Critiques DVD Le château de l'araignée d'Akira Kurosawa

Publié le 28 août, 2017 | par @avscci

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Actu dvd – Sept films d’Akira Kurosawa

Depuis quelques mois, Wild Side a entrepris par étapes de constituer une collection de 17 films du maître japonais, pour la première fois en France en versions HD, l’édition étant proposée à la fois en Blu-ray et DVD, parallèlement à une sortie en salle. Inutile de préciser qu’il serait vain de vouloir rendre compte de façon satisfaisante d’un tel monument en quelques lignes dans le cadre de cette rubrique. Tant il est évident que Kurosawa est l’un des très grands de l’Histoire du cinéma et que ces films, qui s’étalent de 1943 à 1970, constituent une part importante de son œuvre. Au mitan de l’année 2017, c’est la queue de la comète qu’il nous est donc donné de chroniquer. Ce qui fait que nous ne reviendrons pas sur Le Plus Dignement, Qui marche sur la queue du tigre…, Je ne regrette rien de ma jeunesse, Un merveilleux dimanche, L’Ange ivre, Chien enragé, Vivre, Vivre dans la peur, Barberousse et Dodes’kaden, certains ayant été présentés dans nos numéros précédents. À noter que deux des films les plus emblématiques du cinéaste, Rashomon et Les Sept Samouraïs, sont absents de la liste, les films étant facilement trouvables dans d’autres éditions. La période délimitée ne permettant pas par ailleurs de revenir sur les derniers chefs-d’œuvre de Kurosawa, tels que Dersou Ouzala, Kagemusha, Ran ou Rhapsodie en août. 

Les sept films dont il est ici question sont tous de grands films, de très grands films même. Qu’il nous soit néanmoins permis d’avouer quelque réticence à l’égard des Bas-fonds, adapté vingt et un ans après Renoir du roman (russe) de Maxime Gorki. Ce n’est pas la façon un peu systématique de constituer un éventail représentatif de la société japonaise (malade) ni la noirceur d’anthologie qui baigne le film d’un bout à l’autre qui nous gênent, mais bel et bien le parti pris esthétique du cinéaste. Situé dans un bas quartier de Tokyo dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, théâtralisé à l’extrême, le film est engoncé dans un décor unique qui se révèle asphyxiant (ce qui sert son propos), mais offre en parallèle aux comédiens d’en faire beaucoup (nous sommes dans la représentation), ce qui dessert sans aucun doute l’empathie que nous pourrions nourrir à leur égard. Reste que les amateurs du théâtre no seront sans aucun doute ravis de l’extrême stylisation de ce film…

Les bas-fonds d'Akira Kurosawa
Les bas-fonds d’Akira Kurosawa

Le Château de l’araignée nous offre également une vision très théâtralisée du monde. Ce qui n’est qu’à demi surprenant puisqu’il s’agit d’une adaptation (libre) du Macbeth de Shakespeare. Kurosawa confirmant une nouvelle fois son intérêt pour les cultures européennes. C’est sans doute de ce point de vue le plus ouvert des cinéastes de sa génération, Mizoguchi ou Ozu s’étant employés quant à eux à ne jamais sortir (magnifiquement) de leur pré carré. Mais tout en respectant à la lettre la trame du drame shakespearien, le cinéaste a ancré son film dans le Japon du XVIème siècle, au temps des guerres civiles. Le film annonce de ce point de vue deux œuvres (en couleur) de la dernière partie de sa carrière, Ran et Kagemusha. Le Château de l’araignée est moins ample, plus stylisé que ces œuvres tardives, mais il n’en offre pas moins des images incroyables, dont chacune pourrait être un tableau de maître, baignant dans un onirisme capiteux (on n’est pas loin de l’adaptation faite par Orson Welles de la pièce). Leur singulière prégnance compense (et au-delà) la raideur théâtrale que le cinéaste assume mais qui date sans doute le film.

La Forteresse cachée se situe dans un contexte et une période équivalents. Mais le film diffère du tout au tout du Château de l’araignée. Nous ne sommes plus au théâtre, aussi magnifié soit-il, mais bien au cinéma, un cinéma d’envergure, lyrique (Kurosawa expérimente le scope) dont l’ambition est de tenir le spectateur en haleine tant la multiplication des personnages et les rebondissements d’une odyssée qui passe sans coup férir du drame au burlesque lui en donne pour son argent. Il faut dire que Les Bas-fonds et Le Château de l’araignée n’avaient pas galvanisé les foules et que la Toho, maison de production historique des films de Kurosawa, avait poussé le cinéaste à revenir à ce qui avait fait sa gloire en renouant avec le picaresque très westernien des Sept Samouraïs. On a souligné plus d’une fois l’influence que les films de Kurosawa ont pu avoir sur  Sergio Leone ou Quentin Tarantino. Mais n’oublions pas que le western classique (celui de John Sturges par exemple, signataire des Sept Mercenaires, ne s’est pas privé non plus d’en tirer quelques enseignements).

Yojimbo d'Akira Kuorosawa
Toshiro Mifune dans Yojimbo d’Akira Kurosawa

De tous les films de Kurosawa, c’est évidemment Yojimbo qui a le plus inspiré le western spaghetti. Leone ne s’est jamais caché d’avoir repris les personnages et les situations du film dans sa trilogie des dollars (même s’il n’a jamais payé les droits afférents). L’homme sans nom, interprété par Clint Eastwood, est sans conteste un alter ego de Sanjuro, le justicier cynique du film, samouraï sans emploi, qui avec beaucoup de roublardise va profiter de la défiance généralisée des uns pour les autres des habitants d’un village pour tel le coucou y faire son nid. À l’opposé des figures nobles de samouraïs dont l’honneur n’était pas négociable, Sanjuro incarne un homme versatile et opportuniste, malin comme un singe, dans lequel beaucoup ont pu se projeter. Le film a d’ailleurs fait un carton, redonnant du lustre à la carrière du cinéaste, qui a aussitôt enchaîné avec une séquelle, mettant en scène le même personnage, Sanjuro, dans un film éponyme. La trame de ce second opus est différente, mais l’atmosphère qui prévaut est la même. Et le plaisir qu’il nous procure itou.

Il n’y a que peu de rapports entre les films cités, dont l’action est figée dans le passé (même si le dyptique Yojimbo / Sanjuro se rapproche de notre ère, puisque situés au XIXème siècle) et les deux derniers dont il est ici question, contemporains et désespérés. Les salauds dorment en paix est une radiographie sans la moindre complaisance du miracle économique japonais, imprégné de ce climat particulier des années 60, quand le pays du soleil levant a perdu une partie de son âme au profit d’un confort matériel inédit. Dénonciation de la corruption généralisée, le film s’intéresse à une famille d’industriels dont le cinéaste décrit avec gourmandise chacun des membres, comme le fera d’une certaine manière Coppola quelques années plus tard dans la saga du Parrain. Les dialogues sont nourris et une nouvelle fois la mise en scène se teinte de théâtralité. Il n’est d’ailleurs pas interdit de voir en ces Salauds… une mise à jour en un autre lieu et dans un autre temps du mythe d’Hamlet.

Entre le ciel et l'enfer d'Akira Kurosawa
Entre le ciel et l’enfer d’Akira Kurosawa

Il y a décidemment quelque chose de pourri en ce royaume, puisque Entre le ciel et l’enfer est imprégné de la même désespérance sociale. L’histoire est celle d’un industriel (de la chaussure) en butte à un débat cornélien quand il doit affecter au paiement d’une rançon (pour un kidnapping) l’argent qu’il avait mis de côté pour imposer sa prééminence au sein du groupe. De fait le film se présente presque comme un triptyque aux volets sinon indépendants, du moins différents sur les plans esthétique et narratif. Le premier volet tourne autour des états d’âme de notre homme, qui rechigne à renoncer à ses ambitions, le second se présente comme un polar assez classique alors que nous nous attachons aux pas des policiers chargés de l’enquête, le dernier est un pamphlet violent à l’égard de la société nippone, capable de générer des inégalités monstrueuses en son sein, le « miracle » économique ne concernant pas tout le monde, tant s’en faut. Un chef-d’œuvre absolu…

Il y aurait encore beaucoup à ajouter sur le cinéma de Kurosawa… Nous nous contenterons de dire notre admiration pour Toshiro Mifune, le comédien emblématique du maître, qui traverse tous ces films dans des rôles diamétralement opposés, mais conserve une puissance et une allure incomparables. Et de rappeler que Wild Side est un éditeur généreux (et cinéphile) et que tous ces bijoux du patrimoine sont livrés avec des bonus souvent passionnants…

Yves Alion

Les Bas-fonds / Le Château de l’araignée / La Forteresse cachée / Yojimbo / Sanjuro / Les salauds dorment en paix / Entre le Ciel et l’Enfer
Wild Side




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