Critiques de films Elle de Paul Verhoeven

Publié le 31 mai, 2016 | par @avscci

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Critique Elle de Paul Verhoeven

Dix ans déjà nous séparent de Black Book, le dernier long métrage de Paul Verhoeven. Durant cette période où il s’est fait rare, le cinéaste a signé Tricked, un téléfilm de 52 minutes au financement participatif, évoqué dans le numéro 612 de L’Avant-Scène Cinéma. Il s’est également battu pour faire naître plusieurs projets qui n’ont pas vu le jour, dont une biographie de Jésus que l’on imagine forcément dérangeante, le monsieur étant connu pour cerner au plus près la réalité sans fard de ses héros et de l’époque où ils vivent.

Après le drame situé durant la Seconde Guerre Mondiale en pleine occupation de sa ville natale de La Haye par les nazis, une période qu’il a vécue enfant (il est né en 1938), il nous revient avec ce film qui se déroule de nos jours, tourné en France et en français, une double première pour le cinéaste néerlandais qui a signé des œuvres magistrales aux Pays-Bas dans les années 60-70 (Turkish Délices, Soldier of Orange, Spetters, Le Quatrième Homme…) avant de se lancer dans une carrière américaine qui a marqué les années 80-90 (La Chair et le Sang, RoboCop, Total Recall, Basic Instinct, Starship Troopers…). Son esprit iconoclaste n’a que faire du politiquement correct et il le prouve une nouvelle fois avec cette adaptation du roman de Philippe Djian, Oh…!, déjà très audacieux, racontant un viol et ses conséquences, la narration étant pour le moins inattendue.

Isabelle Huppert est Michèle, une productrice de jeux vidéo violée chez elle par un homme masqué. Elle ne le dénonce pas à la police, reprend sa vie comme si de rien n’était ou presque. Elle refuse de se laisser dérouter par cet acte, de se poser en victime au grand désarroi des proches à qui elle se confie, cherchant par ailleurs à deviner qui est cet homme afin de l’affronter sans détour. Elle se rapproche, par son caractère farouchement indépendant et par le peu de cas qu’elle accorde au regard des autres sur son comportement, de l’une des grandes héroïnes du cinéaste : Catherine Martell (Sharon Stone) dans Basic Instinct, seule autre œuvre du « Hollandais violent » à avoir connu les honneurs de la compétition au Festival de Cannes avant ce dernier opus.

Isabelle Huppert dans Elle de Paul Verhoeven

Le viol est souvent employé comme une arme pour dominer la femme, ce qu’il a évoqué avec une rage communicative dans Spetters, La Chair et le Sang, Basic Instinct, Showgirls, Hollow Man ou Black Book. Les relations sexuelles imposées à la femme sont une arme qu’il n’a cessé de dénoncer, en assumant de les montrer dans toute leur brutalité comme il l’exprimait dans l’ouvrage Beyond Flesh and Blood : « Le viol est un comportement animal, agressif, diabolique et si je le montre dans mes films, c’est pour signifier mon opposition à cet acte ». Les femmes de son œuvre font preuve d’une force inattendue en retournant ces agressions contre leurs partenaires masculins. Ne citons que les rapports complexes existant entre la princesse faussement soumise incarnée par Jennifer Jason Leigh et son geôlier Rutger Hauer dans La Chair et le Sang. La représentation à l’écran du viol n’est pas racoleuse mais dénuée d’érotisme, elle nous heurte, à la manière du film russe Portrait au crépuscule, d’Angelina Nikonova où une femme reprenait le contrôle de sa vie en cherchant à retrouver et à dominer l’homme qui l’avait agressée.

Dans Elle, l’univers de Michèle est cerné par la violence, dont celle de ce jeu vidéo qu’elle peaufine avec ses équipes. Son rapport est houleux avec ses employés mais aussi avec ses proches, cette famille recomposée qu’elle réunit lors d’un dîner qui vire au jeu de massacre, presque littéralement. Ils ne se font pas confiance, ne s’apprécient pas tant que cela, se cachent des choses importantes. Elle a quitté son mari (Charles Berling) qui l’a giflé (comme une preuve qu’elle n’est pas adepte des châtiments corporels subis), son fils est incapable de s’affirmer, dépendant d’elle financièrement et (peut-être) manipulé par sa jeune compagne (Alice Isaaz), sa mère (Judith Magre, qui n’a rien perdu de son tempérament à bientôt 90 ans) cherche un peu de chaleur humaine avec un homme beaucoup plus jeune. Son voisin (Laurent Lafitte) ne lui est pas indifférent et l’épouse bigote de ce dernier, jouée avec une forme de détachement réjouissant par Virgine Efira, parfaite en grenouille de bénitier, aura le mot de la fin qui jette une ombre glaçante sur ce qui a précédé. À tous, le scénario donne la possibilité de nous surprendre. Ils sont ambigus, un trait de caractère constant chez les protagonistes de Verhoeven. Dans cette œuvre chorale, la force de caractère de l’ensemble des personnages féminins contraste fortement avec l’effacement caractérisé des hommes, faibles, veules.

Le propos risque d’être décrié si l’on voit l’évolution du rapport de cette femme avec son agresseur comme un propos général sur la Femme, plus complexe et enrichissant si on l’apprécie pour ce qu’il est, le portrait d’une femme et d’une seule, de son rapport au désir, à la brutalité, à sa propre misanthropie et à celle des autres. Le propos de Verhoeven sur le sujet ne se veut pas universel. « C’est une histoire, ce n’est pas la vie, ni une vision philosophique de la femme ! Cette femme en particulier agit ainsi. » assure-t-il dans un entretien…

Elle de Paul Verhoeven

Elle n’est en rien un film aisément aimable, avec son propos caustique et sa galerie de personnages monstrueux. Pas un personnage pour rattraper l’autre – même le chat dégage une forme de perversité – dans cette satire véhémente du genre humain. Les dialogues sont méchants et caustiques (« Il n’est pas assez vieux pour ne plus respirer ») dans un scénario à la mécanique brillante, de façon presque invisible, avec une construction morcelée, un art de l’ellipse et de l’accélération soudaine, avec des moments plus révélateurs et apaisés comme le récit effarant du grand drame du passé, fondateur d’un rapport au monde, un moment comme suspendu entre deux êtres qui se comprennent comme personne ne les a compris l’une et l’autre. Paul Verhoeven signe un portrait glaçant de l’humanité porté par un humour rageur. Sa mise en scène repose sur une chorégraphie précise, en particulier dans les scènes de violence dirigées avec minutie et tension, heurtées par un art du montage sec.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le cinéaste, qui fêtera cette année son 78ème anniversaire, a commencé à tourner des films, des courts métrages précisément dès le début des années 60 (notamment La Fête en 1963, déjà un portrait de groupe terrifiant – il en signera bien d’autres), commençant donc son parcours pour le moins personnel une petite paire d’années à peine seulement après À bout de souffle, de Jean-Luc Godard ou Les Quatre Cents Coups, de François Truffaut. 55 ans plus tard, il sollicite toujours l’implication du spectateur, physiquement et moralement, dans son éternelle interrogation du genre humain. Malmené lui aussi, il est contraint de remettre en question la perception de ce qu’il voit à l’écran et son propre rapport aux autres.

Pascal Le Duff 

Réal. : Paul Verhoeven. Scén. : David Birke, d’après le roman de Philippe Djian Oh… Phot. : Stéphane Fontaine.
Avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Anne Consigny, Charles Berling, Virginie Efira, Judith Magre, Christian Berkel, Jonas Bloquet, Alice Isaaz, Vimala Pons.
Prod. SBS Production. Durée : 2h02. Sortie France : 25 mai 2016

 




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