Critique

Publié le 20 octobre, 2022 | par @avscci

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Butterfly vision de Maksym Nakoneshyi

Le point de vue du papillon évoqué par le titre est celui de Lilia, qui combat pour l’Ukraine dans la guerre de 2014. Spécialiste des drones et donc d’une variation sur les images, cousine du cinéma. En captivité dans le Donbass, elle est libérée lors d’un échange de prisonniers. Le film raconte le retour chez elle de celle qui est d’abord célébrée comme une héroïne. Une combattante ukrainienne avait raconté en 2018 au réalisateur, pendant la préparation d’un documentaire, qu’elle avait demandé à ses camarades de la tuer au cas où elle serait sur le point d’être capturée par les séparatistes. La beauté du film est le traitement narratif d’une évidence : Lilia a subi le viol et la torture et elle refuse, malgré d’insupportables souvenirs, malgré de cruels cauchemars, d’être seulement une victime. Le spectateur partage sa douleur et sa fermeté d’âme, mais le réalisateur gomme tout ce qui pourrait être un spectacle inutile. Tout est clair, et rien n’est obscène. « Obscène », dit le dictionnaire de l’Académie : « Emprunté du latin obscenus, proprement « de mauvais augure, sinistre », puis compris comme « qui ne doit pas être montré sur scène » ». La beauté du travail de Nakoneshyi réside dans sa pratique de la litote, passant par le jumpcut, les images manquantes (comme disait Rithy Panh). Les retrouvailles difficiles avec son mari, sa mère, ses camarades de combat, le drame d’une grossesse consécutive aux sévices subis : le film est radical, pudique, inventif formellement. Et sans esprit de propagande : la société ukrainienne est montrée dans ses contradictions, les véritables héros patriotes et les voyous d’extrême-droite sont présents sur l’écran, avec un sens de la nuance qui rejoint l’humanité profonde de ce premier long métrage.

René Marx

Bachennya Metelyka. Film ukrainien de Maksym Nakoneshyi (2022), avec Rita Burkovska, Liubomyr Valivots, Myroslava Vytrykhovska-Makar. 1h47.




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