Critiques DVD Des lendemains qui chantent de Nicolas Castro

Publié le 16 juillet, 2020 | par @avscci

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Critique DVD – Des lendemains qui chantent de Nicolas Castro

Après Marthe, de Jean-Loup Hubert, et La Môme singe, de Xiao-Yen Wang, dont nous avons parlé le mois dernier, L’Avant-Scène Cinéma ajoute un nouveau titre à son catalogue vidéo, Des lendemains qui chantent. Soit une comédie décapante sur les années où la Gauche était au pouvoir, et sur l’érosion des espoirs de ceux qui l’y avaient porté. Mais le film est tout sauf ricanant, il est même généreux, qui parle de nos engagements et du temps qui passe, autrement dit de la vie… Entre Le Nom des gens, de Michel Leclerc, qui a traité (entre autres) en son temps du traumatisme de l’élimination de Lionel Jospin de la course à l’Élysée un certain 21 avril 2002 (qui est aussi le point de départ… et le point d’arrivée du film de Nicolas Castro) et États d’âme, de Jacques Fansten, qui tirait dès 1985 un premier bilan chaleureux mais mélancolique de la Mitterrandie…

En guise d’apéritif, une analyse à chaud de Jean-Philippe Guerand et un entretien avec Serge Moati…

YVES ALION

La grande désillusion

Bizarrement, le séisme politique provoqué le 10 mai 1981 par l’élection du premier président socialiste de la Cinquième République n’a que peu inspiré le cinéma. Sinon Jacques Fansten dans son film États d’âme (1986) et Stéphane Brisset dans son court métrage Le Grand Soir (2002). Des lendemains qui chantent (2014) dresse la chronique de cette révolution à travers l’amitié de quelques copains qui vont passer de l’exaltation à la désillusion en une vingtaine d’années. Il s’agit là d’un exercice auquel le cinéma français nous a peu habitués, sinon en se focalisant autour de Mai 68. C’est du côté de la comédie italienne qu’il faut aller pour trouver les références les plus justes et décrypter en connaissance de cause cette chronique chaleureuse qui dépeint une époque à travers ses protagonistes, comme s’y était déjà employé le réalisateur dans son court métrage Je n’ai pas changé (2012), lequel constituait en quelque sorte l’esquisse du long et se trouve ici parmi les bonus du dvd. Nicolas Castro (qui n’avait que 7 ans en mai 1981 !) nourrit en cela un cousinage étroit avec un autre cinéaste français, Michel Leclerc (son aîné de sept ans). Ce n’est pas un hasard si le ton de Des lendemains qui chantent évoque parfois celui du Nom des gens (2010). Il en émerge le regard commun de deux observateurs engagés qui savent scruter leur époque droit dans les yeux et admettre qu’ils ont pu se tromper… ou plutôt qu’on a sans doute abusé de leur confiance. On retrouve dans cette amertume largement trempée de tendresse tout ce qui faisait le charme de Nous nous sommes tant aimés (1974), d’Ettore Scola ou Mes chers amis (1975), de Mario Monicelli. La nostalgie n’y est plus dès lors que le cache-misère d’une grande désillusion dont Castro dresse le bilan sans complaisance.

Nicolas Castro a choisi d’évoquer la fin des utopies, précipitée à mi-parcours par la chute du Rideau de Fer, sur le mode de la comédie chorale. Il réunit pour cela une formidable bande de comédiens, à l’instar de ces deux comiques a priori aux antipodes l’un de l’autre que sont le burlesque Ramzy Bedia et le cérébral Gaspard Proust, ce dernier ayant ici pour frère Pio Marmaï. Mais la réalité s’est chargée peu à peu de creuser un abîme entre le journaliste idéaliste et le militant trotskiste transfiguré en communicant aux dents longues dont les différences sont devenues des différends. Au grand dam de leur syndicaliste de père que campe avec son autorité coutumière André Dussollier dans un contre-emploi radical. Un militant de base élevé dans le sacro-saint contexte de la lutte des classes qui a passé l’essentiel de son existence à attendre ce Grand Soir auquel il ne croyait plus vraiment. Les paradoxes de la Mitterrandie et du parti socialiste transparaissent également à travers celle qui hésite entre les deux frères : Laetitia Casta dans le rôle d’une conseillère présidentielle sortie de l’ENA, dont le discours est modelé autant par son éducation politique que par le pragmatisme du publicitaire Jacques Séguéla.

Des lendemains qui chantent est une délicieuse mise en perspective de l’utopie confrontée au réel dans laquelle la réussite à tout prix (celle du copain d’enfance qui grimpe quatre à quatre l’échelle sociale en faisant fortune dans le petit monde cynique du minitel rose) s’avère déontologiquement incompatible avec le respect scrupuleux d’une certaine doctrine idéologique. Au-delà de son contexte historique, le film de Nicolas Castro aborde une problématique universelle qui est celle du vieillissement et de la confrontation des idées les plus généreuses à un pragmatisme nettement moins reluisant. C’est le système qui annihile l’idéalisme et se charge de faire rentrer dans le rang les enfants perdus de la révolution, avec cette idée corrélative selon laquelle c’est la vie parisienne qui pervertit la pureté des petits provinciaux atteints du syndrome balzacien de Rastignac. Un théorème universel que Castro traite ici avec suffisamment de tact et de délicatesse, mais aussi de recul (ce qui n’était pas le cas de Fansten, par exemple), pour ne jamais succomber à la nostalgie vintage ou à la reconstitution appliquée. Belle idée, en outre, que d’avoir demandé à la chanteuse anticonformiste Jeanne Cherhal d’en composer la bande originale, sa seule incursion dans ce domaine à ce jour. Elle n’y cède jamais ni au pastiche ni à la citation.

De l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand au retrait définitif de la politique annoncé par Lionel Jospin après son échec au premier tour des élections présidentielles de 2002, Nicolas Castro fracasse les rêves de jeunesse de ses protagonistes contre leur soif de réussir et l’embourgeoisement qui aura raison de leur générosité et de leur altruisme. Une entreprise de destruction massive qui affleurait déjà de son court métrage Brigitte et moi (2007) et de son essai Je hais les années 80 (2010). C’est par la pratique du documentaire et une connaissance particulièrement pointue du cinéma d’exploitation (auquel il a consacré plusieurs sujets pour le petit écran) que cet amateur d’images d’archive en est arrivé à la fiction. Des lendemains qui chantent reflète cette passion en illustrant son propos de documents d’actualité qui ancrent encore plus solidement le film dans son époque à travers certaines de ses icônes, de Bernard Tapie à Jean-Marie Le Pen, Jack Lang et BHL. Avec ce morceau de bravoure jubilatoire que constitue la fausse interview de François Mitterrand par Pio Marmaï à propos des écoutes de l’Élysée. Yves Alion présente avec son enthousiasme coutumier ce film souvent surprenant qui gagne à être connu et s’entretient avec son réalisateur de ses multiples enjeux. Ils sont plus que jamais d’actualité à un moment crucial de notre histoire où les partis traditionnels cherchent à se reconstruire en renouant avec leurs valeurs fondatrices. En espérant… des lendemains qui chantent !

JEAN-PHILIPPE GUERAND

 




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