Critiques DVD Drôle de drame de Marcel Carné

Publié le 27 novembre, 2019 | par @avscci

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Actu dvd novembre 2019 – Quatre films du patrimoine français

Décrié lors de sa sortie, Drôle de drame est une merveille dont la modernité surprend encore. Cette œuvre de jeunesse de Marcel Carné (sur un scénario, comme toujours, de Jacques Prévert) est pour le moins inclassable. C’est d’une certaine manière un film noir (avec l’un des premiers serial killers de l’histoire du cinéma) dans une Angleterre improbable, mais c’est aussi une comédie déjantée (avec des gags dignes de cartoons, qui flirtent avec l’absurde), portée par des comédiens fabuleux, au premier rang desquels, bien entendu, Louis Jouvet, impérial en évêque anglican père de famille nombreuse, et Michel Simon, faux-derche comme rarement on l’avait été. La photo est magnifique, le rythme endiablé, les dialogues appartiennent à la légende du cinéma (« Bizarre… Vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre »). Que demander de plus ? Des bonus ? Ils sont présents, en quantité et en qualité. D’une part un joli documentaire pour replacer le film dans son époque, agrémenté de l’intervention d’éminents spécialistes, tel que l’incontournable Jean Ollé-Laprune [photo ci-dessus] ; de l’autre un livret de 24 pages, que l’on lit d’une traite. Un must.

De Jean Durand, les cinéphiles les plus endurcis connaissent parfois les tribulations d’Onésime, Zigoto, Calino, Onésime ou Serpentin, héros burlesques d’innombrables courts métrages. La Femme rêvée (1929), son avant-dernier long métrage, est aussi son 243e film en une vingtaine d’années au service de la Gaumont. Ce futur retraité de 47 ans doit se résoudre à une évidence : le parlant n’est pas son affaire. Il ne s’y frottera d’ailleurs jamais et verra cette révolution submerger bon nombre de pionniers du septième art incapables de se soumettre à sa loi. La Femme rêvée met en scène la plus cosmopolite des actrices françaises, Arlette Marchal, face à un jeune premier appelé à une destinée hors du commun, Charles Vanel, qui peut déjà s’enorgueillir à l’époque… d’une vingtaine d’années de carrière. Ce film rare superbement restauré est accompagné par ailleurs d’un portrait intéressant de son auteur que rien ne destinait à devenir l’un des premiers magiciens du 7e Art, lui qui a grandi comme du chiendent dans les rues de la butte Montmartre et a fait de ses caf’ conc’ une école de sa vie. Journaliste dès l’âge de 16 ans, il devient dix ans plus tard l’assistant de Ferdinand Zecca chez Pathé et débute en dirigeant Maurice Chevalier dans ce qui constitue sa première apparition au cinéma, Trop crédules (1908). La suite appartient à une légende dont nous ne connaissons plus aujourd’hui malheureusement que quelques bribes éparses dont cette perle rare exhumée par Gaumont.

Solide artisan révélé par son making of avant la lettre du chef-d’œuvre de Marcel Lherbier, Autour de L’Argent (1929), récemment exhumé par Lobster Films en complément de L’Argent, Jean Dréville a signé par la suite quelques films estimables au nombre desquels figurent La Cage aux rossignols (1945), qui inspirera plus tard Les Choristes (2004) à Christophe Barratier, et Copie conforme (1947) avec un double Louis Jouvet (ASC n°448). Sur un registre nettement moins léger, La Bataille de l’eau lourde (1948), qu’il a cosigné avec le réalisateur norvégien Titus Vibe-Müller, est la stricte reconstitution des efforts déployés par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale pour empêcher le Troisième Reich de se doter de la bombe atomique. Un sujet aussi ambitieux que propice à faire vibrer la fibre patriotique du public français alors confronté aux affres de la Reconstruction. Comme La Bataille du rail (1946) de René Clément, le film revendique une facture proche du documentaire et tranche en cela avec l’héroïsation prônée alors par les Anglo-saxons, en entremêlant les images d’archives et des scènes reconstituées méticuleusement. Il s’agit donc là d’une œuvre édifiante mais efficace qui démontre le professionnalisme de Dréville à partir d’un exercice de style lui-même balisé strictement par un cahier des charges dont l’objectif consistait à exalter l’esprit patriotique en proposant une alternative crédible au cinéma de guerre anglo-saxon, voire soviétique. Le scénario est d’ailleurs l’œuvre d’une haute personnalité de la résistance, Jean Marin alias Yves Morvan. Quant aux interprètes, ce sont pour la plupart les véritables protagonistes de cette aventure qui inspirera par la suite une version britannique intitulée Les Héros de Télémark (1965) à Anthony Mann.

Avec André Gide (1952) de Marc Allégret est l’échange exemplaire de deux amis de longue date qui ont choisi des moyens d’expression artistique différents. L’un écrit, l’autre filme. De leur rencontre naîtra un documentaire exceptionnel sélectionné à la Mostra de Venise dans lequel l’écrivain nobélisé livre ce qui deviendra a posteriori un authentique testament, sa mort étant advenue tout juste un an avant la sortie du film. L’exhumation de ce document est une aubaine, tant les films consacrés aux mystères de la littérature sont rares et la complicité entre Gide et Allégret donne des ailes à l’un comme à l’autre. Sans doute aussi parce que l’auteur de La Symphonie pastorale a eu jadis pour précepteur le propre père du réalisateur d’Entrée des artistes à qui il a mis le pied à l’étrier avec un autre documentaire, Voyage au Congo (1927), chronique d’apprentissage anticolonialiste d’un périple africain de onze mois accompli en amoureux, malgré la trentaine d’années qui les sépare. Un livret illustré permet de décrypter ce témoignage inestimable ponctué par la voix de Jean Desailly dont la vision constitue un éblouissement pour tous ceux que passionnent à la fois la littérature et le cinéma.

Yves Alion et Jean-Philipe Guerand

Drôle de drame ESC
La Femme rêvée Gaumont Vidéo
La Bataille de l’eau lourde Éditions Montparnasse
Avec André Gide Doriane Films




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