Critique

Publié le 31 janvier, 2023 | par @avscci

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Ashkal de Youssef Chebi

Polar hypnotique à la mise en scène superbement travaillée, Ashkal nous plonge dans l’atmosphère épaisse de la Tunisie contemporaine. Alors que le pays se débat avec son passé à l’occasion de la commission Vérité et Réconciliation, qui revient sur les exactions commises sous la dictature de Ben Ali, deux inspecteurs de police sont confrontés à une succession d’étranges immolations par le feu, décrites par les témoins comme des formes de combustion spontanée. Vague de suicides surnaturels ou meurtres brillamment déguisés ? Dans le secteur particulier des Jardins de Carthage, quartier de Tunis créé de toutes pièces par l’ancien régime, mais dont la construction a été brutalement interrompue par la révolution, l’enquête prend un tour de plus en plus flottant. Cela tient autant au lieu lui-même, de vastes immeubles à demi achevés, désertés de toute présence humaine, qu’à une intrigue en pointillés, qui semble vouloir à tout prix préserver son mystère. Car ce n’est pas la résolution de l’affaire qui intéresse véritablement le réalisateur, mais bien plus l’idée de construire ainsi, par petites touches, le portrait d’un pays en proie à des névroses et des blessures difficiles à guérir. Tous les motifs contemporains qui hantent l’imaginaire collectif tunisien sont ainsi convoqués : immolation par le feu, révolution, religion, fantômes de la dictature. Et même si on a le sentiment que Youssef Chebi s’attache parfois à brouiller inutilement les pistes, avec un récit trop ostensiblement opaque, Ashkal est un premier long métrage impressionnant, d’une grande puissance politique, et d’une maîtrise formelle enthousiasmante.

Marie-Pauline Mollaret

Film tunisien de Youssef Chebi (2022), avec Fatma Oussaifi, Mohamed Houcine Grayaa, Rami Harrabi, Hichem Riahi. 1h31




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