Critiques DVD Sous les étoiles de Paris de Claus Drexel

Publié le 12 juillet, 2021 | par @avscci

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Claus Drexel est entré dans la carrière en signant avec Affaire de famille une comédie policière, un film réjouissant, au scénario inventif. Le public pouvait s’attendre à ce qu’il persiste dans ce registre. Or c’est par un virage à 180° qu’il enchaine, en s’intéressant aux SDF, signant avec Au bord du monde un superbe documentaire. Sous les étoiles de Paris est un peu la version fictionnelle de ce film fondateur, qui lui reprend au passage pas mal d’éléments sur le monde de la cloche. Si le regard porté sur ces êtres déchus a quitté le plus souvent les rives du pittoresque pour prendre une tournure plus politique, le film de Claus Drexel n’est pas militant, du moins pas directement. Le cinéaste compte manifestement sur l’intelligence du spectateur pour tirer les conclusions qu’il faut. Mais ce qui n’est pas douteux, c’est que le cinéma de notre homme est une ode à la liberté, à travers ces hommes et ces femmes qui gardent une vraie dignité dans la déchéance. Paris est clairement l’un des personnages du film. Tout comme dans son documentaire, Claus Drexel a su nous montrer une autre architecture de la ville. Non pas parce que, comme pourrait le suggérer le titre, tout le monde dort à la belle étoile, mais même lorsqu’ils ont un toit, les personnages fréquentent plutôt les arrière-cours, les caves, les remises, les locaux techniques, tous ces lieux incongrus qui ne sont pas dévolus à la vie. Mais le film n’est pas seulement le portrait d’une femme dont le visage et le corps sont marqués par les morsures du temps, c’est aussi la relation affectueuse entre un gamin venu d’Afrique, qui ne parle pas un traître mot de français et cette femme qui n’attendait plus rien. L’espace d’un instant nous quittons les rives de la Seine et de nos traine-misère tricolores pour nous intéresser à ces migrants qui jouent les boules de flipper dans un jeu dont ils ne connaissent pas les règles. Welcome, de Philippe Lioret, n’est pas loin…

L'Enfant rêvé de Raphaël JacoulotQuatre longs métrages en l’espace de quatorze ans : Raphaël Jacoulot ne fait pas partie des stakhanovistes du grand écran. Mais ces quatre films suffisent à marquer son territoire cinématographique, signaler ses obsessions, ses influences, son talent. Ses films ne sont sans doute pas tous provinciaux par hasard, ils ne titillent pas une fibre simenonienne, ou chabrolienne si l’on préfère par opportunisme. Chez Jacoulot, la peinture des passions humaines débouche naturellement sur un constat à la fois empathique et désespéré. Car si les personnages de ses films peinent à réfréner leurs pulsions profondes et finissent toujours leur parcours dans une impasse, ils savent nous faire partager leurs passions. Ainsi celui que campe Jalil Lespert dans L’Enfant rêvé, dont l’épouse ne parvient pas à enfanter. Sa frustration tourne à l’obsession. Et quand une aguichante voisine croise son chemin, les dés de la tragédie sont jetés. Le désir d’enfant chez l’homme n’est pas un thème souvent visité par le cinéma, mais cet Enfant rêvé conserve une grâce, une sensibilité, un romantisme qui ne se démentent pas.

Police d'Anne FontainePolice est le dix-septième long métrage signé Anne Fontaine (qui en a depuis lors réalisé un autre, Présidents – voir nos pages films en salle) Si, à l’aune d’un tel parcours, la cinéaste n’est pas aussi souvent célébrée qu’elle le devrait, c’est peut-être en raison de l’éclectisme de son œuvre, que nous voyons pour notre part comme une qualité. Mon pire cauchemar, Gemma Bovary, Perfect Mothers, Les Innocentes ou Blanche comme neige partagent davantage de vraies idées de cinéma que des thèmes récurrents. Et Police a à son tour tout pour nous dépayser. On a le sentiment dans un premier temps que la réalisatrice veut nous entraîner sur les chemins empruntés par L.627 ou Polisse, qui arpentent la routine d’un groupe de policiers, confrontant quelques fonctionnaires à un quotidien brutal dont la fantaisie et l’humanité ne sont pourtant pas absentes. Mais peu à peu, il devient patent que la fresque sociologique s’estompe et que l’étau de la tragédie se resserre sur les trois personnages qu’Anne Fontaine nous a présentés, confrontés à un cas de conscience terrible : ils se retrouvent devoir escorter un réfugié kirghize jusqu’à l’avion qui va le renvoyer chez lui, où il est probablement promis à la mort… D’un réalisme entomologique, le film ne se prive pas pour autant de quelques coquetteries formelles, revenant sous différents regards sur la même scène. Mais c’est d’abord pour mieux individualiser chacun des trois personnages, que le film saisit à bras-le-corps, sans la moindre complaisance, mais avec une empathie et une générosité réelles.

Lux Aeterna de Gaspar NoéLittéralement sanctifié par ses aficionados, Gaspar Noé est désormais considéré comme un intouchable du cinéma qui n’a même plus besoin de respecter les contraintes du cinéma traditionnel pour susciter les louanges. C’est parce que la maison Yves Saint Laurent lui a accordé une carte blanche et des moyens confortables qu’il a pu réaliser le moyen métrage Lux Æterna (2019) présenté en séance de minuit au festival de Cannes 2019. Sous le signe de son admiration affirmée pour Dreyer, Christensen, Godard et Fassbinder dont il revendique le parrainage, Noé y réunit Béatrice Dalle en réalisatrice débutante et son interprète Charlotte Gainsbourg, papotant sur le plateau d’un film de sorcières qui va déclencher l’hystérie au sein de son équipe. Exercice de style célébré par ses adorateurs qui peut tout aussi bien susciter un rejet radical de la part des cinéphiles attachés à une vision plus conformiste du septième art qu’une fascination irrationnelle pour ce qui ressemble à un pur happening artistique ponctué d’écrans subdivisés et d’effets stroboscopiques qui s’achève en transe, comme c’est désormais son habitude. Parmi les bonus proposés : The Flicker (1965) de Tony Conrad, un court métrage expérimental hallucinatoire composé d’images statiques en noir et blanc et précédé d’un avertissement sur le danger d’épilepsie ou de lobotomie qu’il ferait peser sur ses spectateurs à leurs risques et périls. Figurent aussi un diaporama de photos de tournage réalisé par Tom Kan, ainsi qu’un extrait du sabbat de La sorcellerie à travers les âges (1922) de Benjamin Christensen qu’édite simultanément Potemkine dans une version extraordinaire sur laquelle nous reviendrons longuement dans notre prochain numéro.

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