Critique Beau travail de Claire Denis

Publié le 13 juin, 2022 | par @avscci

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Beau travail de Claire Denis

En 1999, Claire Denis, sur la trame du roman posthume d’Herman Melville, Billy Budd, marin, revient en Afrique tourner Beau travail. C’est, en un peu plus de trente ans de carrière, son film le plus admiré par la cinéphilie internationale, probablement parce que son caractère quasi abstrait le rend immédiatement accessible à un public universel. À Djibouti, dans un camp de la Légion étrangère, où règne l’ordre et la règle, un jeune homme trop beau amène involontairement avec lui le désordre et le dérèglement. C’est un film fait par des femmes qui filment des hommes. Claire Denis est effectivement entourée d’Agnès Godard pour l’image et de Nelly Quettier (monteuse aussi de Leos Carax) pour le montage. L’érotisation des corps de ces hommes jeunes, athlétiques, chorégraphiée par le danseur Bernardo Montet, et accompagnée par la musique de l’opéra Billy Budd de Benjamin Britten, est l’érotisation qui mène le narrateur du film à la catastrophe. Ce narrateur, un adjudant joué par Denis Lavant, sent que la jeune recrue pourrait s’insinuer entre lui et son chef bien-aimé. Ce chef s’appelle Bruno Forestier, comme, quarante ans plus tôt, le déserteur du Petit soldat de Jean-Luc Godard. Claire Denis demande ainsi à Michel Subor, l’interprète de Forestier dans les deux films, de nous dire ce qu’est devenu le héros du deuxième film de Godard. Beau travail est un film de guerre sans guerre où l’absence de combat réel est compensée par l’acharnement incessant de l’entraînement physique des légionnaires, par leurs affrontements mimés, dansés. Affrontements brutaux, rarement violents. Chez Melville comme chez Britten, l’homosexualité ne se cache pas vraiment : plus ou moins nus sous le soleil d’Afrique, draguant parfois, paresseusement, les filles de la Mer Rouge, les légionnaires poursuivent un rêve de perfection sans signification (« sans idéal » remarque l’officier Forestier). La vanité de leurs efforts d’enfants perdus ne peut aboutir qu’au gâchis et à l’amertume, comme dans un roman d’Herman Melville (ou de Joseph Conrad). Le jeune homme trop beau avoue qu’il a été trouvé, bébé, dans une cage d’escalier. « Merde alors, belle trouvaille ! » répond Forestier. Plus tard le dernier mot qu’on entendra du jeune homme, chuchoté, c’est « Perdu… ». Et à Marseille, où Claire Denis avait filmé Nénette et Boni quatre ans avant, avec déjà Grégoire Colin, le petit adjudant amoureux et jaloux finira par venir s’ennuyer.

Film français de Claire Denis (1999), avec Grégoire Colin, Denis Lavant, Michel Subor. 1h32.




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