Critiques DVD Affiche de Rodin de Jacques Doillon avec Vincent Lindon

Publié le 18 octobre, 2017 | par @avscci

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Actu dvd – Huit films français récents

Rodin est un film d’auteur. Qui nous confirme, si besoin était, que Jacques Doillon reste un grand du cinéma français. Son œuvre reste des plus cohérentes, qui passe nos sentiments et émotions à la moulinette pour mieux célébrer le génie de vie. D’une certaine manière, le film est comme un passage de relai entre trois arts. Entre la littérature et la sculpture, puisque le film insiste sur l’obsession de Rodin à sonder la richesse d’inspiration de Balzac. Puis entre la sculpture et le cinéma, Doillon s’emparant à son tour du témoin… Nous en sommes d’autant plus heureux que l’aura du cinéaste avait tendance à s’étioler depuis quelques temps. Rodin lui permet ainsi de revenir sur le devant de la scène. Ce n’est pas la première fois que le sculpteur est célébré par le cinéma. On se souvient bien sûr de Camille Claudel, mis en scène par Bruno Nuytten, écrin majestueux au service du talent d’Isabelle Adjani. Mais le film était davantage un éclairage sur un destin hors norme, pour ne pas dire un naufrage programmé, qu’une ode à la fièvre de l’artiste. Même si Gérard Depardieu y était, une fois encore, remarquable. Ici c’est Vincent Lindon qui prête ses traits à Rodin. Mieux, il l’incarne jusqu’au tréfonds de son être. Le comédien a d’ailleurs suivi un long stage pour s’approprier les gestes de l’artiste. Du moins ceux que l’on imagine, puisqu’aucun document ne rend compte précisément de sa façon de faire. La singularité de Rodin était celle de travailler avec les mains, préférant le plus souvent la glaise au marbre, la terre permettant de revenir cent fois sur le métier avant de décider que le travail est abouti. C’est un peu aussi la façon de faire de Doillon, cinéaste exigeant, connu pour multiplier les prises tant qu’il n’a pas obtenu dans les moindres détails ce qu’il attendait des comédiens, attente jamais figée, son cinéma étant comme un work in progress qui se construit sous ses yeux. Et les nôtres. Pas d’interview du metteur en scène en bonus (contrairement aux pages actu de l’ASC n° 643), mais un échange passionnant entre le metteur en scène et Véronique Mattiussi, responsable du fond historique du Musée Rodin…

Affiche Django d'Etienne ComarAutre biopic consacré à un artiste, musicien de son état, Django. Il s’agit évidemment de Django Reinhardt, guitariste tzigane de génie, qui fit swinger des populations entières pendant plusieurs décennies. C’est une période précise qui a été choisie par le réalisateur pour montrer notre homme, celle de la guerre. Quand les Allemands l’invitaient à venir jouer chez leurs congénères nazis alors que ses frères étaient déportés en masse… Ayant choisi la fuite (en Suisse), le guitariste s’est retrouvé au milieu d’un imbroglio qui tend le ressort dramatique de l’histoire. Le film peut sembler par moments un peu illustratif, mais il emporte l’adhésion par sa musique, la qualité du jeu des comédiens, et notamment Reda Kateb dans le rôle-titre, et une mise en scène parfois superbe. Nous ne sommes pas prêts d’oublier cette scène au cours de laquelle les musiciens saoulent de musique un auditoire nazi pour permettre l’évasion d’un résistant. La musique dès lors fait part du suspense et devient l’enjeu principal d’une construction qui ne tient qu’à un fil. Le film témoigne d’ailleurs en permanence du hiatus existant entre la musique, qui célèbre la vie, l’amour, la fraternité et la conception nécessairement plus frigide que les nazis en ont.

Affiche Le feu sacré d'Arthur JofféPalme d’or à Cannes en 1982 pour son court métrage Merlin ou le cours de l’or, Arthur Joffé a signé avec Harem (1985) ce qu’on a pris hâtivement pour son passeport vers la gloire, validé par plus de huit cent mille spectateurs. Las, la suite de sa carrière lui a valu bien des désenchantements et des remises en question quant à sa légitimité de cinéaste. Né de ces interrogations, Le Feu sacré a connu une carrière atypique qui reflète sa genèse chaotique, à mi-chemin entre fiction et documentaire, journal intime et carnet de brouillon. C’est l’autoportrait d’un artiste aux prises avec un système, sous prétexte qu’il refuse de vendre son âme au diable. En contre-point, le réalisateur se livre au jeu de l’interview dans un module au titre révélateur, Faire un film sans le savoir, et ajoute ainsi un post-scriptum nécessaire à son film. Comme s’il n’était pas tout à fait terminé. Le Feu sacré est une véritable expérience de cinéma qui démontre que le désir peut donner des ailes. Tout le mal qu’on peut souhaiter à ce film fourmillant est de conquérir un nouveau public et de remettre son auteur sur les rails qu’il n’aurait jamais dû quitter, tant son talent apparaît éclatant.

 

Affiche de Chacun sa vie de Claude LelouchLe feu sacré, c’est également ce qui peut caractériser Claude Lelouch, qui contrairement à Alex Joffé, n’a jamais cessé de tourner. Mais, et comment pourrait-il en être autrement, son aura a connu des hauts et des bas. Son tout dernier opus, Chacun sa vie, faisant plutôt partie de cette dernière catégorie. Le public s’est montré frileux, la critique souvent assassine. Soyons justes : le film ne compte pas parmi les chefs-d’œuvre du signataire d’Un homme et une femme. Mais c’est un film globalement réjouissant, et qui plus est assez ambitieux quant à sa construction, l’idée étant de faire se croiser un grand nombre de personnages en un lieu et en un temps restreints (Beaune, à l’occasion d’un festival de musique). La sensation que nous conservons est celle d’un film à sketchs qui auraient le courage de s’ouvrir les uns aux autres. Certains sketchs, certains comédiens ne nous séduisent pas vraiment. Mais nous les oublions bien vite, subjugués par la prestation de Béatrice Dalle, Johnny Hallyday, Elsa Zylberstein. Chacun sa vie est clairement une comédie, et l’on rit beaucoup. Mais il faut bien admettre que si le rire est le propre de l’homme, le titre du tout premier film de Lelouch, en 1961, il s’étrangle de temps à autre dans la gorge. Comme une métaphore de la vie… Le bonus est chiche qui nous offre quelques images d’un making of sympathique. L’entretien avec Lelouch se trouve quant à lui pour les lecteurs de l’ASC dans les pages actu de notre n° 641.

Affiche Le serpent aux mille coupures d'Eric ValetteLe feu sacré est également ce qui caractérise Éric Valette. Fan de cinéma d’action et de série B, il nous offre depuis plusieurs années des films parfois superbes. Une affaire d’État reste un sommet, qui parvient à concilier le fond (une dénonciation en règle de la Françafrique) et la forme (un thriller tambour battant). Le Serpent aux mille coupures est sans doute plus modeste quant à son engagement politique, mais cette adaptation d’un classique du roman noir est un petit bijou. Nous sommes ici en présence d’un film noir rural. Ici pas de pavé luisant ou de devanture de magasin au néon agressif. Mais des vignes et des bistrots de village. Le cadre est campagnard, aquitain et hivernal. Le film démarre sur les chapeaux de roues et nous met en présence d’un motard blessé sortant miraculeusement d’un guet-apens qui vire au carnage. Nous assistons à la confrontation pour la moins brutale de deux mondes, d’un côté des tueurs venus d’on ne sait où et de l’autre des autochtones qui ne se servent habituellement de leur fusil que pour tirer sur un lièvre ou un faisan. Le film s’ébroue parmi des personnages volontairement typés, et nous n’avons rien contre, bien au contraire. Mais il peut également se targuer de solides qualités plastiques. Et de dialogues taillés sur mesure… Une affaire d’État aurait très bien pu figurer parmi les grands films d’Yves Boisset, Le Serpent aux mille coupures évoque quant à lui Canicule, où l’on voyait un gangster à l’ancienne, incarné par Lee Marvin, perdu au milieu de la campagne française. L’occasion est belle en tout cas de renouer avec un cinéma de genre qui se fait bien rare. Mais le film a beau être un spectacle, il n’est pas interdit d’y voir aussi comme une réflexion sur la mondialisation. Ou comment un petit village bien de chez nous, soumis à toutes les tentations de repli sur soi, racisme à front de taureau compris, se retrouve entraîné dans un bordel sans nom quand trafiquants sud-américains et tueurs extrême-orientaux viennent se mêler à la fête. On en redemande…

Affiche du film Aurore de Blandine LenoirBlandine Lenoir nous propose de con côté avec Aurore, une chronique d’une femme résignée que la maternité de sa fille renvoie à sa propre situation et qui décide de ne plus subir mais d’agir pour reconstruire son bonheur. Constellée de minuscules détails qui en disent long sur le sort réservé par notre société du jeunisme à ceux et surtout celles qui n’en font plus partie, cette comédie de mœurs charme par son entrain et sa lucidité. Il en émane une incroyable énergie et un humour décapant qui fait la part belle aux acteurs. À commencer par Agnès Jaoui, rayonnante célibattante en lutte contre les moulins à vent de son horloge biologique qui retrouve des élans de midinette pour séduire le prince charmant. Il émane du film comme une petite musique qui nous chatouille le cœur, et que l’on retrouve dans les courts métrages proposés en suppléments (trois courts pour le DVD et un de plus pour l’édition B-ray).

 

Affiche Orpheline d'Arnaud des PallièresPlus rugueux, voire douloureux, Orpheline, d’Arnaud des Pallières (le très exigeant signataire de Michael Kohlhaas) est incontestablement un film ambitieux. Qui nous propose pour tracer le portrait d’une jeune femme rebelle de l’approcher à quatre étapes de sa vie. Pour l’occasion, le personnage est interprété par quatre comédiennes différentes, de façon non chronologique, quitte à désorienter le spectateur un peu distrait. En déconstruisant ainsi son récit, Arnaud des Pallières souligne les contradictions d’un personnage à facettes en effaçant ses tentatives de se faire passer pour une autre, déclinant là sous une forme plurielle un artifice esquissé il y a quarante ans par Luis Buñuel dans Cet obscur objet du désir où Carole Bouquet et Angela Molina se partageaient un rôle destiné à l’origine à la seule Isabelle Adjani.

 

 

Affiche Problemos d'Eric JudorNoyé parmi la profusion de comédies françaises du printemps dernier, Problemos d’Éric Judor a vu sa sortie avancée et occultée par un autre événement cinématographique : le festival de Cannes. C’est d’autant plus injuste qu’Éric sans Ramzy s’y essaie à un exercice aussi rarissime que périlleux : la comédie de science-fiction. Comme Philippe de Broca dans Psy et François Leterrier dans Quand tu seras débloqué, fais-moi signe, tous deux de 1981, il prend pour cadre le Summer Camp organisé par une secte qui prône le retour aux vraies valeurs en recyclant les enseignements de l’utopie soixante-huitarde afin de mieux stigmatiser nos petits travers d’Occidentaux repus et vissés à nos smartphones, brusquement confrontés à la fin du monde donc à sa reconstruction ex nihilo. Judor s’y donne le rôle ingrat du rebelle au sein d’une horde de babas moins cool qu’ils ne devraient l’être lorsque tout doit être reconstruit et que les querelles intestines pour le pouvoir font rage. La parabole est aussi caustique que réjouissante. Elle mérite d’être réhabilitée, sous peine de sombrer dans l’oubli pur et simple.

Yves Alion et Jean-Philippe Guerand

Rodin Wild Side
Django Pathé
Le Feu sacré Éditions Montparnasse
Chacun sa vie Metropolitan
Le Serpent aux mille coupures Condor
Aurore Diaphana
Orpheline Le Pacte
Problemos Studiocanal




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