Critique

Publié le 15 janvier, 2024 | par @avscci

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Animal de Sofia Exarchou

Kalia se prépare pour une nouvelle saison dans l’hôtel “all inclusive” d’une île touristique grecque où elle dirige la troupe des animateurs chargés de proposer spectacles et activités aux clients de passage. Entre entraînement sur la plage, cours de danse pour retraités apathiques et bingo morose, le personnage met un temps à se dévoiler, et encore ne se livre-t-elle que par bribes, plus souvent à travers des gestes que par des confidences. Ce plan, au début du film, lorsqu’elle retire les extensions qui lui confèrent une chevelure impressionnante, dit ainsi à la fois sa superbe (elle est sans contestation possible la reine des soirées de l’hôtel) et son ambivalence : la fatigue, l’usure, et ce sentiment que sa vie se déroule en dehors d’elle, comme en songe, de soirées qui n’en finissent plus en nuits trop arrosées. Car le rêve qu’elle vend aux touristes, comme tout ce qui relève du mirage capitaliste, se nourrit de sa propre chair. Sofia Exarchou n’a pas besoin d’inventer des péripéties convenues pour dérouler le fil de son récit : il lui suffit de rester focalisée sur son héroïne, qu’elle observe d’abord dans son interaction avec les autres membres de la troupe, notamment l’autre personnage féminin principal qui est comme un double plus jeune d’elle-même (la relève ? Ou celle qui saura s’échapper ?), puis dans la lente dérive qui l’oblige à s’émanciper du groupe, et aspirer fugacement à une autre vie. Le regard que la réalisatrice grecque porte sur elle n’est jamais cynique ou moqueur, mais au contraire d’une empathie délicate. On perçoit, dans la manière dont elle est filmée et parfois sublimée, la sincérité absolue qui la fait remonter sur scène soir après soir, malgré le vernis qui craque de toutes parts. Le film brosse ainsi le portrait assez déchirant d’une femme hantée par le désir de briller, quelle que soit la lumière des projecteurs, et dont la fragilité assumée s’avère bouleversante, à la fois par la manière dont elle nous montre l’envers d’un décor qui peut nous être familier, et par le miroir grossissant qu’elle semble nous tendre. .

Marie-Pauline Mollaret

Film grec de Sofia Exarchou (2023), avec Dimitra Vlagopoulou, Flomaria Papadaki, Ahilleas Hariskos, Voodoo Jürgens, Chronis Barbarian, Ilias Chatzigeorgiou. 1h56.




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