Publié le 23 mars, 2017 | par @avscci
0Actu dvd – Sept films italiens vintage
Bach films continue son beau travail d’édition avec la collection « Les grands classiques du cinéma italien ». Avec pour chaque film un long commentaire de Jean Gili, éclairant les conditions de production, les circonstances politico-historiques et les personnalités en présence, souvent peu connues des Français. Une nouvelle livraison donc, avec sept films.
En 1937, Alessandro Blasetti, cinéaste important par ailleurs, réalise une comédie anodine, La Contessa di Parma. Le film vaut surtout comme modèle exact de la période dite des téléphones blancs. L’idéal du cinéma fasciste italien n’est pas le film de propagande mais bien la bluette où tout conflit est gommé, où l’on offre à un peuple encore dans le sous-développement un spectacle artificiel de jolies robes, de belles voitures, de grands hôtels où il ne se passe au fond rien du tout. Un cinéma d’endormissement, une manipulation idéologique quasi parfaite. Un document historique en tout cas, comme le Lucrèce Borgia de Hans Hinrich, réalisateur juif allemand qui fit une carrière de réalisateur et de producteur en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Le plus grand acteur italien de tous les temps est évidemment Totò, génie napolitain encore méconnu en France, cinquante ans après sa mort. Son quatrième film, Le Joyeux Fantôme (1941) fait partie des réalisations un peu incohérentes d’Amleto Palermi, au milieu desquelles, malgré tout, le comédien continue à affirmer son extraordinaire personnalité. Quant à La Tosca sorti aussi en 1941, c’est un film célèbre : les cinéphiles savent que Jean Renoir en a tourné les premières scènes dans les studios Scalera de Rome avant de rentrer précipitamment à Paris en juin 1940 en raison de l’entrée en guerre de l’Italie. Mais si les cinéphiles connaissent l’anecdote, peu d’entre eux ont vu le film. Renoir en laissa la réalisation à son assistant et ami, l’Allemand Carl Koch, qui le termina avec l’aide de son épouse Lotte Reiniger et de Luchino Visconti, qui avait débuté en France avec Renoir. Comme l’explique Jean Gili dans son introduction, Michel Simon, citoyen suisse, n’eut pas de difficulté à rester en Italie et garda le rôle de l’affreux policier Scarpia. Le film est troublant, la scène de torture, la représentation de l’héroïsme des Jacobins et de la perversité de la police politique, laissent songeur quand on sait qu’il a été réalisé dans un pays qui vivait depuis vingt ans sous une dictature implacable. Si la bande sonore conserve quelques airs célèbres de Puccini, il ne s’agit pas d’un opéra filmé, mais d’un récit assez raide et compassé, agrémenté de décors réels : le Château Saint-Ange, les thermes de Caracalla, le Palais Farnese. Osvaldo Scaccia écrivait en 1941 que Michel-Ange et Le Bernin sont plus à remercier que les autres artisans du film, C’est cruel, mais hormis un thème attachant et une mise en scène de calligraphe, les comédiens restent en retrait et on s’ennuie un peu. Une curiosité utile pour les Renoiriens avides de tout savoir sur leur grand homme.
On pourra comparer avec une autre rareté : Un Garibaldi au couvent, quatrième film d’un Vittorio De Sica à la veille de sa métamorphose en génie du cinéma. Le film est assez poussif, décousu et empreint de tous les clichés des films de « jeunes filles au collège ». Dans cette confusion, quelques pépites cependant. La beauté de Maria Mercader, que De Sica épousera, devenant par la même occasion le beau-frère de l’assassin de Trotsky et le charme furtif de De Sica lui-même, interprétant un rôle minuscule (celui du légendaire Nino Bixio). Mais surtout la suggestion forte d’un récit où d’héroïques conjurés combattent l’ordre établi à un contre cent et triomphent au nom de la liberté. Comme pour Tosca, qu’y voyaient donc les spectateurs de l’Italie fasciste de 1942 ? 1942, c’est aussi l’année de sortie de La Mégère apprivoisée de Ferdinando Maria Poggioli, adaptation timide et sans relief de Shakespeare, dont le nom est oublié au générique pour de vilaines raisons de circonstances. La guerre contre l’Angleterre c’est aussi la guerre contre le grand Will. Jean Gili nous explique que le projet avait tenté Jean Renoir. Poggioli se contente de reprendre le couple formé par le bel Amedeo Nazzari et la très grimaçante Lilia Silvi pour un résultat bien frustrant. Le premier titre de Rome ville libre, de Marcello Pagliero (1946), était La nuit porte conseil. Mais le succès du film de Rossellini décida de cette nouvelle appellation relativement incongrue. Pagliero, qui jouait l’ingénieur communiste de Rome ville ouverte, réalise là un récit nocturne, l’errance d’un voleur débonnaire, d’un jeune homme suicidaire et d’une dactylo qui glisse vers la prostitution. Une forme très inattendue, des plans longs d’une grande beauté, des souvenirs évidents du réalisme poétique français et surtout la patte d’Ennio Flaiano, qui sera quinze ans plus tard le scénariste de La Dolce Vita, une autre errance romaine profondément mélancolique, que Rome ville libre éclaire par anticipation. Les personnages croisés dans l’aventure sont nombreux, de belles silhouettes toujours précises et poétiques, que domine, encore lui, un Vittorio De Sica amnésique. La scène où il improvise au piano une chanson folle tandis que le récit s’accélère autour de lui est magistrale. Musique de Nino Rota, sujet de Flaiano, un film où on suppose que Fellini est caché dans un trou de souris, préparant un avenir merveilleux.
René Marx
La Contessa di Parma / Lucrèce Borgia / Le Joyeux Fantôme / La Tosca / Un Garibaldi au couvent / La Mégère apprivoisée / Rome ville libre
Bach Films