afin de permettre la renaissance d’un être qui, dans les faits et le comportement, était déjà mort. Les ficelles mélodramatiques (le mot n’est pas exagéré) du film sont classiques, au sens noble du terme.

GRAVITY
© Warner Bros Entertainment

L’héroïne du film a perdu goût à la vie depuis la mort de son enfant, et le récit capte la manière dont, confrontée à la question de sa mort physique et au combat qu’elle doit mener pour l’éviter, celle-ci se doit d’affronter, ou de tirer au clair son propre désir de vie. Cuarón, comme tous les vrais bons cinéastes, ne s’embarrasse pas de subtilités pour filme directement, frontalement ce sujet lorsque le retour final à la vie du personnage principal s’avère être une redécouverte physique de la planète Terre (ses plantes, son sol, son air, son soleil), ainsi que de l’existence en elle-même, du plaisir de la couleur, de l’odeur et de la vision des choses. Sandra Bullock se lève, filmée en contre-plongée, et fait ce retour dans le monde à multiples niveaux, un triomphe qui la transforme l’espace d’un instant en géant. Ce faisant, Cuaron montre à quel point le choix de la science-fiction était brillant pour traiter son sujet. En effet, quel endroit peut-il mieux traduire le vide, de la dépression, de la tristesse et de la solitude, que l’espace ?

Le réalisateur réussit ainsi avec Gravity une sorte d’exploit. Il fait ce que ni Lucas et à peine Kubrick avaient réussi : filmer le vide sidéral pour ce qu’il est précisément, pour ce vide infini où rien n’est, n’existe, si ce n’est la solitude. Il n’y a pas de monstre et d’horreur où l’on ne peut crier dans Gravity (pour citer le fameux poster d’Alien), il n’y a ni bataille spatiale ni explosion en trompe-l’oeil. Il n’y a que l’infini et surtout, voire nécessairement, soi-même, dans un face à face auquel on ne peut bien entendu pas échapper. Le 7ème Art, qui peut souvent être celui de l’espace (dans tous les sens du terme, évidemment gagne beaucoup dans cet affrontement particulièrement cynégétique. 

PIERRE-SIMON GUTMAN

Gravity. Film américain de Alfonso Cuarón (2013)
Scn. : Alfonso Cuarón, Jonas Cuarón, Rodrigo Garcia. Dir. Ph.: Emmanuel Lubezki. Déc. : Mark Scruton. Mont. : Alfonso Cuaron, Mark Sanger. Mus.: Alexandre Desplat.
Dist : Warner Bros. Durée : 1h 30. 
Int. : Sandra Bullock (Ryan Stone), George Clooney (Matt Kowalsky), Ed Harris (Mission Control), Basher Savage (Capitaine station spatiale) Eric Michel (NASA), Amy Warren (capitaine exploration).
Sortie France: 23 octobre 2013.

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