Publié le 6 septembre, 2018 | par @avscci
0Actu dvd septembre 2018 – Cinq films français récents dont Luna d’Elsa Diringer
Cinq films français récents
Il y a huit ans que Laurent Tirard souhaitait réaliser Le Retour du héros, mais c’est sa rencontre avec Jean Dujardin sur le tournage d’Un homme à la hauteur (2016) qui lui a permis de passer à l’acte, avec en mémoire les comédies d’époque épiques de Philippe de Broca, Jean-Paul Rappeneau ou Bernard Borderie. En convoquant ce cinéma aujourd’hui porté disparu, les deux complices ont assumé leurs références sans jamais bouder leur plaisir, quitte à saupoudrer parfois le dialogue de quelques anachronismes langagiers. Mais après tout, Michel Audiard leur avait ouvert la voie sans vergogne. Cette comédie romantique à costumes brille en outre par la qualité de son interprétation, Mélanie Laurent se régalant de son rôle, au même titre que le jeune couple formé par Noémie Merlant (nommée au César du Meilleur espoir féminin pour Le ciel attendra) et Christophe Montenez, un jeune transfuge prometteur de la Comédie-Française. Le style Empire sied par ailleurs à tout ce joli monde, comme en attestent le making of et quelques scènes coupées.
Les autres films de la sélection sont sans doute moins glamour, ils n’en possèdent pas moins de belles qualités. À commencer par le petit dernier de Cédric Kahn, qui décidemment ne se lasse pas de nous raconter des destins singuliers. Après Vie sauvage, qui nous attachait aux pas d’un homme ayant pris le maquis pour ne pas devoir rendre ses fils à son ex-compagne après leur divorce, La Prière s’intéresse aux efforts d’un ex-toxico pour se sortir de son addiction. Comme le titre le laisse supposer, c’est en effet dans le cadre d’une communauté religieuse qu’il cherche à rompre avec ses démons. Le premier atout du film, c’est la prestation d’Anthony Bajon, qui jamais ne semble jouer pour incarner cette force butée que l’on devine pleine de fissures. Nous ne sommes pas loin de celle de Rod Paradot dans La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot. Le comédien n’est pas très connu (il le deviendra), et cela faisait partie du projet. Le réalisateur tenait visiblement à ce que le relatif anonymat des comédiens apporte un surplus de réalisme (le film prend parfois des teintes documentaires). Une exception : c’est à Hannah Schygulla, incarnation de tout un pan du cinéma allemand que le rôle de Sœur Myriam a été confié, ajoutant sans doute au caractère fantasmé du personnage. Mais au-delà de l’itinéraire cabossé de son personnage central, de ses relations aux autres et de sa capacité de résilience, le film pose évidemment quelques questions sur la foi. Cédric Kahn, qui se veut agnostique (et qui n’a jamais non plus été toxico) a manifestement été fasciné par la tranquille assurance de ceux qui croient. Et quelles que soient les rebuffades de ses personnages, il donne manifestement quitus à ceux qui expliquent le monde par l’inexplicable.
Place publique est sans doute moins généreux, évidemment plus grinçant. Mais c’est un peu l’image du couple Jaoui / Bacri, qui n’a jamais détourné le regard quand il s’agissait de mettre l’accent sur toutes nos petitesses. La force du film est de ne rien lâcher de sa férocité sans pour autant être le moins du monde méprisant. Situé dans le cadre d’une fête campagnarde entre amis, Agnès Jaoui brocarde un monde qu’elle connaît sans doute bien, celui du showbiz. Mais c’est un filtre comme un autre pour parler du temps qui passe, des rêves qui peu à peu s’évanouissent, des relations entre les êtres qui peinent à rester authentiques, etc. Filmé en un lieu unique, Place publique peut sembler moins ambitieux que les quatre premiers longs métrages d’Agnès Jaoui. Mais c’est aussi sa claustrophobie qui lui donne un lustre incomparable.
Luna est une fille libre qui entend rester maîtresse de sa destinée sentimentale. Alors, le jour où elle se retrouve impliquée malgré elle dans l’humiliation gratuite d’un garçon sans défense, elle prend la décision de rompre avec son petit ami. Le hasard va toutefois la remettre en présence de sa « victime »… Comme Ava de Léa Mysius, sorti l’an dernier, Luna s’impose comme un joli portrait d’adolescente, indissociable de la personnalité de sa réalisatrice, Elsa Diringer, et de l’interprète du rôle-titre, Laëtitia Clément. Si la notion de cinéma féminin a un sens, c’est à travers des chroniques comme celles-là qu’il s’incarne. Dix ans et pas moins de sept courts métrages ont permis à cette réalisatrice de fourbir ses armes. Deux de ces courts métrages sont ici fournis en bonus, qui nous éclairent sur le cinéma de la réalisatrice, qui de fait n’a jamais eu de cesse de donner la parole à des gens de peu en situation de crise. Son premier long témoigne en tout cas de l’originalité du regard qu’elle porte sur des protagonistes qui ne ressemblent pas aux archétypes habituels du genre : en l’occurrence, une jeune femme déterminée et un garçon fragile, campé par l’excellent Rod Paradot césarisé pour sa composition dans La Tête haute d’Emmanuelle Bercot. Luna est un film solaire qui dépeint une jeunesse provinciale à laquelle ne s’intéresse que trop peu notre cinéma, sujet à un incorrigible tropisme parisien. Une tranche de vie touchante et généreuse qui rend ses lettres de noblesse à la pureté du cœur et s’inscrit par sa volonté de sortir des sentiers battus dans la tradition de Jacques Rozier et Jean Eustache.
Last but not least, Carnivores, soit le premier long réalisé par Jérémie Renier, qu’il a pour la circonstance cosigné avec son frère Yannick. Le film est-il (en partie) autobiographique, qui raconte la relation compliquée entre deux sœurs dont l’une est une comédienne reconnue, l’autre ruminant sa frustration ? Mais le film n’offre pas de pistes faciles, qui navigue entre le drame et le thriller, restant le plus souvent imprévisible, voire opaque. Si Carnivores ne caresse pas nécessairement le spectateur dans le sens du poil, il n’en possède pas moins une ambition peu commune. Il est vrai que Jérémie Renier a trop longtemps fréquenté les frères Dardenne (qui par ailleurs produisent le film) pour se contenter d’un film vaguement dans l’air du temps. Carnivores est à l’inverse un film qui restera, soyons-en certains. n Yves Alion et Jean-Philippe Guerand
Le Retour du héros Studiocanal
La Prière Le Pacte
Place publique Le Pacte
Luna Potemkine
Carnivores AB Vidéo